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RAVIGNAN


Le retentissement de sa parole à Paris et dans les plus grandes villes de France, ses rares qualités personnelles devaient induire ses amis en tentation de le mêler aux aiïaires publiques. En 1848, on voulut le faire député, comme Lacordaire ; il refusa. Il refusa aussi l’archevêché de Paris que lui oiïrait le général Cavaignac. En 1845, il avait eu une entrevue avec Guizot et écrivit une note pour Mgr Aftre, au sujet des mesures prises par le gouvernement contre les jésuites ; plus tard, il verra Napoléon III, quand celui-ci ordonnera la fermeture du collège de Saint-Etienne. On sait combien le projet de loi Falloux, la querelle des classiques païens dans l’enseignement secondaire, la direction à donner au journal Y Univers, divisèrent alors les catholiques. Plus ami de Dupanloup, Montalembert et Berryer, que de Louis Veuillot et de Parisis, le P. de Ravignan se tint, sur les trois questions, aux côtés de ses amis, quoiqu’il ait apporté à son jeu la modération que lui commandait sa robe. L’abbé Dupanloup aurait beaucoup voulu l’associer à la direction de L’Ami de la religion ; mais le général de la Compagnie, consulté, n’agréa point la chose. Le P. de Ravignan ne fournit à L’Ami que quelques articles. C’est uniquement sur la question des jésuites qu’il prit publiquement ses responsabilités. Son livret De l’existence et de l’institut des jésuites (1844) fut un événement, encore qu’il n’ait guère assagi le gouvernement de Louis-Philippe. Ses deux volumes Clément XIII et Clément XIV servirent au moins à montrer en quelles conditions odieuses la Compagnie des Jésus disparut au xviii 1 siècle.

Employée toute au service de l'Église, la vie du P. de Ravignan finit admirablement. Nous avons le journal de sa dernière maladie : il chante la destruction graduelle de ses forces et l’espoir du ciel tout proche. Jusqu’au bout le souvenir de saint Ignace lui fut présent. Le livre de l’Imitation qu’il avait tant aimé demeura son livre de chevet, et il voulut que la biographie du cardinal Bellarmin l’aidât à bien mourir. Le 26 février 1858, les sacrements reçus, tandis que le P. de Ponlevoy tenait un crucifix devant ses yeux, le saint malade expira doucement.

II. Les conférences de Notre-Dame.

Elles furent publiées en 1860, par le P. Aubert. Avant de mourir, le P. de Ravignan, cédant à bien des instances, avait préparé l'édition de trente-neuf discours, en les groupant dans un certain ordre logique. Le P. Aubert a respecté ce groupement ; aucun compte n’est tenu de l’ordre chronologique. Celui-ci pourtant a son intérêt ; et l'éditeur l’a bien senti, puisque, dans sa préface, il a inséré un tableau des conférences, année par année. Mais ce tableau doit être rectifié ; et il est facile de le faire, en le contrôlant par les périodiques de l'époque.

Tout d’abord, la station de 1838 se termina par une conférence sur les Caractères essentiels de l’enseignement religieux et non par la conférence sur l’immortalité. En 1840, septième et dernière conférence : La raison de l'Église. En 1841, l’orateur parla du Centre de l’unité, avant de parler des Raisons d’admettre l’autoHtéde l'Église. En 1841, 4e conférence : L’autorité de l'Église. Pour la station de 1845, le P. de Ravignan, trop occupé peut-être par ses travaux pour la défense de son ordre persécuté, commença par reprendre, en les retouchant, la 2e, la 3°, la 1< la 5° et la 6e conférence de 1837 ; il y ajouta deux conférences nouvelles : L’esprit de la tulle, la notion vraie du christianisme. Il suit de là que nous n’avons pas le texte véritable des conférences de 1837. La station de 1846 fut la dernière que prêcha L’orateur ; la maladie l’empêcha de prononcer les six discours qu’il avait préparés pour 1847 ; ils ont été publiés par le P. Aubert.

