Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.2.djvu/310

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
2033
2034
RÉFORME. LES CAUSES EN ACTION


table problème du salut éternel, les exhortations de son maître des novices, de Staupitz, les encouragements demandés avec angoisse aux mystiques, à saint Bernard, à Gerson, à Tauler, à l’auteur de la Théologie allemande.

Luther est ici ce que l’on peuL appeler « un commencement absolu », une vraie cause dans toute la force du terme, c’est-à-dire un « responsable ».

Nous ne disons pas qu’il se soit fait lui-même de toutes pièces. D’où lui venait ce tempérament, cette impulsivité violente et aveugle, cette ardeur impétueuse de lutteur que rien n’arrête, ce caractère indomptable que l’opposition excite au lieu de le brider ? De son milieu, de sa race, de son temps, aurait dit Taine, facteurs vagues où l’analyse la plus exacte ne découvre guère que ce qu’elle a commencé par y mettre. Il était Luther. Sans lui, les événements auraient été autres qu’ils ne furent. La psychologie est ici l’auxiliaire de l’histoire. C’est dans l'âme de Luther, au moyen d’une chimie inédite, que se sont fondus les éléments dont fut formée sa synthèse personnelle : augustinisme, nominalisme, mysticisme, biblicisme, le tout aboutissant à une chose entièrement nouvelle : le luthéranisme.

Le drame dans le cloître a conduit Luther, en ses luttes solitaires et désespérées, jusqu’au dogme de la justification par la foi seule, sans les œuvres, c’est-àdire en somme à une religion nouvelle : la religion du salut inconditionnel, absolument gratuit, don de la pure miséricorde de Dieu, sans nul regard au mérite ou au démérite humain, sans la moindre place laissée à la coopération de la volonté humaine.

Entre cette religion nouvelle et l’ancienne, il est inévitable qu’un conflit s’engage un jour ou l’autre. Mais ce conflit aura plus ou moins d’ampleur, selon que les circonstances tendront à l’amplifier ou au contraire à le limiter.

On peut très bien imaginer l’hypothèse d’un moine découvrant exactement la doctrine de Luther, mais obligé, sans avoir pu faire le moindre prosélyte, de renoncer ou à son opinion propre ou à sa liberté, peutêtre même à sa vie.

Ce qui fit de la trouvaille luthérienne une force énorme de rupture, au sein de l'Église, ce fut la correspondance entre le conflit particulier de Luther avec le passé catholique et les oppositions qui se manifestaient de toutes parts entre ce même passé et son siècle.

Depuis des siècles, on parlait de réforme. Ce fut pour Luther une première intuition de grande conséquence que de savoir couler son opinion propre dans le cadre tout prêt à la recevoir : celui de la réforme tant désirée. La plupart songeaient à une réforme disciplinaire, il identifia la réforme avec une rénovation mystique et il enferma cette mystique en cette formule : l’homme est justifié, selon la Bible, par la foi sans les œuvres. Le seul mot de réforme devait faire merveille. C'était alors un de ces mots « explosifs » que l’histoire peut noter aux diverses époques de transition. La Bible, le Salut, la libération des esprits par la Bible, la libération des âmes par la certitude du Salut, ne plus dépendre du pape, mais de la parole de Dieu seule, ne plus dépendre des œuvres, mais seulement de la foi dans la parole de Dieu, ce fut pour cette époque une sorte d'éblouissement ! Comme nous l’avons dit, il y eut une espèce de romantisme de la « consolation ». On trouva dans la doctrine de Luther la réponse directe, intime, parfaite, à une angoisse générale. Dans un monde corrompu par le paganisme de la Renaissance, trouver ou plutôt retrouver la véritable interprétation du christianisme, de façon à pouvoir être de son temps et ne pas renoncer pour cela à la rédemption apportée par le Christ, c'était là un bienfait in comparable. Et c’est en ce sens qu’il faut comprendre le mot cité de Wundt : « le luthéranisme fut le réflexe de la Renaissance. »

L’incident qui amena le conflit fatal, entre cette doctrine nouvelle et celle de l'Église, fut l’affaire des indulgences. Ce n'était qu’un incident secondaire. La preuve qu’il ne pouvait, à lui seul, légitimer une révolution, c’est qu’il passa presque aussitôt au second plan. Il n'était pourtant pas indifférent que la bataille fût engagée sur une question de cette nature. Les indulgences, dont le principe était non seulement défendable, mais foncièrement conforme à l’esprit du christianisme, qui est avant tout union fraternelle et communauté spirituelle de croyants, étaient devenues une sorte de taxe pontificale, dissimulée sous le couvert d’une institution pieuse. C'était là un des abus les mieux caractérisés, parmi ceux qui s'étaient glissés dans la société chrétienne. Et nous n’en voulons pour preuve que le soin avec lequel le concile de Trente condamnera les pratiques en usage à cet égard jusqu'à Luther.

Mais il y avait ceci de très important, que Luther, en attaquant cet abus, ne prenait pas seulement en main, comme il le prétendait, des intérêts spirituels, chose à laquelle le vulgaire n'était, à cette époque, comme à la nôtre, que médiocrement sensible, mais qu’il se posait en champion d’intérêts matériels très importants et que sa nation considérait comme de tout premier ordre.

2. Le drame dans le cloître devenait de la sorte le drame dans la nation. — Par un enchaînement inexorable, tout allait être mis en cause : l’autorité du pape, l’autorité des conciles, l’autorité du droit canonique, l’autorité des théologiens et du dogme établi, l’autorité de la liturgie traditionnelle, l’autorité de la mystique et de l’ascétique régnantes.

La révolution enfantait un déplacement général des valeurs et un transfert de souveraineté dans tous les domaines.

Ce qui caractérisa le drame dans la nation, ce fut le partage de l’Allemagne en deux camps. Déjà la « Querelle » de Reuchlin avait engendré de profondes divisions. D’autre part, les ambitions des princes contre le pouvoir de l’empereur allaient servir la cause du luthéranisme. Contre les théologiens, Luther trouverait des concours parmi les humanistes et les nationalistes ; contre le pouvoir de l’empereur, Luther allait bénéficier de la volonté d’indépendance des princes. Avant lui, les forces contraires existaient déjà. Son intervention en précipita la mobilisation. A sa voix, répondirent des milliers d’autres voix. Il se sentit porté par le Ilot. Il se fit le héraut de revendications qui n'étaient pas les siennes et auxquelles il n’avait jamais songé. En revanche, il se trouva en foule des Allemands pour se passionner en faveur d’une théologie dont ils ne comprenaient pas le sens réel et qui leur demeurait totalement étrangère, au sens où Luther avait voulu l’enseigner. Le mystique obscur de Wittemberg devint le champion de sa race. Il fut kern-deutscli, comme on dit en Allemagne. Il vit venir à lui non seulement les âmes avides, comme la sienne, de certitude et de « consolation » au sujet du salut, mais aussi les humanistes révolutionnaires, enragés contre Rome, contre les théologiens autoritaires et dogmatiques, contre les « mômerics » des couvents ; il vit venir à lui les prêtres fatigués du célibat qu’ils observaient mal et à contre-cœur ; les moines à qui leurs vœux étaient à charge et que l’impopularité de leur état intimidait ; les bourgeois des petites républiques urbaines, jaloux de leurs évêques, heureux d'être délivrés du fardeau des impositions ecclésiastiques et du joug du pape, tout fiers d’avoir désormais leur pape à eux, imprimé tout neuf, dans leur bibliothèque, la