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1866
RÉALISME. VINCENT FERRIER


habens unilatem de multis. Il commence par exposer les arguments des partisans d’un réalisme outrancier ;

1. la science qui est du général suppose l’existence réelle d’une uniformité entre les individus de l’espèce, une unité de l’universel ; 2. Tout titre à être est titre à unité et à unification : ens et unum convertuntur ; 3. il n’y aurait même pas de vraies diversités s’il n’y avait de vraies ressemblances ; 4. il faut bien noter que Platon et Socrate se ressemblent davantage entre eux qu’ils ne ressemblent à une pierre : 5. il y a unité d’action dans une même espèce ; 6. c’est ce qui fait que l’espèce est une famille unie tandis que le genre est une catégorie plus vague ; 7. Socrate et Platon ne diffèrent que par des détails, des gestes, ils s’identifient dans l’humanité ; 8. et 9. il est peu de différence entre les hommes ; 10. peu de différence entre les ânes (sicï, mais d’une espèce à l’autre toujours un abîme ; 11. chaque être vit selon la nature de son espèce ; 12. chaque être obéit aussi à ce principe spécifique qui le domine.

Les arguments des nominalistes sont ensuite exposés au nombre de quatorze : 1. l’unité absolue concrète de l’universel irait contre la multiplicité des créatures ;

2. contre la multiplicité des âmes distinctes créées par Dieu ; 3. il n’y aurait plus de différence entre le particulier et l’universel ; 4. quand une hostie serait consacrée, toutes le seraient ; 5. Socrate n’aurait plus rien en propre qui ne se confonde pas avec l’humain ;

6. Aristote lui-même parle de multiplicités réelles ;

7. dans la théorie de l’unité absolue de l’universel, on ne pourrait discerner Socrate de Platon ; 8. ce serait revenir aux idées séparées ; 9. à la mort de Pierre on ne comprendrait pas comment l’humanité ne meurt pas chez Guillaume ; 10. Aristote n’a pas assez combattu Platon sur ce point ; 11. on peut déduire de la thèse ultra-réaliste que la nature ne pourrait détruire un individu d’une espèce sans annihiler tous les autres ; 12. puisque l’humanité comporte un corps, la même humanité serait en plusieurs lieux ; 13. une même âme serait damnée et sauvée, ne faisant qu’un avec saint Paul sauvé et Judas damné ; 14. une même âme dans le même rapport serait à la fois bonne et mauvaise.

On voit que, pour ce juge des idées vivant au xive siècle, Siger de Brabant au xine siècle et son unité de l’intellect constitue comme une certaine réédition partielle de Guillaume de Champeaux au xiie siècle avec son unité de l’espèce. Saint Vincent Ferrier parvenu en cet endroit de son exposé doit faire sienne l’une des parties opposantes plutôt que l’autre. Il va bien entendu, selon la méthode scolastique, donner un corps d’article, puis pourfendre un à un les arguments de celle des deux listes qui lui agrée le moins. Il est facile de prévoir que les réalistes absolus ou plutôt les idéalistes platonisants sont moins agréables à son créationnisme que ne l’est la position des nominalistes. Le fait est qu’il a consacré aux douze arguments des réalistes outranciers deux pages et qu’il a consacré quatre pages aux quatorze arguments des nominalistes. Il n’a même pas pris la peine de numéroter leurs quatorze arguments car il ne les discutera pas un à un. Il a numéroté par contre les arguments des réalistes outranciers et en effet il les réfutera en trois pages après un corps d’article d’une page. Dans le corps de l’article, il précise qu’il faut distinguer deux unités : une imitas realis et une unilas ralionis. L’unité de l’universel n’est pas une unité réelle, c’est le premier point qu’il faut énoncer : imitas naturæ uniuersalis non est realis. Les réalistes outranciers ont évidemment tort. Ils l’ont si évidemment qu’on pourrait ne pas même prendre la peine de les réfuter à nouveau, les arguments des nominalistes les ayant déjà en bloc confondus. Il existe cependant une unité de l’universel, c’est une unilas ralionis. Dans un thomisme aristotélicien qui paraît avoir profité des acquis

