Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.2.djvu/233

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
1879
1880
RÉALISME. LES NÉO-RÉ ALISMES


nologie und die Philosophie des hl. Thomas von Aquino…, Halle, 1929. Cette étude a été accueillie avec faveur par les maîtres de la phénoménologie. Dès 1923, Husserl avait guidé lui-même le travail de dom Mathias Thiel, Die phânomenologische Lehre der Anschauung im Lichle der Ihomislichen Philosophie, dans Divus Thomas. Par le réalisme du psychologue Brentano, par toute une ambiance philosophique où la scolastique était connue, R. Husserl avait en effet renouvelé sa première culture philosophique qui avait été puisée à l’idéalisme kantien. De cet idéalisme kantien il va toujours conserver cette constatation saine que tout ce que l’on connaît, on ne le connaît que dans sa conscience. Seulement, avec une réelle ingéniosité d'épistémologue, Husserl va déclarer que l’essence qui se donne comme existante n’est pas une inconnaissable noumène, mais le phénomène lui-même. Il va tâcher de tirer parti, comme il en a le droit, de ce double caractère réel et intentionnel, pleinement cosmique et rien que mental, que le phénomène présente à l’esprit. Pour s’introduire au réalisme, à vrai dire mitigé et d’allure parfois idéaliste, de R. Husserl, le mieux sera de profiter de l’introduction générale à sa phénoménologie qu’il a professée à la Sorbonne alors que sa pensée était déjà mûrie. Il l’a publiée sous le titre de Médilalions cartésiennes, Paris, 1931. Husserl y remarque, p. 51, le caractère durable de chacun de ces phénomènes que l’esprit peut observer. L’objet apparaît réel, d’une réalité évidente, transcendante pour l’esprit, p. 52. Cependant l’objet réellement existant n’est qu’un morceau du champ de la conscience, p. 53. Par suite de cette remarque, Husserl a de la peine à s'échapper de l’idéalisme le plus subjectiviste. Mais il en est gardé par son sens du concret. A son moi concret qu’il voit au sein de sa conscience, moi lié à son corps, il voit s’opposer, au sein même du monde intérieur conscient, tout un univers, p. 89. Il existe notamment d’autres hommes et ces hommes contemplent le même univers que le moi, mais différemment : « Je n’appréhende pas « l’autre » écrit Husserl, p. 99, loul simplement comme mon double, je ne l’appréhende ni pourvu de la sphère originale ou d’une sphère pareille à la mienne, ni pourvu de phénomènes spatiaux qui m’appartiennent en tant que liés à l' « ici » (hic), mais — à considérer la chose de plus près — avec des phénomènes tels que je pourrais en avoir si j’allais « làbas » (illic) et si j’y étais. Ensuite, l’autre est appréhendé dans l’apprésentation comme un « moi » d’un monde primordial ou une monade. Pour cette monade, c’est son corps qui est constitué d’une manière originelle et est donné dans le mode d’un « hic absolu », centre fonctionnel de son action. Par conséquent le corps apparaissant dans ma sphère monadique dans le mode de V illic, appréhendé comme l’organisme corporel d’un autre, comme l’organisme de Valler ego, l’est en même temps comme le même corps, dans le mode du « hic » dont l’autre a l’expérience dans sa sphère monadique. Et cela d’une façon concrète, avec toutes les intentionnalités constitutives que ce mode implique. » Poursuivant cette analyse, Husserl trouve que Vorganisme corporel à" autrui apparaît comme un objet premier en soi tout comme l’autre homme est dans l’ordre de la constitution l’homme premier en soi, p. 106. Par cette considération il ébauche un réalisme de la nature aussi bien que de l’esprit. Tout un monde coexiste, p. 108, pour l’autre et pour moi. Ce monde est fait de riches structures concrètes, p. 117. C’est un monde objectif unifié, une seule nature, p. 119, qui peut porter, c’est-à-dire justifier, les concepts des idées abstraites que l’on se fait, p. 131.

