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REFORME. DOCTRINES. L’ORDRE


des Articles de Smalkalde prouve que Luther aurait aussi admis l’ordination de la part des évêques, mais sans caractère sacramentel.

En résumé, pour Luther, l’Église est l’assemblée invisible des saints. Elle devient visible par deux marques : la prédication du pur Évangile et l’administration des sacrements, tout cela selon son sens à lui, bien entendu. Dans cette Église, tous sont égaux. Mais l’autorité civile désigne les ministres du culte, comme tous les autres fonctionnaires. Ces ministres reçoivent une consécration publique, que l’on peut appeler l’ordination. Toutefois cette ordination n’est pas un sacrement. En serait-elle un, comme le voudrait Mélanchthon, que ce ne serait pas le même que celui des catholiques, car cette ordination ne fait pas des sacrificateurs, mais seulement des prédicants. Ces prédicants ne sont pas des chefs d’Église. Il appartient à la communauté de les contrôler, de les corriger au besoin et même de les déposer, sous la haute autorité du prince.

Zwingli et le sacrement de l’ordre.

Zwingli n’eut

pas besoin du principe du sacerdoce universel pour exécuter la hiérarchie ecclésiastique, dont il voulait supprimer l’autorité. L’appel à la Bible lui suffit pour cela* Du moment que la Bible contient toute vérité et qu’elle est claire pour tous, il n’y a qu’à instituer une « dispute publique » sur le contenu de la Bible. Les magistrats de la cité seront les arbitres. Du coup, toute autorité leur sera transférée, sous los apparences des textes bibliques. C’est ce que fit Zwingli par la dispute de Zurich, de janvier 1523. Dans ses Thèses, rédigées en vue de cette dispute, on trouvait les déclarations que voici au sujet de l’Église et du sacerdoce : j « Tous ceux qui vivent sous ce chef (le Christ) sont les membres et fils de Dieu et c’est cela qui constitue l’Église ou communion des saints, l’épouse du Christ, l’Église catholique. » Thèse 8. « Le Christ est l’unique et éternel prêtre. Tous ceux donc qui se vantent d’être des prêtres souverains sont les adversaires de la gloire et de la puissance du Christ et ils rejettent le Christ. » Thèse 17. Du coup se trouvaient expulsés de l’Église le pape et les évêques. Mais Zwingli voulait aussi supprimer tous les insignes cléricaux. La thèse 26 dit donc : « Rien ne déplaît plus à Dieu que l’hypocrisie : nous apprenons par là que c’est une grave hypocrisie et une audace impudente que de se donner comme saint devant les hommes : de ce chef tombent les soutanes, insignes, tonsures, couronnes, etc. » Enfin, la thèse 37 donnait un assaut direct à l’autorité hiérarchique : « La puissance que le pape et les évêques et le reste de ceux que l’on nomme les supérieurs spirituels s’arrogent et le faste dont ils se gonflent n’ont aucun fondement dans les saintes Lettres et dans la doctrine du Christ. » Zwingli, comme Luther, ne veut reconnaître d’autre pouvoir que le pouvoir de l’État. Il repousse tout « dualisme ».

Pourvu que le pouvoir civil veuille bien reconnaître l’Évangile, Zwingli lui confère tous les pouvoirs. Il offre ouvertement l’alliance de l’Évangile à la bourgeoisie qui commande dans la cité. Il soumet au Conseil de ville toute l’administration spirituelle. Le « pasteur » ne sera qu’un fonctionnaire, pour lui comme pour Luther. La façon dont Zwingli parle du pastoral implique d’une part une haute idée de cette fonction et d’autre part une grande indépendance du fidèle envers elle. Le chrétien de Zwingli n’a pas le moins du monde besoin de son curé pour faire son salut. Ni les sacrements, ni les sermons ne sont indispensables. Le pasteur, ou l’évêque, car Zwingli se nomme volontiers l’évêque de Zurich, doit se contenter d’être l’expression de la conscience publique et d’exercer sa vigilance au nom de la Bible sur les petits et les grands. Le pasteur représente l’âme de l’Église, mais cette âme —