de la sagesse franciscaine, Vincent Ferrier précise : Nalura universalis nihil aliud est quam omnia sua singularia sumpta secundum illud in quo sunt conformia naturæ unilate aclu. Vincent Ferrier explique aisément que c’est la théorie de l’analogie qui permet d’expliquer comment l’esprit saisit la ressemblance spécifique unilas rationis des individus de l’espèce : Omnia singularia hominis et omnia singularia animalis sunt similia in humanilale et animalia in animaliiale. Ergo, quandocumque intelleclus noster intelligil ea ut sunt homincs præcise, vel ut sunt animalia præcise, intelligit Ma ut unum. Sed homo in communi ut animal in commuai nihil aliud est quam sua singularia sumpta secundum quod sunt homines præcise vel secundum quod sunt animalia præcise nihil considerando dealiis. Édit. Fages, p. !). Que cette unité de l’intellect recomposée par l’intelligence humaine provienne d’abord d’un dessein divin et qu’il y ait lieu de tenir compte d’un excmplarisme créateur, voilà ce que Vincent Ferrier ne se demande même pas ici. S’il a songé à cette unité de départ de l’universel, il a dû préférer s’en taire, de crainte de présumer des conditions métaphysiques de la création. Il s’en tient à un ordre humain et proprement gnoséologique, laissant de côté tout ce qui, dans un thomisme plu., primitif et plus théorique, aurait pu sembler le fondement nullement abandonné, au fond, par lui, de la thèse sur l’individuation par la matière seule. Un fait lui paraît acquis : probalum est quod unitas universalis non est realis… Alors, il entreprend la série des réponses particulières aux douze arguments des réalistes averroïsants : 1. d’abord la science du général repose sur la connaissance des particuliers ; 2. l’un et l’autre sont convertibles en chaque individu et non seulement dans l’espèce ; 3. il n’y aurait pas de vraies ressemblances s’il n’y avait pas de vraies diversités : 4. Platon et Socrate, en différant moins entre eux qu’ils ne diffèrent d’une pierre, peuvent cependant différer réellement entre eux ; 5. l’unité de l’action de l’espèce peut être portée par des individus distincts ; 6. l’espèce peut être une analogie simple mais étroite des individus et le genre une analogie plus lointaine ; 7. Platon et Socrate ne s’identifient dans l’humanité qu’en tant qu’ils y sont semblables ; 8 et 9. le fait qu’il y a des abîmes entre les espèces n’empêche pas chaque individu de différer de chaque autre dans chaque espèce ; 10. rien n’oblige à se représenter l’espèce comme correspondant à un seul dessein de la nature ; 11. chacun, selon la nature de son espèce, vit à sa manière ; 12. la loi de l’espèce ne détermine pas rigoureusement tous les actes de l’individu.

Cependant Vincent Ferrier n’est pas un nominaliste. L’universel n’est pas pour lui un flatus vocis. Il écrit en terminant sa question, que, si l’unité de l’universel n’existe pas réellement, la nature de l’universel est essence réelle : Nalura universalis sil realis et non sit una realiter. Du reste si cette quæstio de unilate universalis est dirigée contre les tendances trop monistes, plutôt que contre les nominalistes, le nominalisme n’y est que mieux remis à sa place. D’autre part, l’autre ouvrage de logique que l’on doit à Vincent Ferrier, son Tractatus de supposilionibus dialeclicis est dirigé nettement et avant tout contre les nominalistes excessifs. Vincent Ferrier les y combat en connaissance de cause, suivant de près leurs analyses, et pas du tout en se bornant à des réfutations globales et inopérantes.

2. Sur les suppositions dialectiques.

L'étude des suppositions dialectiques avait été poussée très loin par le nominalisme. Selon l'école de Guillaume d’Occam, la pensée humaine est déjà comme un premier langage commun à tous les hommes. C’est dans ce langage complexe du réel qu’on découpe en se servant de mots, de phrases, des morceaux tout petits, des portions qui sont comme substituées au réel concret. Le signe sert