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REGNON (THEODORE DE'


n’avaient abouti à aucune conclusion. Clément VIII avait d’abord incliné assez nettement à censurer quelques propositions émises par Molina ; Paul V, en mettant fin aux discussions, avait imposé silence à ses cardinaux ; et à la faveur de ce silence, des rumeurs fantaisistes avaient été répandues. On assurait que la condamnation de Molina était décidée en principe, le temps seul demeurant incertain. Or la note manuscrite de Paul V, rédigée le 28 août 1607 après une dernière audition des cardinaux, imposait une conclusion toute différente. Il ressort de cette note que, dans la séance finale du 28 août 1607, seul le cardinal d’Ascoli, O. P., opina nettement pour la censure de 42 propositions extraites de Molina, les cardinaux Bellarmin, S. J., et Du Perron repoussant la censure et estimant qu’il y avait plutôt lieu de censurer l’opinion de Banes comme favorable aux protestants ; six autres cardinaux donnant des suffrages hésitants dont on ne pouvait rien tirer. Personnellement, Paul V concluait que l’opinion des dominicains est très différente de celle de Calvin ; que l’opinion des jésuites est très différente de celle des pélagiens ; que le mieux est présentement de laisser les choses en l'état. Schneemann a reproduit cette pièce en italien, p. 287 sq., en y joignant une reproduction phototypique ; de Regnon l’a traduite en français, p. 57-62.

Le volume très personnel du P. de Regnon mérite d'être lu comme il fut écrit, en toute droiture de raison, avec la générosité d’une âme incapable d’aucune malveillance. On ne s'étonnera pas que, fraîchement descendu de la chaire de physique où il a peiné vingt ans, il ne dispose pas toujours d’une information de première main et manque parfois de nuances dans ses conclusions. Même les amis du P. de Regnon se surprennent quelquefois à consteller ses marges de points d’interrogation. Avant de lui consacrer ces quelques lignes, nous avons voulu relire une fois de plus Banes et Molina, et refait une fois de plus la même expérience. L’ensemble n’en est pas moins d’un penseur très distingué, d’un théologien sans reproche, et d’un maître écrivain.

Cette publication eut un épilogue. Le P. H. Gayraud, O. P., lui opposa deux brochures sous ce titre : Thomisme et molinisme, Toulouse, 1889 et 1890. Le P. de Regnon répliqua sous le titre : Bannésianisme et molinisme, dans la Science catholique, Lyon, 1889, puis en volume, Paris, 1890, vi-149 pages. Sur cet épilogue, nous renverrons à l’article Gayraud.

2° La métaphysique des causes, d’après saint Thomas et Albert le Grand, Paris, 1886, in-8°, 770 p. ; 2e éd., précédée d’une héliogravure Dujardin, préface par Gaston Sortais, 1906, xx-663 p. Après un hommage à l’initiative de Léon XIII « rappelant la philosophie aux méthodes scolastiques et aux doctrines des grands maîtres », l’auteur explique le dessein de son ouvrage (p. 14) : « Rendre claire la notion de cause en la dégageant des notions adjacentes, montrer comment l’influence de la cause s'épanouit en causalités distinctes, expliquer la nature de ces diverses causalités et leur corrélation, enfin dans le jeu des causes simultanées faire voir l’unité et l’harmonie… Élude préparatoire, que je crois utile à ceux qui veulent comprendre saint Thomas dans saint Thomas lui-même. » Nous transcrirons les titres des neuf livres : I. Principes de logique. II. Notions métaphysiques. 111. Cause efficiente.

IV. De la cause formelle et de la cause matérielle.

V. Cause exemplaire. VI. Cause finale. VII. Corrélation des causalités. VIII. Classification des causes. IX. Coordination des causes. La belle ordonnance de cet austère volume conquit de nombreux lecteurs. Le P. de Regnon avait débuté — pur accident - par l’histoire d’une controverse ; il se montrait cette fois dans un cadre de son choix, épris de spéculation pure, divisant un sujet avec art, débitant sous des titres

fort nets de menus blocs de lumière, semblables à des diamants bien taillés. Aucun autre ouvrage ne donne une idée plus juste de ce qu'était dans l’intimité l’auteur, penseur et causeur, métaphysicien de race, théologien surtout, s'élevant à Dieu, par un libre vol, à propos d’objets familiers. Le public français, surpris et charmé, fêta ce livre classique et le redemanda.

