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RELIGION. LE PRÉLOGISME, EXPOSÉ


La mentalité primitive passe sans effort, à la plus légère sollicitation, de la représentation de l'être humain à celle de l’animal ou inversement. Les métamorphoses sont choses courantes dont il n’y a pas lieu d'être surpris. « 2. De même, matière et esprit ne se définissent pas pour la mentalité primitive comme pour la nôtre. A ses yeux, il n’y a pas de corps d’où ne rayonne quelque force mystique, que nous appellerions spirituelle. Il n’y a pas non plus de réalité spirituelle qui ne soit un être complet, c’est-à-dire concret, avec la forme d’un corps, celui-ci fùt-il invisible, impalpable, sans consistance ni épaisseur. « Une confusion se produit dans « notre esprit, écrit M. Esldon Best, à cause des termes « indigènes, qui désignent à la fois, des représentations « matérielles des qualités immatérielles, et des représenta talions immatérielles d’objets matériels. » « 3. L’unité véritable n’est pas l’individu mais le groupe dont il se sent faire partie. Dans certaines sociétés cette solidarité prend un caractère presque organique, dans presque toutes elle demeure très étroite : elle est impliquée dans nombre d’institutions et de coutumes. « 4. Dans les représentations des primitifs, l’individualité ne s’arrête pas à la périphérie de la personne. Elle s'étend, à ce qu’on peut appeler ses « apparte- « nances », à tout ce qui croît sur le corps, à ses sécrétions et excrétions, aux empreintes laissées par le corps sur un siège ou sur le sol, aux traces des pas, aux restes des aliments, aux vêtements imprégnés de la sueur de l’individu, à tout ce qui a été en contact intime et fréquent avec lui, à ce qui est sa propriété personnelle, etc. Les appartenances sont des parties intégrantes de la personne et ne se distinguent pas d’elle. « 5. Les mots « âme » et « ombre », lourds d'équivoque, sont des sources intarissables d’erreurs. Gomme la plupart des observateurs ignorent ou méconnaissent les caractères originaux et l’orientation de la mentalité primitive, ils lui prêtent leurs propres concepts qu’ils croient retrouver sous les mots dont les indigènes se servent. De là des confusions sans fin. En fait, les primitifs, en général, n’ont pas l’idée de ce que nous appelons « âme ». L' « ombre », pour eux, de même que le souffle, ou le sang, ou la graisse des reins, est une « appartenance essentielle » de l’individu. Sous un autre aspect, elle en est un « double » ou une réplique. Le double peut être aussi un animal ou une plante. « L’image n’est pas une reproduction de l’individu, distincte de lui. Elle est lui-même. La ressemblance n’est pas simplement un rapport saisi par la pensée. En vertu d’une participation intime, l’image, comme l’appartenance, est consubstantielle à l’individu. Mon image, comme mon ombre, mon reflet, etc., c’est au pied de la lettre, moi-même. C’est pourquoi qui possède mon image, mj tient en son pouvoir. « 6. De là un quiproquo extrêmement fréquent, et presque inévitable. Les missionnaires quand ils parlent de la double nature de l’homme, trouvent l’assentiment des indigènes. Mais dans l’esprit des blancs, c’est d’un dualisme qu’il s’agit, et dans celui des indigènes, c’est d’une dualité. Le missionnaire croit à la distinction de deux substances, l’une corporelle cl périssable, l’autre spirituelle, et immortelle… Rien de plus étranger à la mentalité primitive que cette opposition de deux substances dont les attributs seraient. antagonistes. Toutefois, s’ils ignorent l’idée d’un dualisme de substances, celle de la dualité de l’individu leur est familière. Ils croient a L’identité de l’individu avec son image, son ombre, son double, etc. Rien ne les empêche donc de donner poliment raison à 1 étranger. Le quiproquo s’aggrave ensuite par l’usage commode, mais trompeur, que les blancs ont fait du mot âme. « 7. L’homme, quand il meurt, cesse défaire partie du groupe des vivants, mais non pas d’exister. Il a simplement 'passé de ce monde dans un autre, où il continue de vivre plus ou moins longtemps. Sa condition seule a changé. Il fait désormais partie d’un autre groupe, celui des morts de sa famille ou de son clan, où il est plus ou moins bien accueilli. Comme le vivant, le mort peut être présent, au même moment, en divers endroits. D’autre part, la dualité apparente du cadavre et du mort n’exclut nullement leur consubstantialité. Tout ce que l’on fait au cadavre est ressenti par le mort. De ce point de vue, quantité de rites et d’usages prennent leur véritable sens. « 8. Les morts ne sont donc ni des esprits, ni des âmes. Ce sont des êtres semblables aux vivants, qui ont comme eux leurs appartenances, diminués et déchus sous un certain aspect, quoique puissants et redoutables sous un autre. On ne peut en général les voir ni les toucher, et, lorsqu’ils apparaissent, ils ont plutôt l’air de fantômes ou d’ombres que d'êtres réels. Ils vont cependant à la chasse, à la pêche, cultivent leurs champs, mangent, boivent, etc. L’autre vie est un prolongement de celle-ci, sur un autre plan. L’homme y retrouve une situation sociale correspondant à son rang dans cette vie. Il y reste aussi physiquement semblable à lui-même. « 9. La vie, dans l’autre monde, ne se termine pas toujours comme dans le nôtre. Il y a des morts qui ne meurent pas. Djs réincarnations successives satisfont leur désir de revenir sur cette terre. Au cours de ces passages alternatifs par la vie et la mort, que devient leur individualité? Nous nous trouvons, ici encore, en présence de représentations qui nous paraissent obscures, vagues et parfois contradictoires. Par exemple, un même individu, au dire de certains Bantous, peut renaître à la fois en deux autres. Sans doute le mot « réincarnation » ne rend-il pas exactement ce qui est dans leur esprit. Peut-être s’agit-il plutôt d’une participation intime entre le vivant et le mort qui entre en lui, sans qu’il y ait identité complète entre les deux. « Il va sans dire que les croyances de ce genre sont loin d'être uniformes et varient selon les sociétés où on les recueille. Celle des Bantous, par exemple, ne coïncident pas avec celles des Eskimo. Mais souvent elles présentent aussi des analogies saisissantes. En général, les morts sont constamment présents à l’esprit des vivants, qui ne font rien d’important sans les consulter, persuadés que le bien-être et l’existence même du groupe dépendent du bon vouloir de leurs morts. Une solidarité encore plus profonde et plus intime se réalise dans la substance même des individus. Les morts « vivent avec » les membres actuellement existants de leur groupe. » Bulletin de la Société française de philosophie, août-septembre 1929, p. 105-108.

Dans Le surnaturel et la nature dans la mentalité primitive (1931), Lévy-Bruhl dégage une notion du surnaturel chez les primitifs assez différente de celle qui a cours actuellement. Il s’agit de l’ensemble de forces occultes et des influences de toutes sortes pour lesquelles la question du personnel et de l’impersonnel ne se pose pas et dont les primitifs « redoutent à chaque instant la présence et l’action ». P. vin. Il montre — et la démonstration est impressionnante — comment la vie entière des primitifs est dominée et souvent paralysée par « l’obsession des puissances invisibles ». Il explique le vague des notions sur de telles puissances par le fait qu’elles ressortissent à une » catégorie affective » (Introduction) et que « l’intensité de l'émotion supplée au défaut de netteté de l’objel », P. xxxii. Tout, chez les peuples non civilisés peut être cause de nid : dispositions des hommes, des animaux, des plantes, des êtres inanimés eux-mêmes, Pat suite, tout aussi, dans les pratiques relatives au surna-