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2187 HELIGION. DONNÉES DE L’ETHNOLOGIE : L’ANIMISME 2188

due religion naturelle n'était nullement ce que pensaient ses partisans. Loin de représenter l’essence des éléments communs à toute religion humaine, elle était un produit très spécial de la pensée philosophique, c’est-à-dire réfléchie, dans une petite partie de l’humanité, à une époque fort peu religieuse. Elle n'était en fait, que le monothéisme européen des siècles précédents réduit à la forme pâle et abstraite d’un déisme rationaliste. Chaque progrès fait par l'étude positive des religions inférieures a rendu plus évident le désaccord entre les faits et l’hypothèse de l’universalité de la religion naturelle. » La morale et la science des mœurs. Paris. 1907, p. 202. Le témoignage de l’ethnologie n’est peut-être pas tout à fait celui que pense M. Lévy-Bruhl, en tout cas il prouve au stade primitif de l’humanité, ou du moins insinue, tout autre chose qu’une religion naturelle sans culte collectif et sans croyances transcendantes.

Nous verrons plus loin en discutant les idées de Durkheim : 1° que l’idée de Dieu se trouve dans toutes les religions ; 2° qu’au contraire, celle d’Eglise ne se trouve pas nécessairement en toute religion, bien que toute religion y tende.

II. Les données de l’ethnologie et de la sociologie sur l’origine et la nature de la religion. — C’est surtout à l’ethnologie et à la sociologie qu’on s’adresse de nos jours pour déterminer l’origine de la religion. Nous verrons que les données de ces deux sciences ne suffisent pas à résoudre ce problème. Mais, vu le nombre et la diffusion des théories basées sur elles, nous devons tout d’abord les examiner. Parmi toutes ces théories nous ferons un choix, estimant plus profitable d’exposer et de discuter avec quelque détail quelques systèmes sous la forme que leur ont donnée certains auteurs représentatifs, que de porter des jugements hâtifs et sommaires sur une multitude de travaux divers.

I. l’animisme. — 1° Expose. — Si Hurnctt Tylor, professeur à Oxford, n’a pas créé de toutes pièces cette théorie, néanmoins dans son ouvrage sur la civilisation primitive, Primitive culture, paru à Londres en 1872 et réédité plusieurs fois jusqu’en 1913, il en a donné un exposé si bien ordonné et d’une si vaste érudition que, depuis, la grande majorité des ethnologues et des historiens des religions non-croyants s’en sont inspirés. « Il serait, écrit Mgr Bros, difficile d’exagérer l’importance de ce système. En Angleterre, il devient vite, malgré la ténacité de l’opposition de Max Miiller « la « théorie classique. » C’est le mot d’Andrew Lang. Keave, Frazer, Marrett, K. Smith, Sydncy-Hartland sont avec plus ou moins de réserves des disciples de Tylor. Goblet d’Alviella, Tiele, Réville, Dcniker, Saloinon Hcinach font à l’animisme une place importante dans leurs travaux. La plupart des savants allemands y compris l'école panbabyloniste font bon accueil à l’animisme tylorien. Seul ou à peu près Chantepie de la Saussay s'élève contre ceux qui partout flairent l’animisme. « Le P. Schmidt le remarque : « Actuellement la théorie de l’animisme ressemble encore à un fleuve large et puissant dont les ondes entraînent tout. En général, l’empire de la théorie animistique apparaît encore comme universel. Idée < ! < Dieu, p. 38. Nous ne citons que les ethnologues. Comme il était naturel, l’anthropologie et l’histoire ont été à leur tour fortement dominées par la théorie lylorienne. » liros, L’ethnologie religieuse, Paris, 1923. Ces lignes oui, il est vrai, été écrites il y a treize ans. Dans son ouvrage : Origine et évolution de la religion (paru en allemand en 1 9311, traduit eu français en 1931), le l'ère l'.-YV. Schmidt reconnaît le large iredit de l’animisme pendant trois décades (p. Il ni de la traduction française), mais signale que, quelques années après le début du XXe Siècle, « île plusieurs ec’iles, l’animisme était vivement attaqué « et qu' « il n'était

plus possible de rétablir son autorité ». Ibid., p. 114. Il reste néanmoins encore très répandu.