3° Études de théologie positive sur la Sainte Trinité. Première série : Exposé du dogme. Deuxième série : Théories scolastiques, Paris, 1892, 2 in-8°, xii-514 et xii-584 pages. Troisième série : Théories grecques des processions divines. Quatrième série : Suite du même sujet, 1898, vi-584 et 592 pages. Les deux derniers volumes parus après la mort de l’auteur.

Le succès de la Métaphysique des causes avait enhardi le P. de Regnon à une plus vaste entreprise. Le mystère de la Trinité l’attirait puissamment ; il commença de l'étudier chez les Pères et chez les scolastiques, sans plan très arrêté, un peu au gré de sa fantaisie. Lui-même se définissait « un coureur de bois » ; et cette plaisanterie renfernie, avec beaucoup de modestie, quelque vérité. Chaque auteur formait pour lui un système clos ; il s’y enfermait, jaloux d’arracher à ce Père, à ce scolastique, le secret de sa pensée profonde, au cours d’un tête-à-tête prolongé. Il ne s’interdisait pas, pour autant, de grouper les conclusions de ses enquêtes, de distinguer des familles d’esprits et des familles d'âmes ; mais l’ambition qu’eut, par exemple, un Petau d'écrire l’histoire d’un dogme lui demeura étrangère. Amateur de métaphysique religieuse avant tout, et secondement de psychologie, sa curiosité était satisfaite quand il croyait avoir touché le fond de la pensée d’un auteur ; et les portraits qu’il traçait avec amour témoignent, par le sobre éclat du style, des joies intellectuelles qu’il a goûtées au cours de ces méditations. Après avoir, dans un premier volume, traité des questions générales et déjà rencontré les Pères grecs, il s’attacha, dans un second volume, aux scolastiques : saint Thomas, qui toujours fut pour lui le maître par excellence ; Richard de Saint-Victor, dont les constructions hardies et les élans mystiques ouvraient devant son esprit des perspectives singulièrement attirantes ; les grands franciscains, Alexandre de Halès et saint Bonaventure. Après quoi il revint aux Grecs, et ne les quitta plus, au cours de ses deux derniers volumes. La pensée grecque, si concrète, si proche de l'Évangile, mettant au premier plan de la théologie trinitaire la distinction des personnes, répondait, par son côté pittoresque, à un besoin profond de son esprit. Il semble avoir trouvé moins de satisfaction à fréquenter la pensée latine, pour qui le dogme de l’unité divine occupe le premier plan de la théologie trinitaire ; et ce n’est pas pour le lecteur un mince sujet d'étonnement de constater qu’au cours de ces quatre volumes, il touche à peine à saint Augustin. Quand on lui signalait une lacune à combler, peut-être une retouche à accomplir, une lecture propre à supplémenter son enquête, il répondait : « Laissez-moi ! » et défendait jalousement l’originalité, l’indépendance, j’oserais dire la virginité de ses conclusions. N’a-t-il pas poussé un peu loin le sentiment de l’opposition entre la pensée grecque et la pensée latine, dans la question trinitaire ? On a pu se le demander : le relief puissant de son style explique un tel doute, qui ne jette aucune ombre, si légère soit-elle, sur la correction de sa pensée intime. Le doute porte principalement sur les deux derniers volumes qu’il n’a pas revus : s’il en avait eu le loisir, des entretiens fraternels auraient pu l’amener à retoucher quelques expressions. Étude xviii, t. ni ; Études xxiv et xxvii, t. iv. Les éditeurs de cette œuvre posthume l’ont traitée comme un document qu’il fallait respecter ; on ne peut que louer leur discrétion.