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RÉDEMPTION. AU MOYEN AGE : S. ANSELME


succomber, elles n’ont rien de commun avec la loi de « justice » que Dieu voulut par ailleurs observer à son égard. Les polémistes qui accusent à l’envi d’immoralité la sotériologie de l’ancienne Église ne peuvent le faire qu’en amalgamant de leur cru, contre toute méthode et toute équité, des éléments disparates que ses représentants n’ont jamais unis.

Thème de la rémission des péchés.

A côté de ces

théories plus ou moins excentriques par rapport à l’essentiel, on oublie, d’ailleurs, trop de voir que la sotériologie patristique en offre d’aussi nettes, souvent chez les mêmes auteurs, où le mystère de la croix est expressément coordonné au principal de ses elTets réparateurs.

1. Expiation pénale.

Pour s’expliquer l’efficacité rédemptrice de la mort du Christ, il était obvie de faire valoir qu’elle acquitte, par voie de substitution, la peine due à nos péchés.

Aussi bien ce thème est-il, dans toute l’antiquité chrétienne, comme une sorte de lieu commun. Difficilement sans doute arriverait-on à trouver un seul Père qui ne l’ait plus ou moins largement traité, soit molu proprio, soit d’après le chapitre lui d’isaïe et les divers textes qui s’en inspirent dans le Nouveau Testament. Voir Lc dogme de la rédemption. Essai d'étude historique, p. 111 (épître à Diognète), 115 (Justin), 132133 (Clément d’Alexandrie), 135-138 (Origène), 168, 173, 175-176 et 183-184 (derniers Pères grecs du ive siècle), 216-217 (Tertullien), 219 (Cyprien), 230, 235-236, 243 et 255-257 (derniers Pères latins).

Quel que soit le prix de ces mentions fugitives, il est encore plus significatif de voir que cette idée fait déjà très souvent l’objet de développements continus. Ainsi dans saint Atbanase, De inc. Yerbi, 6-10, P. G., t. xxv, col. 105-113. au nom de la vérité divine, et dans Kusèbe de Césarée, Dem. ev., i, 10 et x, P. G., t. xxii, col. 84-89 et 716-725, autour du concept d'àvtvJiux ov - ^ °' r encore S.Cyrille d’Alexandrie, De ador. in spir. et ueril., iii, P. G., t. lxviii, col. 293-297.

2. Sacrifice réconcilialeur.

A d’autres c’est la philosophie religieuse éparse dans l'épître aux Hébreux qui inspire une théologie complète du sacrifice dont la croix du Sauveur occupe le sommet.

Dès le iiie siècle, on voit cette doctrine atteindre d’emblée sa plénitude avec Origène, In Num., xxiv, 1, P. G., t.xii, col. 757-758 : …Quoniam peccalum introiit in hune mundum, peccali autem nécessitas propitialionem requiril et propitialio non fit nisi per hostiam, necesse fuit provideri hostiam pro peccato… Scd… unus est agnus qui totius mundi poluit au/erre peccalum ; et ideo cessaverunt celerse hosliæ, quia talis hœc fuit hoslia ut una sola su/Jiccret pro totius mundi salute.

Un peu plus diluée, mais non moins facile à reconnaître pour peu qu’on se donne la peine d’en dégager la trame, elle se retrouve encore à la base de maintes synthèses théologiques chez les grands docteurs du siècle suivant. Ainsi dans Grégoire de Nazianze, Or., xlv, 12-30, P. G., t. xxxvi, col. 640-664 ; Augustin, Enchir., 33-50, P. L., t. xl, col. 248-256. Voir Augustin (Saint), t. i, col. 2368-2370.

3. Bilan de la sotériologie patristique.

Malgré l'état précaire et inachevé de ces constructions sotériologiques, il n’en faut pas davantage pour se rendre compte que la foi au mystère de la rédemption commençait, dès le temps des Pères, à s’organiser en une doctrine cohérente dont les grandes lignes sont encore celles de maintenant.

