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OUESNEL. INTERVENTION DE FENELON


l’Église est infaillible dans les jugements qu’elle porte des ouvrages qui regardent la foi. La clarté de l’exposition et la modération dont il usait à l’égard des personnes dont il combattait la doctrine valurent à Fénelon l’admiration de tous : du même coup, il reconquit, en partie, l’autorité que la condamnation du livre des Maximes des saints lui avait fait perdre dans l’Église de France. Cette instruction du 10 février 1704 plaça Fénelon au premier rang des évêques dans les démêlés jansénistes, d’autant plus que Bossuet allait mourir quelques jours après, le 12 avril. L’archevêque de Cambrai fut désormais le docteur le plus consulté et le plus écouté ; cela explique les attaques violentes dont il fut l’objet de la part des amis du jansénisme : c’est l’ennemi le plus redoutable et le plus redouté. Pour se faire une idée de la haine suscitée par Fénelon chez les jansénistes, il suffit de lire quelques passages d’Albert Le Roy, op. cit., p. 320-331, 611-612.

De tous les mandements qui condamnèrent le cas de conscience, celui de Fénelon est incontestablement le plus éloquent et en même temps le plus instructif ; aussi les jansénistes l’attaquèrent-ils très vivement et mêlèrent à leurs écrits des insinuations perfides, où l’on mettait en doute la sincérité de sa soumission au jugement qui avait condamné les Maximes des saints ; à quoi Fénelon se contenta de répondre : « Je souhaite devant Dieu que non seulement vous, mais encore tous ceux qui m’écoutent deveniez aujourd’hui tels que je suis. »

Pour répondre explicitement aux objections qui lui furent faites, Fénelon publia trois nouvelles instructions. La seconde instruction, datée du 2 mars 1705 (Œuvres, t. x, p. 265-483), se propose d’éclaircir les difficultés soulevées par divers écrits publiés contre la première instruction : Sentiment orthodoxe des savants cardinaux Jean de Turrecremata. Baronius, Bellarmin et autres théologiens, imprimé dans l’Histoire du cas de conscience, t. v, p. 120-134 ; Éclaircissement sur l’ordonnance et l’instruction pastorale, publié dans l’Histoire du cas de conscience, t. v, p. 56-114 ; Défense de tous les théologiens ; Trois lettres intitulées Difficultés ; Quatre lettres à un abbé et enfin Histoire du cas de conscience où on a mis des notes.

Fénelon s’élève contre les fausses interprétations qu’on a faites de ses paroles, en particulier au sujet de l’infaillibilité de l’Église et de son extension ; on lui a reproché d’attribuer à l’Église une infaillibilité grammaticale et le pouvoir de faire d’un texte nouvellement condamné un nouvel article de foi, avec la connaissance surnaturelle et infuse de tous les textes ; rien de plus faux, et Fénelon précise sa pensée : « L’Église est spécialement assistée du Saint-Esprit et, par cette assistance, elle est infaillible pour garder le dépôt ; mais elle n’est point inspirée comme les écrivains sacrés, car elle ne reçoit point, comme eux, une révélation immédiate… L’infaillibilité de l’Église est contenue dans la révélation, parce qu’elle est promise et que la promesse est une révélation divine ; mais quant au jugement de l’Église, qui condamne ou qui approuve un livre ou une proposition, ce n’est point une vérité révélée en elle-même, et ce jugement ne tient à la révélation que par l’infaillibilité promise à l’Église. » Bref, l’infaillibilité promise à l’Église et appuyée sur une assistance spéciale du Saint-Esprit peut seule assurer les fondements de la foi et de la révélation et en même temps préserver l’Église de toute erreur dans ses jugements. C’est pourquoi l’Église doit être infaillible sur les faits dogmatiques lorsqu’ils sont liés nécessairement à la doctrine.