Voici d’après le même P. Schmidt les principaux traits de l’animisme tylorien.

1. L’homme se forme premièrement l’idée de quelque chose de différent du corps, l'âme. Il y est acheminé par la considération de deux groupes de faits biologiques : d’une part, le sommeil, le ravissement, la maladie et la mort ; d’autre part, les rêves et les visions. Les premiers révèlent à l’homme primitif un état du corps abandonné plus ou moins par le principe vital et laissé à lui-même. Les seconds lui font voir ce principe incorporel, l'âme, exerçant en pleine indépendance certaines activités. L’idée d'âme ainsi obtenue ne vaut originairement que pour l’homme. Elle s’enrichit bientôt de la foi en la survie de l'âme après la mort et en des migrations de l'âme. Le soin des morts apparaît très tôt. La notion d’une rétribution dans l’au-delà est, par contre, d’origine plus récente. E.-B. Tylor, Primitive culture, l rc édit., t. i, p. 377 sq. ; t. ii, p. 5 sq., p. 76 sq.

2. Son être personnel, était, pour l’homme primitif, le type de tous les autres. N’ayant l’expérience intime que de soi-même, il concevait tout le reste d’après son propre cas, spécialement les animaux et les plantes, qu’il imaginait composés comme lui d’un corps et d’une âme. La condition des autres êtres ne pouvait non plus être différente. Cette identique constitution étant supposée, l’idée d’une diversité de nature entre l’homme et les autres êtres n’entrait pas dans son esprit. Lui et eux étaient apparentés. Ibid., t. ii, p. 99 sq.

3. Le culte des ancêtres, c’est-à-dire de devanciers qui, n’ayant plus de corps terrestre, représentaient de purs esprits, conduisit l’homme à la notion d’esprits séparés. Ces esprits pouvaient à leur gré prendre possession, fût-ce pour un temps, de corps étrangers. Ainsi s’expliqueraient pour le primitif les cas de possession. La maladie et la mort elle-même provenaient de l’action néfaste de quelque espiit qui avait pénétré dans le corps de l’intéressé. Le fétichisme, le culte de morceaux de bois et de pierres et enfin l’idolâtrie proprement dite étaient à interpréter de la même manière. Ibid., t. ii, p. 101 sq., 113 sq., 147 sq.

1. La notion ainsi obtenue de purs esprits allait être appliquée à la Nature. Au sentiment du primitif, ses diverses parties étaient animées par des esprits et les phénomènes dont elles étaient le siège relevaient de leur activité. Ainsi apparut le culte de la Nature, cjui impliquait une certaine philosophie de la Nature. L’eau en général, les fleuves, la mer, les arbres et les bois, les animaux, le totem, le serpent devinrent l’objet d’hommages religieux. L'évolution atteint ici son plus haut point dans la notion et l’adoration du dieu espèce, conçu non comme un individu, mais comme une espèce de catégorie. Ibid., t. ii, p. 169 sq., 191 sq., 196 sq., 208-220.

5. Nous voici au seuil du polythéisme tel qu’il se présente dans les hautes et moyennes civilisations, avec ses dieux du ciel, de la pluie, du tonnerre, de la terre, de l’eau, du feu, du soleil, de la lune. Dans une autre direction se seraient formées les divinités préposées aux stades et fouet ions de la vie humaine, dieux de la naissance, de l’agriculture, de la guerre, des morts, ancêtres divins de la tribu. Ibid., t. II, p. 224 sq., 231 sq., 235-285.

6. L’idée d’un dualisme n’est pas étrangère même aux phases inférieures de l'évolution. Les termes de bien et de mal, toutefois, y signifiaient utile et nuisible et n’y présentaient pas encore de sens proprement moral. Dans l'évolution de ces idées, les forces naturelles, nuisibles ou utiles, ont d’ordinaire joué un rôle, en particulier la lumière et les ténèbres (Avesta). Ibid., t. ii, p. 287 sq.