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    1. REDEMPTION##


REDEMPTION. ÉLÉMENTS DU MYSTERE

1968

réponses du Docteur angélique sont faites chaque fois des mêmes éléments, savoir l’amour soutirant et la souffrance aimante qui se manifestent dans la passion du Fils de Dieu. Au lieu de distribuer un tout en ses éléments complémentaires, la quadruple division de saint Thomas ne fait que distinguer par voie d’abstraction les thèmes logiques applicables à un même fait. liedemplionis igitur per nwdutn meriti, salisfaclionis aut sacrificii diversilas non est nisi secundum considerandi nwdiim. P. Galtier, De inc. ac red., p. 446 ; cf. p. 375 et 392, où déjà la même solution était appliquée au per modum redemplionis. Voir également L. liillot, De Verbo inc., 5e éd., p. 494.

Quant au rapport effectif de ces diverses catégories avec le fond même du mystère, la clause per modum qui les accompagne invariablement chez saint Thomas laisse entendre suffisamment qu’elles contiennent une bonne part d’analogie. De toute évidence, on ne saurait parler ici proprement de « rançon » puisqu’il n’y a pas plus de paiement effectif que de créancier pour le recevoir. Aussi bien le Docteur angélique admet-il expressément, q. xlviii, a. 4, que c’est la satisfaction elle-même qui est, dans l’espèce, quasi quoddam pretium. De même enseignait-il un peu plus haut, q. xlvii, a. 2, que la mort du Christ fut quoddam sacrificium acceplissimum Dco, avant d’y montrer, q. xlviii, a. 3, un verum sacrificium. La théologie de la rédemption ne saurait, en effet, se contenter d’un nominalisme purement rituel et la difficulté commence quand il s’agit de le dépasser. Plus proportionnées à l’objet, les notions de mérite et de satisfaction restent exposées, quand on ne les traite que du dehors, à un formalisme juridique non moins décevant.

Au total, le « rachat » ne saurait être qu’une métaphore pour marquer les conditions onéreuses de notre rédemption. Si l’on ne veut pas s’en tenir à des cadres vides, les autres concepts demandent, à leur tour, une définition et il se rencontre qu’ils en autorisent plusieurs. Non una nec adeo clara est apud omnes auctores nolio salisfaclionis, observe P. Galtier, De inc. ac red., p. 393, et la question de l’essence du sacrifice fait notoirement l’objet d’un débat toujours ouvert.

En retenant ces termes traditionnels, il faut donc pousser l’analyse jusqu’aux réalités qui seules permettent de leur donner un point d’appui et de dominer les controverses d'école dont ils ont à supporter la répercussion.

Données constitutives.

Inscrite dans la trame

de l’histoire par la personne et l'œuvre de son auteur, la rédemption chrétienne offre, de ce chef, à la réflexion non moins qu'à la piété quelques données fondamentales sur lesquelles tous les croyants sont ou peuvent être aisément d’accord.

1. Élément matériel : La passion du Christ. — Ce qui frappe sans doute le plus dans l'Évangile, surtout lorsqu’on pense aux brillantes descriptions du roi messianique chez les Prophètes, c’est la souffrance et l’humilité du Fils de Dieu. Depuis l’obscurité de son enfance jusqu’aux tribulations de son ministère public et aux avanies de sa passion, il se révèle partout comme » l’homme des douleurs ».

Au surplus, ces traits extérieurs doivent être doublés des peines internes que l’on devine çà et là, en attendant qu’elles éclatent au grand jour dans la scène de l’agonie ou la terrible désolation de la croix. Voir, par exemple, les élévations de la bienheureuse Baptista Varani sur les « douleurs mentales du Christ », dans Acla sanetorum, mai, t. vii, p. 496-501. Parmi elles. bien qu’on ne puisse pas proprement parler de « pénitence » à son sujet, cf. Jésus-Christ, t. viii, col. 1286, il faut certainement faire entrer pour une grande part la peine qu’il éprouvait à voir, en ce monde pécheur, la volonté du Père si peu obéie et son nom si mal sanctifié.