La troisième instruction (Œuvres, t. xi, p. 3-507), datée du 21 mars 1705, expose les témoignages de la tradition en faveur de l’infaillibilité de l’Église touchant les textes dogmatiques ; enfin la quatrième (ibid.,

t. xii, p. 3-237), datée du 20 avril 1705, prouve que c’est l’Église qui exige la signature du formulaire et que, pour exiger cette signature, elle se fonde sur l’infaillibilité qui lui est promise pour juger des textes dogmatiques ; dès lors refuser de signer le formulaire, c’est désobéir à l’Église, et signer le formulaire, c’est admettre intérieurement l’infaillibilité de l’Église ; accorder seulement le silence respectueux, c’est outrager la vérité par un parjure et « par des raffinements indignes de la sincérité chrétienne ». Ces quatre instructions forment de véritables traités de théologie, remplis de remarques intéressantes et subtiles sur ces questions particulièrement délicates, et l’on est surpris de lire les remarques de Le Roy, qui écrit : « Elles sont si effroyablement longues et si maussades que l’archevêque de Cambrai a dû prendre son temps pour frapper si lourdement des ennemis à terre. » Les jansénistes à terre en 1705 ! Les quatre instructions furent envoyées à Rome au cardinal Gabrielli, qui les communiqua au pape, et celui-ci souhaita qu’elles fussent traduites en latin. Correspond., t. iii, p. 80-82.

Dans une lettre du 17 décembre 1704 au P. Lami (ibid., p. 48-50), Fénelon avait déjà expliqué sa pensée. « Personne, dit-il, ne peut s’imaginer que l’Église soit infaillible sur le sens personnel de l’auteur, car c’est le secret de sa conscience, dont Dieu seul est le scrutateur… Ce sens personnel n’est que le secret d’un cœur, qui n’est pas mis à la portée de l’Église, pour en pouvoir juger… Pour le vrai sens du texte, c’est celui qui sort, pour ainsi dire des paroles prises dans leur valeur naturelle par un lecteur sensé, instruit et attentif, qui les examine d’un bout à l’autre, dans toutes leurs parties… Tout cela demeure fixe sous les yeux de chaque lecteur dans le texte, indépendamment des pensées que l’auteur a eues… Ainsi le sens personnel n’est que dans la seule tête de l’auteur, et tout le sens du texte ne doit être cherché que dans le texte même… L’Église ne prétend point être infaillible pour deviner le secret des consciences, mais elle ne peut garder avec sûreté le dépôt sans pouvoir juger avec sûreté des textes qui le conservent ou qui le corrompent… L’infaillibilité sur le dogme n’est qu’un fantôme ridicule sans l’infaillibilité sur la parole, nécessaire pour l’expliquer et pour la transmettre. » Fénelon reprit les mêmes idées, plus tard, dans les écrits qu’il publia pour réfuter les thèses de l’abbé Denys. théologal de Liège, lequel avait prétendu que, par la signature du formulaire, on ne se prononçait point sur I’héréticité de Jansénius, mais que l’on rejetait seulement les cinq propositions dans le mauvais sens que le Saint-Siège attribuait au livre de Jansénius (Correspond., t. iii, p. 155-157) : c’était le moyen, dit Fénelon, d’éluder toutes les constitutions pontificales ; pour justifier la signature du formulaire, il faut admettre l’autorité infaillible de l’Église.

Les questions abordées par Fénelon étaient fort délicates, et quelques théologiens trouvèrent qu’il aurait dû présenter ses thèses sur l’infaillibilité de l’Église touchant le sens des textes dogmatiques seulement comme une opinion libre. De ce nombre était M. de Bissy, successeur de Bossuet sur le siège de Meaux et plus tard cardinal. Il admettait les thèses de Fénelon, mais ne croyait pas qu’on pût les donner comme la doctrine de l’Église ; il suffisait d’admettre une infaillibilité morale. Fénelon lui écrivit deux lettres, sous le titre : Réponse de M. l’archevêque de Cambrai à un évêque sur plusieurs difficultés qu’il lui a proposées au sujet de son instruction pastorale. Œuvres, t.xii, p. 241-376. La seconde lettre est une Réponse aux difficultés faites à la première ; elles parurent en 1707. Fénelon y déclare qu’il a voulu établir l’obligation où sont les fidèles de condamner, sans hésiter, même contre leurs propres lumières et avec