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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.2.djvu/328

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RÉFORME. DOCTRINES, L’EUCHARISTIE


d’Ailly contre ce prétendu dogme. Et il ajoute : « Pour moi, quand j’ai reconnu quelle Église a défini cela, à savoir l'Église de Thomas d’Aquin et d’Aristote.je suis devenu plus hardi et j’ai fini, alors que je ne savais que penser et croire auparavant, par m'établir dans la conviction que le pain réel et le vin réel sont là et qu’en eux le vrai corps et le vrai sang du Christ ne sont ni autrement ni moins présents qu’ils ne le sont, d’après eux, sous les accidents. » Après tout, poursuit-il, sur quoi s’appuient les thomistes ? Ils n’apportent aucune preuve d'Écriture. Ils se contentent de crier au sujet de la thèse adverse : cela est wyclifïite ! hussite ! hérétique ! Nous croyons, nous, au contraire, que l’on peut bien nier la transsubstantiation sans hérésie. Il faut prendre les paroles de l'Écriture en leur sens le plus obvie et le plus simple. Or, l'Écriture appelle l’eucharistie pain et viii, donc le pain et le vin restent après la consécration. Pendant douze cents ans l'Église n’a pas cru autre chose. Rien au surplus ne s’oppose à la permanence du pain et du vin. « Deux substances, le feu et le fer, se mêlent bien… de telle sorte que chaque partie soit à la fois feu et fer. Pourquoi le corps glorieux de Jésus-Christ ne pourrait-il pas mieux encore être présent dans chaque partie de la substance du pain ? » Heureusement, conclut Luther, le peuple ne comprend rien à toutes ces subtilités. Ne raffinons point. Lorsque Jésus dit : « Ceci est mon corps », entendons : « Ce pain est mon corps. » Et qu’on ne vienne point nous imposer la transsubstantiation comme un dogme !

Luther signale encore l’analogie qu’il y a entre l’incarnation et la présence réelle. Il est probable qu’il a ouvert des voies par là à l’opinion d’Osiander sur l’impanation ou union substantielle entre le pain et le corps de Jésus-Christ. Mais il ne semble pas que Luther ait admis l' importation, c’est-à-dire l’union hypostatique entre le corps du Christ et le pain, mais bien plutôt la consubstantiation, c’est-à-dire la présence simultanée de la substance du corps du Christ avec la substance du pain. Le plus souvent il emploie les mots : dans, avec, sous le pain, sans s’expliquer davantage. Ainsi, dans le Grand catéchisme de 1529, il se demande ce que c’est que l’eucharistie et il répond : « C’est le vrai corps et sang du Seigneur Christ, dans et sous le pain et le viii, en vertu de la parole du Christ, nous recommandant de le manger et de le boire. » La parole de Dieu ne doit pas être mise en doute : « Quand même cent mille diables, joints à tous les fanatiques, viendraient dire : « Comment le pain et le vin peuvent-ils « être le corps et le sang du Christ ? » je sais bien, moi, que tous les esprits et tous les savants, mis en un seul tas, ne sont pas aussi sages que la majesté divine, dans le bout de son petit doigt. » Luther ne veut donc pas de recherche savante. On doit se soumettre humblement à l’enseignement divin et ne rien regarder au-delà. Ni le ministre, ni le communiant ne peuvent rien changer au sacrement. « Même si un coquin prend ou donne le sacrement, il reçoit ou communique le vrai sacrement, c’est-à-dire le corps et le sang du Christ, tout aussi bien que celui qui le traite, aussi dignement que possible. Car il n’est pas fondé sur la sainteté des hommes, mais sur la parole de Dieu. >

Les effets du sacrement d’eucharistie sont renfermés dans ce mot : il est la nourriture de nos âmes. Il nous donne la certitude personnelle de la rémission des péchés et il nourrit cette certitude.

Pour le recevoir, une seule disposition est nécessaire, la foi. Il faut croire à ce que dit la parole : « Prenez et mangez, ceci est mon corps. » Il faut croire à ce qu’elle nous apporte. Et Luther achève son exposé en gourmandant les chrétiens négligents qui oublient le grand don que Jésus nous a fait, en nous laissant le sacrement de son corps et de son sang. 2° La doctrine eucharistique de Zwingli.

