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RÉFORME. DOCTRINES, SOURCES DE LA FOI


de l’Antéchrist ». C’est en effet ce que Luther affirmait dans son Manifeste à la noblesse. Parmi les « remparts » derrière lesquels se dérobe la tyrannie romaine, il dénonce justement le droit exclusif que s’arroge la hiérarchie d’interpréter les Écritures. Le pape et les évêques ont accaparé la Bible. C’est une usurpation intolérable. Luther essaie de le prouver par deux textes qui nous semblent dénués de tout rapport avec sa thèse : le premier est de saint Paul : « Si un autre, qui est assis, a une révélation, que le premier se taise. » I Cor., xiv, 30. Il s’agit des « charismes ». Luther en conclut que tout fidèle a le droit d’interpréter la Bible. Le second texte est de saint Jean : « Il est écrit dans les prophètes : Ils seront tous enseignés de Dieu. » Joa., vi, 45. Luther veut tirer de ces deux passages la preuve que les clefs de saint Pierre appartiennent à tout le monde et non point au pape seul. Ce n’est pas le pape qui est infaillible, c’est tout fidèle qui « possède la vraie foi, l’esprit, l’intelligence, la parole et la pensée du Christ », c’est-à-dire tout homme qui admet la mystique luthérienne de la certitude du salut par la foi seule. Saint Paul l’a dit du reste : « L’homme spirituel juge de tout et il n’est jugé luimême par p >rsonne. » I Cor., ii, 15. Luther attache une grande importance à ce texte qu’il citera souvent. Il y voit la charte de la liberté de « l’homme spirituel ». Et nous verrons plus loin que l' « homme spirituel » pour lui est celui qui admet sa doctrine de la justification. En résumé, la Bible n’appartient pas au pape ni aux évêques. Elle est le livre des gens qui ont la foi. Eux seuls peuvent la comprendre. Eux seuls ont le droit de l’interpréter. Ni le pape ni les conciles ne peuvent rien contre l’homme spirituel. Or, l’homme spirituel, c’est simplement celui qui a la foi. Mais qu’est-ce que la foi, pour Luther ?

3. La clé des Écritures, selon Luther. — C’est dans sa Préface de la Bible que Luther s’est expliqué sur ce point. Avoir la foi, c’est croire que Jésus a tout payé pour nous, que nous ne devons plus rien, que nulle obligation légale ne pèse désormais sur nous, que Jésus a accompli seul toute la Loi, satisfait pour toute faute, mérité le ciel pour toute âme qui croira en lui, à la condition que cette foi soit une certitude sans l’ombre d’un doute. La Préface de Luther ne contient pas autre chose que ceci : le Nouveau Testament est le contraire de l’Ancien. L’Ancien Testament, c’est la Loi. Le Nouveau, c’est la Promesse, c’est le livre de la grâce. Le mot « Évangile » signifie justement « la bonne nouvelle », le « joyeux message », c’est-à-dire l’heureuse proclamation du fait que le « bon David », Jésus, a vaincu le péché, la mort et l’enfer.

Notons bien que ce n’est nullement par la philologie, par la science objective, par l'étude impartiale que l’on arrive à ce bienheureux secret qui se nomme la foi. Luther n’a pas la moindre intention d’instituer ce qu’on appellera plus tard « le libre examen ». Cette puérilité que l’on retrouve encore ça et là dans des ouvrages d’histoire est aussi éloignée que possible de la pensée des « réformateurs ». « Il est absolument sûr, écrit Luther, en 1518, que les saintes Écritures ne peuvent être pénétrées par l'étude ni par l’esprit (humain). Il faut donc que tu désespères entièrement de ton propre examen et de ta raison pour n’avoir confiance que dans le véritable influx de l’EspritSaint. Crois-en mon expérience. » Luthers Briefweclisel, éd. Enders, t. i, p. 142.