Mais ces souffrances ne forment pas seulement un des principaux attraits de sa personne pour le cœur : autant qu'à la méditation de l'âme dévote, elles se recommandent à la raison du théologien. Dans l'économie actuelle du monde, en effet, la douleur est le châtiment du péché. Si donc Jésus souffre, qui est l’innocence même, c’est qu’il reçoit, n’en ayant pas de propres, le contre-coup des péchés d’autrui et en subit la peine. Conclusion aussi légitime que sont indéniables les prémisses de ce raisonnement.

Est-il besoin de dire pourtant qu’il y a dans ce fait, avec toutes les circonstances qu’il renferme, un vouloir de Dieu, qui, entre tous les modes possibles de l’incarnation, a choisi précisément celui-là ? Aucun doute non plus que la volonté humaine du Christ n’ait ratifié ce décret dans le sens même où il était porté. De toutes façons, que l’on regarde au plan objectif de la rédemption ou à sa réalisation subjective, elle apparaît comme un mystère d’expiation, où la faute des coupables n’est remise qu’au prix des souffrances imméritées de l’Innocent.

Non pas qu’il faille nécessairement imaginer une vindicte spéciale envers le Sauveur : en raison du péché qu’il implique à son origine, le drame du Calvaire ne peut relever, dans les plans d’un Dieu sage et bon, voir plus bas, col. 1973, que d’un acte permissif, fl suffit du lien, providentiel et volontaire tout à la fois, qui, par le fait de l’incarnation, unit le Christ aux pécheurs dont il est le frère pour comprendre que la souffrance et la mort aient gardé chez lui malerialitcr, cꝟ. 1'. Galtier, De inc. ac red., p. 398, 401, 403 et 411, le caractère de peine du péché qu’elles ont maintenant chez nous.

2. Élément formel : L'âme du Christ. — A cet élément pénal, qui tient aux conditions de l'œuvre rédemptrice, il faut ajouter le facteur moral dû à la personne de l’agent.

Tout le long de sa carrière, le Verbe incarné fut, à l'égard de Dieu, dans les plus purs sentiments d’obéissance et d’amour. Dispositions religieuses qui atteignent leur apogée au moment de la passion. Non seulement, l’heure venue, il accepte l’amer calice, mais on peut dire que, d’avance, il l’avait librement cherché, prévu et voulu, cf. Hebr., xii, 2, en luttant contre les autorités du judaïsme et affichant à rencontre de leurs préjugés, avec des revendications qui leur paraissaient des blasphèmes, un messianisme qu’elles devaient trouver paradoxal, sinon scandaleux. Par où sa vie entière se colore d’une héroïque magnanimité, pour aboutir au plus généreux des sacrifices. Les conclusions de la christologie rejoignent ici les faits de l’histoire et vice versa.

Sans aucun doute, cette éminente sainteté fait du Christ notre modèle ; mais elle est aussi un bien en soi. Du moment que Dieu a pour agréable l’humble hommage de ses créatures, à plus forte raison celui de son s Fils bien-aimé ». Jamais il ne reçut plus grand honneur, parce que jamais la création spirituelle ne s’enrichit d'œuvres aussi hautes accomplies par une personne d'égale dignité. En quoi cette existence de filial service est par elle-même, devant la majesté divine, en vertu de la solidarité surnaturelle qui fait de lui le représentant de notre race, la compensation de nos péchés, et tout impose d’admettre que le Christ n’a pas pu ne pas l’animer de cette intention.

De ce chef, la rédemption se présente comme un mystère de réparation, où le cruel déficit d’un monde pécheur est comblé par les surabondantes richesses du Fils de Dieu. Qui pourrait ne pas voir combien, à ce titre également, elle est une affirmation de l’ordre éternel, et de toutes la plus grandiose, en regard du désordre qui l’avait extérieurement compromis ?

Ces éléments dissociés par l’analyse sont, d’ailleurs,