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RELIGION. THÉORIE SOCIOLOGIQUE, CRITIQUE


question. Le terme du totémisme englobe donc aussi bien le simple usage héraldique de symboles qu’un système fort complexe d’observances religieuses et magiques ». P. 283.

Dès 1910, d’ailleurs, Frazer avait renoncé à voir dans le totémisme une religion : « Si la religion implique, comme il semble, chez celui qui la pratique, l’aveu que l’objet de son culte lui est supérieur, alors, à proprement parler, il est impossible de voir dans le pur totémisme une religion, puisque l’homme regarde son totem comme son égal et son ami, pas du tout comme son supérieur, encore moins comme un dieu… C’est donc bien une erreur de parler du totémisme comme d’une religion. Comme je suis tombé dans cette erreur, quand j’ai écrit la première fois sur ce sujet, et comme je crains que mon exemple ait pu entraîner d’autres que moi dans la même faute, le devoir m’incombe de confesser ma méprise et de préserver mes lecteurs de la reproduire. » Tolemism and Exogamy, t. iv, p. 5-76, 81.

Le P. Pinard de La Boullaye fait à ce sujet la remarque suivante : « Il est donc inexact de dire que si ce savant refuse au totémisme tout caractère religieux… c’est parce que, suivant lui, il n’y a religion que là où il y a personnalités mythiques. (Formes élémentaires…, p. 289, note 3.) M. Frazer appuie son assertion sur le rapport d'égalité plus ou moins rigoureux qui existe entre l’homme et son totem, fait expressément reconnu par Durkheim lui-même (Formes…, p. 197). » Étude comparée…, t. i, p. 406, n. 2.

Quant au recours de Durkheim au totémisme, voici comment M. Loisy le jugeait en 1913 : « La religion, étant un phénomène universel dans l’humanité, n’a sans doute pas son origine dans une organisation qui n’a été constatée sûrement que chez les peuples de race noire et de race rouge, et qui n’a pas laissé de traces certaines, incontestables chez les peuples de race blanche et de race jaune. L’universalité du totémisme n’est qu’une hypothèse, et c’est donc sur cette hypothèse, assez fragile en soi, que M. Durkheim, bien qu’il n’en veuille pas convenir, assied son système, qui par là même devient conjectural. Mais une objection plus grave se tire de ce que le totémisme n’est pas une religion, n’est pas un culte ; c’est une forme d’organisation et de vie sociales dans laquelle peuvent entrer, dans laquelle entrent certains éléments religieux. En lui-même le totémisme n’est pas plus une religion que les autres formes plus avancées de la vie sociale, qui comportent aussi des éléments religieux plus développés. Il peut y avoir une religion embryonnaire dans les sociétés totémistes, mais le totémisme lui-même n’est pas une religion. Toute proportion gardée, le totémisme australien, par exemple, n’est pas plus une religion, à proprement parler, que la vieille monarchie égyptienne n'était la religion de l’Egypte, ou que la république n’est la religion du peuple français, quoique la religion égyptienne ait été un élément essentiel de l'État égyptien, et que même l’idéal républicain renferme certains principes de caractère mystique- — sinon sacré — qui permettent de le rattacher en quelque manière à la religion. » Revue d’hisl. et de tilt. Tel., 1913, p. 50-51.

8. La théorie préanimiste du mana sert à Durkheim à établir le pont entre le totémisme et son assertion de l’origine exclusivement sociale de la religion. Nous renvoyons ici à la critique que nous en avons faile à propos du prémagisme.

9. La dérivation que l’ail noire auteur de la notion de Dieu, notion qui sciait secondaire, tombe par suite du caractère primitif de l’idée de Dieu que nous démontrerons plus loin.