Or, cet influx de l’Esprit-Saint s’exerce d’abord en donnant aux prédestinés la foi, et avec la foi, la certitude du salut. La clé des Écritures, c’est celle-là. Celui qui a la foi peut les lire. Il sait ouvrir toutes les portes. Il a même un critérium sûr pour apprécier la valeur relative des différents Livres sacrés. Tous n’ont pas en effet le même prix, aux yeux de Luther. Son bibli cisme n’est nullement une adoration aveugle du texte biblique. Saint Paul lui a appris que « l’homme spirituel juge tout ». Son biblicisme est donc à base d’illuminisme. C’est au nom de cette mystique que nous avons nommée la « mystique de la consolation », que Luther classe les saints Livres. De même qu’on pèse le degré d’alcool d’une liqueur, Luther se fait fort de peser le degré « d’esprit évangélique » des diverses parties de l'Écriture, par l’unique emploi de la règle qu’il a su formuler : « Tous les Livres authentiques de la sainte Écriture concordent en ceci que tous ils traitent du Christ et prêchent le Christ. Et c’est cela qui est la vraie pierre de touche pour éprouver tous les Livres… Tout ce qui n’enseigne pas le Christ n’est pas apostolique, quand saint Pierre et saint Paul l’enseigneraient. Inversement, tout ce qui prêche le Christ est apostolique, quand ce seraient Judas, Anne, Pilate et Hérode qui l’auraient fait… Par là, vous pourrez conclure et savoir quels sont les meilleurs (parmi les Livres saints)… Ainsi l'Évangile de saint Jean est le seul Évangile principal. Il est tendre et juste. Il faut le placer très haut au-dessus des autres. De même, les Épîtres de saint Pierre et de saint Paul passent bien avant les écrits de Matthieu, Luc et Marc. Bref, l'Évangile de saint Jean, sa première Épitre, les Épîtres de saint Paul, surtout celles aux Romains, aux Galates, aux Éphésiens, la première Épitre de saint Pierre, voilà les livres qui t’apprennent à connaître le Christ et t’enseignent tout ce qu’il t’est nécessaire de savoir pour être saint, sans qu’il soit utile de connaître aucun autre Livre saint, ou enseignement. Auprès de ces Livres-là, l'Épître de saint Jacques est une véritable épître de paille, car elle ne présente aucun caractère évangélique. » Kidd, op. cit., p. 104-105.

En somme, Luther ne professe qu’un biblicisme tout subjectif. Chaque livre des Écritures ne vaut que par la « consolation » qu’il en a tirée, au moyen de la certitude inconditionnelle du salut par la foi. Il est donc tout opposé au biblicisme des humanistes et notamment d'Érasme.

4. La clarté des Écritures.

C’est justement dans

sa controverse contre Érasme que Luther fut amené à affirmer que l'Écriture est parfaitement claire. Dans son système, cela est nécessaire. Il faut que la Bible soit claire. Tout croule pour lui, si elle ne l’est pas. Elle est donc d’une clarté sans nuages. S’il y a des passages obscurs, ils ne comptent pas. Si on objecte à Luther des passages qui semblent réfuter son dogme central, celui de la justification par la foi seule, il va jusqu'à renier l'Écriture sur ce point : « Tu fais grand fracas, écrit-il, avec l'Écriture. Elle n’est que la servante. Et tu ne la produis ni en entier, ni en ce qu’elle a de meilleur, mais seulement en quelques passages sur les œuvres. Je t’abandonne l'Écriture. Moi, je veux me prévaloir du Maître, qui est le roi de l'Écriture. Il est mon mérite, la rançon de ma justice et de mon salut ». W., t. xl a, p. 457-459, texte de 1531, recueilli en 1535, déjà cité à l’article Luthek.

Le biblicisme de Luther a donc des éclipses. Il admet que l'Écriture contient des erreurs. Mais il jette un voile prudent sur cet aspect de sa doctrine. De tels aveux sont rares chez lui. Le plus souvent, il se borne à attester la parfaite clarté des Ecritures : « Si quelqu’un d’entre eux (les papistes) vous aborde et vous dit : Il faut étudier les Pères ; l'Écriture est obscure, vous leur répondrez : C’est faux. Il n’y a pas de livre sur la terre plus clair que l'Écriture. Comparée aux autres livres, elle est comme le soleil auprès des autres lumières. » W., t. viii, p. 235 (1521). On comprend que, lorsqu'Érasme prétendit qu’il y axait dans la Bible des passages obscurs, Luther lui répondit avec indignation : « Qu’il y ait, dans l'Écri-