Plus superficiel, le thème de l’expiation n’a guère, en somme, progressé depuis : sous les espèces de la substitution pénale, il indiquait déjà, sans les formuler ex pro/esso, la gravité de nos fautes devant Dieu et le rôle du Christ en vue de leur pleine réparation. Au thème du sacrifice il manqua seulement de franchir

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

la phase oratoire pour poser à vif et résoudre à fond le problème religieux du péché. Du moins a-t-il fourni le canevas de la solution. Voir Le dogme de la rédemption chez saint Augustin, p. 159-178 ; Le dogme de la rédemption après saint Augustin, p. 44-46 et 104-131.

En regard, toujours est-il que le schéma fondé sur les « droits » du démon n’a que la signification d’une « excroissance doctrinale ». A. Grétillat, Essai de théologie systématique, t. iv, p. 283 ; repris dans H. Rashdall, The idea oj alonement in Christian theology, p. 324. Il n’y a que des polémistes aveuglés par le parti pris, comme après bien d’autres J. Turmel, à vouloir la prendre pour le tronc.

Quant à la mystique de la divinisation, rien n’empêche qu’elle ait pu et puisse encore encadrer — d’aucuns diraient élargir — la doctrine relative à la mort propitiatoire du Christ. Tout au plus risquait-elle d’en amortir le relief. Et c’est ce qui finit par arriver à la tradition grecque, telle qu’elle est résumée par saint Jean Damascène, De orth. fide, iii, 25-27 et iv, 4, 11, 13, P. G., t. xerv, col. 1093-1096 et 1108, 1129, 1136-1137, au lieu qu’en s’attachant, avec saint Grégoire, Moral., XVII, xxx. 46, P. J… t. Lxxvi, 32-33, à la dogmatique traditionnelle du sacrifice, même sans beaucoup l’approfondir, l’Occident restait sur le chemin qui devait le mener au but.


V. Théologie médiévale. —

Il était réservé au Moyen Age de réaliser la synthèse doctrinale dont la tradition patristique avait préparé les matériaux. Le tournant du xi c siècle allait voir s’accomplir d’un coup ce progrès dans le Cur Deus horno de saint Anselme, et d’une manière, somme toute, assez heureuse pour que la crise ouverte par Abélard ne fît que le consolider. Voir L(. dogme de la rédemption. Essai d'étude liistorique, p. 279-315 et 446-482 ; Le dogme de la rédemption au début du Moyen Age. p. 63-260.

1° Œuvre de saint Anselme. - Historiens et théologiens tic tous les bords sont unanimes à reconnaître que le Car Deus homo, P. L., t. clviii, col. 361-131), fait époque. Il fui publié en 1098 et il n’y a pas à compter avec l’hypothèse, soutenue par E. Druwé, Libri sancti Anselmi « Cur Deus homo « prima forma inedila, Rome, 1933, d’une « première rédaction i entièrement différente du texte actuel. Voir.1. Rivière, Un premier jet du « Cur Deus homo » ?, dans Revue des sciences religieuses, t. xiv, 1931, p. 329-369. On lui doit d’avoir pour la première fois systématisé la théologie rédemptrice autour du concept de satisfaction.

1. Exposé.

Sous la forme d’un dialogue avec son

disciple Roson, Anselme y développe une thèse méthodique, en vue d'établir au nom d’une dialectique péremptoire, rationibus necessariis, et de caractère purement rationnel, remolo Christo quasi numquam aliquid fueril de illo (préface), la stricte nécessité de l’incarnation et de la passion. Voir Anselme (Saint), t. i, col. 1338-1339.

Cette démonstration se déroule en deux livres, dont le premier commence par écarter les conceptions courantes de l'économie rédemptrice, notamment celle qu’il était habituel d’emprunter à la « justice » envers le démon (i, 7). Une fois le terrain ainsi déblayé, l’auteur définit le péché comme une violation de l’honneur dû à Dieu et, en conséquence, la satisfaction comme un hommage propre à réparer cette offense (i, 11). D’où il déduit qu’une satisfaction pour le péché s’imposait, au regard tant de Dieu que de l’homme (i, 1219), mais que celui-ci n'était pas en mesure de la fournir secundum mensuram peccali (i, 20-24). Ce qui ne laisse pas à l’humanité coupable d’autre alternative pour être sauvée que l’avènement du Fils de Dieu (i, 25).

Au second livre, Anselme remonte plus haut, pour montrer que Dieu ne pouvait pas renoncer à son plan

T. — XIII — 62.