La Société thomiste, a consacré à ce réalisme de la phénoménologie une « journée d'études » (à Juvisy, le 12 septembre 1932. Voir l’ouvrage qui rassemble des

communications et les discussions : La phénoménologie, le Saulchoir, 1932). Dom Failing fit observer le caractère prononcé du réalisme husserlien, op. cit., p. 33, encore plus prononcé chez son disciple Heidegger, p. 37. On fit remarquer que c’est le procédé épistémologique de Husserl qui demeure plus spécialement idéaliste, p. 14, pourtant très proche de Bergson, très loin de Kant. Husserl, comme l’observa Mlle Stein, « écarte les sciences (dont part le néo-kantisme) pour remonter aux données préscientifiques et au lieu de déduire leurs constitutions ou à un degré supérieur la constitution des sciences elles-mêmes, il révèle les données par l’analyse réflexive », p. 46. Il retourne aux objets. M. Heidegger est nettement intellectualiste, p. 51. « L’idéalisme transcendantal » de Husserl se ramène lui-même au réalisme pur et simple parce qu’il conçoit la constitution transcendanlale par l’Ego absolu et divin, de telle sorte que les moi psychologiques et leurs objets sont constitués dans leur qualité strictement objective », p. 52. L’intuition des essences dans la phénoménologie n’est, à tout prendre, pas très opposée, du moins de manière irréductible, à l’intuition du bergsonisme. On verra plus loin que cette intuition bergsonienne est réaliste. Bref, phénoménologie, thomisme, bergsonisme jusqu'à un certain point s’apparentent. Il est vrai que pour le P. Kremer, p. 70, la phénoménologie paraît manquer encore d’une théorie satisfaisante de la connaissance. Il y demeure, incontestablement, une crainte tenace de prêter le flanc à la critique des idéalistes. Dans la phénoménologie, au gré des thomistes, la théorie de l’abstraction demeure rudimentaire. Faute de s'être appliqué à cette étude si importante pour un intellectualiste véritable, Husserl, qui tient tant au rôle activement constructeur de chaque esprit humain, en serait même arrivé à faire de l’esprit humain un simple « contemplatif » d’objets concrets, p. 82. Mlle Stein a mis au point les qualités réelles que possède la phénoménologie, même dans l'étude de ce problème délicat : « l’intuition phénoménologique, pense-t-elle, p. 85, n’est pas simplement vision de l’essence uno inluitu. Elle comporte une œuvre de dégagement des essences par l’opération de connaissance de l’intellect-agent, une abstraction, c’est-à-dire l’action d'écarter le contingent et de dégager positivement l’essentiel. Sans doute, le terme de tout ce travail est-il bien la tranquillité de la vision ; mais saint Thomas connaît lui aussi cet intus légère et nous dit de lui que l’intellect humain aux sommets de son opération se rencontre avec le mode de connaissance des purs esprits. Il semble cependant vouloir restreindre cette opération des sommets à l’intuition des principes. Reste à savoir ce qu’il faut entendre par principes et si saint Thomas et Husserl s’accordent sur ce qu’on peut considérer comme susceptible de connaissance intuitive. »

Il est à remarquer que la conciliation d’Husserl et de saint Thomas comme celle de Scot et de saint Thomas, comme celle de Bergson et de saint Thomas est relativement facilitée, dans l’intérêt d’une pérennité du réalisme, si, comme on va le proposer plus loin à propos du bergsonisme, on peut bien considérer la théorie de la connaissance chez saint Thomas moins comme une abstraction des species aristotéliciennes que comme une théorie de la connaissance à partir des sensations considérées comme à l’intérieur de la conscience. Husserl, qui a le sens du concret et aussi du caractère essentiellement psychique, intentionnel de la connaissance du réel, est, sur ce point, plus proche encore du réalisme thomiste qu’il ne l’est sur d’autres points. Par ailleurs, divers disciples de Husserl ont pu utiliser les thèses générales de la phénoménologie, voire ses méthodes, dans des études réalistes de philosophie religieuse.