Comme Lacordaire, le P. de Ravignan suppose un

auditoire ignorant, indifférent, plus ou moins éloigné du catholicisme. Il s’agit donc de montrer que nos croyances sont mieux fondées, plus raisonnables, plus heureusement efficaces sur la conduite humaine, que n’importe quel autre système religieux. Ce genre de prédication n'était pas dans les goûts d’un homme profondément apostolique ; il eût préféré exposer la doctrine, commenter l'Évangile, entraîner les âmes à une sincère pratique du christianisme. Mais il se soumit aux conditions de l’apologétique inaugurée par Lacordaire en 1835 ; il en comprenait fort bien la nécessité ; de son mieux, il tâcha de répondre aux besoins des esprits en quête de la vérité. Sa première conférence prouve qu’il connaissait très exactement son époque. Pouvait-il ignorer que les barrages de l’Empire et de la Restauration avaient laissé passer bien des eaux troubles du torrent philosophique et révolutionnaire ; pouvait-il douter que l’Essai foudroyant de Lamennais sur l’indifférence n’eût laissé debout bien des incroyants, quand Lamennais lui-même n'était plus qu’un pauvre défroqué? Xavier de Ravignan, en 1814, avait paru un moment à l’armée ; dans les salons de sa grand-mère de Saint-Géraud, de son beau-frère le général Exelmans et des grands magistrats parisiens, il avait vu beaucoup de monde. Vingt ans passés à Paris l’avaient mis à même de savoir, lui chrétien de toujours, si les églises et les sacrements étaient fréquentés. Les survivants de la grande Révolution étaient encore nombreux ; et les explosions d’impiété qui suivirent les journées de juillet n'étaient pas si loin qu’on les pût oublier.

Aussi l’orateur prend-il résolument son parti : c’est le mot de « lutte » qu’il met en vedette dès ses premières conférences ; il l’y maintiendra pendant les dix années de sa prédication. On pourrait croire qu’il cède simplement au temps, ou à son tempérament personnel, ou à sa vocation de jésuite hanté par la méditation ignatienne des « deux étendards ». Il y a des raisons plus profondes de son attitude. Unum contra unum, c’est la loi du monde formulée par l'Écriture ; c’est particulièrement la loi de la vie religieuse. Pour le comprendre, il suffit de se rappeler Adam et JésusChrist, les conséquences de la chute du premier homme et celles de la rédemption opérée par l’Homme-Dieu. Qu’il s’agisse de la vérité religieuse dans son ensemble (conf. de 1837) ; de la notion de Dieu, de sa providence (1838) et de ses droits sur l’intelligence humaine (1841) ; du fait divin de l'Évangile, de la personne, de la doctrine et du caractère de Jésus-Christ (1839) ; de la foi chrétienne et de ses mystères (1842), de son efficacité, et de ses garanties (1840) ; de la vie surnaturelle, de son économie et de son terme (1843) ; de l'Église, de son autorité, de son infaillibilité et de son chef suprême (1841) ; de ses lois, de ses sacrements, de sa prière et des vertus spécifiques que le christianisme exige et obtient (1846, 1847) ; de la liberté, de la raison, de l’immortalité de l'âme (1838, 1844, 1846) : tout est objet d’une dispute éternelle. Dans sa Lettre sur le Saint-Siège, en 1836, Lacordaire disait : « La guerre est entre les deux formes de l’intelligence humaine, la foi devenue par l'Église une puissance, et la raison devenue également une puissance, qui a ses chefs, ses assemblées, ses chaires, ses sacrements. » Il est vrai. Mais ce phénomène est permanent. Toutes les erreurs, les hérésies, les schismes, et même les persécutions des pouvoirs régnants ont-elles d’autres racines que l’orgueil de l’esprit humain refusant de se courber sous le joug de la vérité divine ? La position des problèmes semble varier de génération en génération ; c’est suit ont la formule de l’erreur qui change partiellement, tandis que la vérité divine demeure Identique à elle-même depuis les premiers jours du monde ; le Nouveau Testament n’a succédé à l’An-