10. Étant données les critiques précédentes, le sens que Durkheim donne aux rites ausl i aluns ne peut être

maintenu. Notons simplement ici qu’en somme les Australiens ne rendent pas de culte aux animaux ou végétaux totems, mais aux emblèmes qui les représentent (par exemple, les churingas des Aruntas). Et c’est un fait « très significatif », parce que, « si les churingas portent le signe totémique, ils incarnent pour ainsi dire, non des totems, mais les âmes des Aruntas, ce qui donne, de ce chef, pour base à leur religion, non le totémisme, comme tel, mais une forme particulière d’animisme et de culte ancestral ». Loisy, toc. cit., p. 51. Ajoutons que la théorie du sacrificecommunion que le fondateur de l'école sociologique a empruntée à W. R. Smith (Lectures on the religion oj Sémites, Londres, 1889) tombe devant ces simples observations du P. V. Schmidt : « Celui-ci (W.-R. Smith) avait dans l’esprit un sacrement, c’est-à-dire un rite religieux. La victime, de plus, doit être divine et n'être immolée qu’en vue du repas mystique. Or il n’y a rien de tout cela chez les Aranda (on dit Aranda ou Arunta). Au lieu d’un sacrement nous avons une cérémonie magique. Nul culte du totem, qui n’est pas considéré comme un dieu. Il est l’objet d’un traitement magique aux fins d’assurer la multiplication des moyens de subsistance et c’est dans cet esprit qu’on le mange. » Origine de la religion, p. 146-147, avec renvoi à J.-G. Frazer, Tolemism and Exogamy, t. iv, p. 231. Pour bien situer ces observations il faut noter que Durkheim maintient énergiquement la distinction de la magie et de la religion. (Formes…, p. 58 sq.)

11. Enfin les assurances que nous donne Durkheim sur le bien fondé et la pérennité de la religion peuvent laisser sceptique : « On a eu tort de nous instruire, tous les stratagèmes seront désormais inutiles ; le charme est rompu et, s’il est vrai que le Dieu que nous adorons n’est autre que la société, c’en est fini des rites et du culte, des croyances et des dogmes, de la discipline et de l’amour. » Le paradoxe de cette attitude, dit M. Dominique Parodi, « semble être en dernière analyse de contester le retentissement de la pensée sur les actions de l’individu, pour nos sociologues, la découverte d’une illusion ne la détruit pas, il ne semble pas que pour eux les idées soient des forces ». Cahiers de la Nouvelle journée, 1 er juin 1920, p. 156.

Si l’autosuggestion résultant de méditations prolongées a pu donner à l’auteur des Formes élémentaires de la vie religieuse, une foi si robuste et si naïve, il faut peut-être l’en féliciter et l’envier, mais on peut être sûr qu’il trouvera peu d’imitateurs, et les citoyens de nos cités modernes seront plus exigeants, lorsqu’on leur demandera de discipliner leur égoïsme et leur sensualité pour le meilleur service de la société. Après tout, comme le remarque encore M. Dominique Parodi, « si les affirmations morales, religieuses ou logiques ne valent qu’en tant qu’elles contraignent socialement notre adhésion, sans que nous puissions ni les justifier, ni au fond les comprendre en elles-mêmes ; si elles ne valent qu’en tant que faits, pourquoi le fait individuel à son tour, passion ou fantaisie personnelle, expression d’un tempérament, n’aurait-il pas les mêmes titres à se faire obéir ? Il suffirait pour cela qu’il devînt le plus fort en nous ; du point de vue que ce positivisme a adopté, en effet, la raison de l’individu est désarmée devant les forces qu’elle subit, aussi bien lorsqu’elles surgissent de ses instincts individuels que lorsqu’elles émanent du milieu social ». Ibid., p. 159. « Quoi qu’on veuille dire, ce n’est pas, ce n’a jamais été et ce ne sera jamais sous son aspect social, en temps de paix, que le devoir réussit à se faire accepter. On meurt pour la patrie, on ne vit pas pour elle, ou plutôt on ne vit pour elle qu’en y voyant l’incarnation actuelle et combien imparfaite d’un idéal qui la dépasse et que l’on sert. P. Bureau, Introduction à la méthode sociologique, Paris, 1923, p. 271 et 272.