Les récentes recherches de Walther Kohler ont jeté une vive

lumière sur les variations de Zwingli au sujet de l’eucharistie. Kohler, Zwingli und Luther, Leipzig, 1924. Le savant historien a établi que, jusqu'à 1522, Zwingli ne semble pas avoir élevé la moindre objection contre la doctrine eucharistique traditionnelle. Ses préoccupations d’alors portaient sur les lois pénitentielles du jeûne et de l’abstinence et sur le célibat ecclésiastique, dont on sait qu’il supportait très impatiemment le joug. C’est dans Y Archeteles, du 22-23 août 1522, que Zwingli commence à critiquer pour la première fois la doctrine catholique de l’eucharistie'. Mais ses critiques ne portent encore que sur deux points : le caractère sacrificiel de la messe et la communion sous une seule espèce. Parmi les 07 thèses de la première dispute de Zurich, le 19 janvier 1523, la 18e porte sur l’eucharistie et il n’y est question que de la négation du sacrifice de la messe, nullement de la présence réelle. Ce n’est que dans la lettre àWyttenbach, son ancien maître, que Zwingli s'élève contre la transsubstantiation (15 juin 1523). Jusqu'à 1524, ses idées sont assez voisines de celles de Luther, sauf sur un point : il n’admet la présence réelle que pendant la célébration de la cène : in usu et non extra usiun.

Par ailleurs, Zwingli rappelle ici sa théorie sacramentaire. Il ne croit pas que le sacrement d’eucharistie ait pour but de nourrir la foi. La foi n’a pas besoin de sacrement. Elle se suffit sans cela. L’eucharistie n’est qu’un secours pour les simples ou, si l’on veut, un fortifiant, un embellissement esthétique de la foi du chrétien. Elle est surtout le banquet de la fraternité chrétienne. C’est surtout l’amour du prochain qui nous fait un devoir d’y participer.

Mais, vers le milieu de 1524, un changement radical se produit dans la doctrine eucharistique de Zwingli. Quatre facteurs principaux précipitent cette évolution : une lettre que Zwingli reçoit du Néerlandais Cornélius Hoen, l’entrée en ligne de Karlstadt, l’accentuation de la doctrine de Luther dans un sens réaliste, la rupture de Zwingli avec son premier maître Érasme.

De ces quatre facteurs, de l’aveu même de Zwingli, c’est le premier qui a agi avec le [dus de force. Il dira positivement, dans son Arnica exegesis, du 27 février 1527 : « C’est du Néerlandais 1 lonius, dont la lettre me fut apportée par Jean Rhodius et Georges Saganus, que j’ai reçu l’interprétation de est par signifiait. » Et comme cette interprétation n’apparaît chez Zwingli que dans sa lettre à Matthieu Alber, de Reutlingen, en date du 16 novembre 1524, il y a de bonnes raisons de croire que la visite des amis de Iloen doit être placée au cours de cette même année, probablement en mai.

Cornélius Hoen (Honius) était un avocat de La Haye qui avait découvert, dans les écrits de l’hérésiarque Wessel Gansfort (1419?-1489), un traité de l’eucharistie qui l’avait engagé lui-même en des études sur ce sujet devenu brûlant depuis la révolte de Luther. Ses réflexions, il les avait rédigées sous forme de lettre. Les amis de Hoen avaient colporté cette lettre dans les divers centres de la soi-disant Réforme, à YVittenberg, Râle, Zurich. Cette lettre indigna Luther mais séduisit Zwingli. Tandis que Luther, en mystique excessif, pour qui la « présence » est la source de douces consolations, dont il lui serait dur de se séparer, tiendra fermement à la présence réelle de Jésus dans l’eucharistie, Zwingli, formé aux doctrines humanistes de la religion purement spirituelle, prêtre peu édifiant par ailleurs, éprouvera, semble-t-il, une sorte de soulagement à se libérer d’un dogme qui heurtait sa raison et ne parlait plus depuis longtemps à son cœur.

La lettre de Hoen contenait déjà tous les arguments dont Zwingli devait se servir dès lors pour nier la pré T. — XIII. — 66.