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RELIGION. L’EXPERIENCE RELIGIEUSE, CRITIQUE


ciples. Ces petits groupes de sectateurs tendent, à mesure qu’ils grandissent, à se donner une organisation et à se transformer peu à peu en corps ecclésiastiques, ayant une vie propre, enclins à s'étendre et à dominer. L’esprit politique et le dogmatisme insolent envahissent alors l'Église naissante et corrompent la source de la vie religieuse. Quand nous entendons prononcer aujourd’hui le mot de religion, nous avons une tendance à nous représenter toujours telle ou telle Église. Et, pour bien des hommes, le mot d'Église désigne un si horrible mélange d’hypocrisie, de fanatisme et de superstition, qu’ils proclament d’un air triomphant et sans entrer dans les détails que la « religion » est une pure abomination dont il s’agit de purger le monde. Ceux mêmes qui appartiennent à une Église englobent volontiers toutes les autres dans une même réprobation. » P. 288. Il faut immédiatement ajouter que W. James a fait preuve d’une intelligence sympathique des formes catholiques de la religion très louable chez un protestant.

Cependant il est permis de penser que M. Loisy lui-même a porté sur la forme sociale de la religion un jugement bien plus équitable que le sien, quand il félicitait Durkheim d’avoir mis en lumière cet aspect du phénomène religieux : « Assurément rien n'était plus légitime que de rattacher la religion, la science et l’histoire des religions à la sociologie ; rien n'était plus nécessaire, dans l'éparpillement des travaux purement critiques, dans la criante insuffisance des explications tirées de la psychologie individuelle et des besoins réels ou prétendus de l'âme religieuse, que de montrer comment ni la religion ni rien de ce qui constitue le patrimoine intellectuel et moral de l’humanité n'était le produit spontané de l’homme comme tel, de l’individu humain, mais des hommes socialement élevés, entraînés, soutenus : que la religion a un aspect social ; que ses origines sont principalement sociales et que son évolution a été coordonnée à celle des sociétés. » Revue d’hist. et de UU. rel., Paris. 1913, p. 70.

3. Le pragmatisme de W. James est une philosophie ruineuse dans l’ordre religieux lui-même. « Si les pragmatistes dénoncent parfois à juste titre les procédés excessifs d’abstraction et de construction dont use l’intellectualisme, n’ont-ils pas, eux aussi, leur procédé familier qui consiste, devant une opération logique indispensable à la vérification ou à la preuve, à en présenter la signification sous l’aspect affectif, qu’elle revêt plus ou moins dans les esprits.de telle sorte que, sans en perdre le bénéfice, ils en dissimulent la rigueur formelle ? C’est par là qu’ils se dispensent vraiment trop de mettre en lumière les efforts que l’intelligence, quand elle a la charge de vérifier et de prouver, doit faire contre les préjugés inévitablement créés par les desseins et les intérêts individuels, par les intentions d’atteindre de préférence telles fins. Ces efforts, s’ils n’arrachent pas entièrement l’intelligence à l’empire des dispositions affectives et actives qui sont le fouet de notre vie concrète, l’en libèrent du moins relativement et momentanément, de façon à la pousser à chercher entre les idées ou entre les choses des rapports tels que toutes les intelligences les attendent de même. Or, pour que cette dernière condit ion se réalise pleinement, il ne suffit pas de constater qu’il y a entre certaines de nos conceptions et certains objets des relations signifiant une possibilité d’action pratique ; car la l’acuité d’agir efficacement, si on l’admet comme donnée, peut tenir à des circonstances accidentelles et singulières, parfaitement capables de se répéter sans rendre pour cela plus claire l’in llncncc qui leur est attachée ; il faut encore que les rclal ions des idées à leurs conséquences puissent supporter en quelque mesure l'épreuve d’une analyse toute intellectuelle qui en suive les moments successifs, selon des règles uni verselles d’enchaînement, selon des principes de liaison indépendants des réussites contingentes de la pratique. Que l’idéal défini par ces règles et ces principes doive s’approprier à la diversité des objets de connaissance comme aux imperfections de nos moyens de connaître : soit. Encore est-ce lui qui permet de faire le départ entre les recettes de l’expérience vulgaire et les méthodes de l’expérience scientifique, entre les notions en gros charriées par l’action qui réussit et les vérités lumineusement détaillées par l’intelligence qui analyse, encore est-ce lui qui empêche les divers esprits de se perdre dans leurs différences individuelles, ainsi que dans la confusion des choses, qui les fait concourir, non par rencontre extérieure, mais par rencontre intime, à l'œuvre de la science, qui les porte à affirmer que toute vérité tient à d’autres, non point comme une découverte fortuitement ajoutée aux découvertes antérieures, mais comme l’expression d’un ordre total, objet commun des recherches d’abord les plus divergentes. » Victor Deboa. Conférences Foietvie, p. 128-130.

Sans doute le pragmatisme ne néglige pas l’accord des esprits et la formation d’ensembles d’idées, mais il reste un empirisme qui explique le tout par les parties oubliant le rôle vivificateur des synthèses.

Quant au point de vue plus spécifiquement religieux il ne tient pas assez compte des solidarités spirituelles. « Est-ce donner de la vie religieuse une idée parfaitement exacte que de représenter les croyances qui la forment comme les effets d’une convergence relative d’expériences individuelles ? La religion, à mesure qu’elle est plus approfondie, ne découvre-t-elle pas son principe dans un esprit de vérité universelle qui nous trace la voie hors des petits sentiers que chacun irait se frayer à ses risques ? N’est-elle qu’une façon à nous de nous faire notre destinée, ou ne semble-t-il pas plutôt que ce qu’elle enferme dans le problème de notre salut, c’est, avec la pensée d’une réalisation totale de notre nature, la représentation d’un lien qui nous unit à Dieu et à nos semblables pour et dans l’accomplissement de cette œuvre suprême ? A coup sûr le pragmatisme ne néglige pas, il décrit même parfois très vivement la conscience que le sujet a de son union avec Dieu et avec les autres hommes, et le déplacement que cette conscience opère du centre de son activité. Mais la valeur même de l’idée de la paternité divine et de la fraternité humaine ne tient-elle qu'à l’usage que nous en faisons, à la perception plus ou moins singulière que nous nous en donnons ? N’est-elle pas vraie avant cet usage, vraie d’une vérité qui contient en puissance la valeur de nos expériences individuelles ? Tiendrons-nous pour un élément dérivé, relatif ou approximatif de la conscience religieuse, la not ion de l’unité du Verbe qui illumine tout homme venu au monde ? C’est pourtant par là que la conscience religieuse s’est libérée des formes contingentes des vies nationales ; c’est par là qu’elle doit rester libre des formes non moins coid ingénies des vies individuelles. Il ne suffit pas, pour trouver un équivalent de cette pensée fondamentale, de décrire des procédés de fusion ou de contagion mentale par lesquels les hommes s’assimilent les uns aux autres ; car, outre que cette représentation de la société des esprits peut, sembler bien naturaliste pour être authentiquement religieuse, la question que j’indiquais reste entière, comme la solution qui, selon moi, doit y répondre : l’esprit d’universalité est-il, dans la religion philosophiquement comprise, un caractère dérivé ou un caractère primitif, un terme hypothétique et lointain ou un principe immédiat et certain ? » Ibid., p. 131132.

Puis la not ion même d’expérience religieuse est décevante, si oii entend par là, non pas simplement la constatai ion de certains faits mais leur vérification par leurs conséquences pratiques. « Si l’on se contente de