contrairement à l’enseignement des anabaptistes, qui ne croient pas que l’on puisse appartenir à l’Église visible sans appartenir aussi à l’Église invisible— est entièrement subordonnée au corps, c’est-à-dire à l’Église du lieu, qui se confond avec la cité même, lorsque la cité est dirigée par des magistrats professant l’Évangile. Nous allons trouver des idées assez différentes chez Calvin, qui ne sera jamais disposé à humilier le pastorat devant l’autorité civile, mais voudra au contraire soumettre l’autorité civile à la Bible interprétée par le pastorat.

La hiérarchie chez Calvin.

Il s’est produit chez

Calvin une évolution très nette vers l’autoritarisme. Dans la première édition de l’Institution, il est surtout préoccupé de démolir le concept catholique de l’Église et de son autorité sur les âmes. Il insiste sur le concept de l’Église invisible « société des prédestinés », n’ayant d’autre chef que Jésus-Christ. Il repousse naturellement l’ordination en tant que sacrement et lui substitue l’appel ou la vocation, aboutissant soit au soin des âmes (prêtre, ancien ou évêque, tous ces mots signifiant, selon Calvin, ministres de la parole), soit au soin des pauvres (diacre).

Mais quand il réédile l’Institution, en 1539, il a déjà mis la main à la pâte. L’expérience acquise modifie son langage. Il insiste moins sur l’Église invisible. Il ne fait que la mentionner pour s’occuper aussitôt de l’Église visible passée au premier plan de ses préoccupations. Enfin, c’est en 1543, qu’il met au point toute sa doctrine de l’Église. Il croit avoir fait le tour de l’histoire. Il dresse sa science historique toute fraîche et trouée d’énormes lacunes contre l’Église de son temps. Il n’a aucune idée de l’évolution et il triomphe naïvement de toute innovation survenue au cours des siècles.

A la critique acharnée et hargneuse de l’Église catholique, il joint sa propre conception de l’Église. Outre l’Église invisible, qui est « la compagnie des fidèles que Dieu a ordonnés et élus à la vie éternelle », Calvin admet l’Église visible, qui est, avec les sacrements, l’un des deux « moyens extérieurs ou aides dont Dieu se sert pour nous convier à Jésus-Christ son Fils et nous retenir en lui ».

Comment connaîtrons-nous la véritable Église ? A deux marques : la prédication de la pure parole de Dieu, et l’administration des sacrements selon l’institution du Christ… Ce sont les deux marques luthériennes, tandis que la marque zwinglienne était simplement : une manière de vivre sous le commandement du Christ seul. Calvin tend même à maintenir un lien d’union entre toutes les Églises protestantes, en dépit des désaccords qui peuvent les opposer les unes aux autres, en distinguant entre les articles « dont la connaissance est tellement nécessaire que nul n’en doit douter », et ceux qui « sont en dispute entre les Églises et néanmoins ne rompent pas l’unité d’icelles ». On reconnaît ici la fameuse théorie des Articles fondamentaux, dont Jurieu devait faire si grand usage contre l’argument des variations de Bossuet. Calvin du reste se garde bien de préciser. Considère-t-il la théorie eucharistique de Zwingli ou la « consubstantiation » de Luther comme compatibles avec sa propre doctrine ? Il ne le dit pas. Il réserve toutes ses diatribes pour l’Église papale.

Quand il en vient à l’organisation hiérarchique, il démontre que Dieu a établi dans son Église des apôtres, des prophètes, des évangélistes, des pasteurs, des docteurs. Les trois premiers ordres étaient réservés à la période de fondation. Il ne reste plus que les pasteurs et les docteurs.

Ceux-ci n’ont pas charge de discipline. Ce sont des professeurs d’Écriture sainte. Les pasteurs administrent les sacrements. Donc, des curés qui donnent les