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    1. RELIGION##


RELIGION. THÉORIE DE H. BERGSON, CRITIQUE

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ble sociales ou que l’on considère plus particulièrement dans l’homme social, l’intelligence. Tout s’éclaire au contraire, si l’on va chercher, par de la ces manifestations, la vie elle-même. Donnons donc au mot biologie le sens très compréhensif qu’il devrait avoir, qu’il prendra peut-être un jour, et disons pour conclure que toute morale, pression ou aspiration, est d’essence biologique. » Les deux sources, p. 102, 103.

Mais, remarquons-le, il s’agit d’un sens très compréhensif du mot biologie, sens qu’il n’a pas encore dans le langage courant. Or ce sens fait penser à certains textes où saint Paul donne une portée cosmique à l’incarnation et à la rédemption, et établit ainsi un lien très étroit entre le monde physique et le monde spirituel. « J’estime, écrivait l’apôtre aux Romains, que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire à venir qui sera manifestée en vous. Aussi la création attend-elle avec un grand désir la manifestation des enfants de Dieu. La création, en effet, a été assujettie à la vanité — non de son gré, mais par la volonté de celui qui l’y a soumise — avec l’espérance qu’elle aussi sera affranchie de la servitude de la corruption, pour avoir part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu. Car nous savons que, jusqu’à ce jour, la création tout entière, racaa r ; xtîctiç, gémit et souffre les douleurs de l’enfantement. » Rom., viii, 18-22.

Dans l’épître aux Colossiens « il y a non seulement la création du monde par le Fils de Dieu, mais une création en lui, une orientation du monde entier vers lui, et une cohérence de toutes choses par sa médiation ». €ol., i, 15-20. (Commentaire du P. Huby.)

2. Difficultés sérieuses.

Ces objections injustifiées

écartées, restent des difficultés plus sérieuses.

a) L’exposé de M. Bergson ne tient pas compte de l’existence de l’idée de Dieu chez les primitifs que nous avons établie plus haut. — Nous avions exposé et critiqué la doctrine des Deux sources dans plusieurs articles de la Semaine religieuse de Paris (25 juin, 9 et 10 juillet 1932) ; dans celui du 9 juillet nous écrivions : « On s’étonne que M. Rergson, si attentif à tous les progrès de la science, se taise sur ces orientations nouvelles de l’ethnographie religieuse (étude des religions des divers peuples). On peut conjecturer que, rattachant à la religion statique le préanimisme [auquel il adhère en ce qui concerne cette religion, d’accord en cela avec la grande majorité des ethnologues non catholiques], et réservant son intérêt à la forme supérieure et dynamique de la religion, il n’a accordé que peu d’importance, en somme, aux idées de Durkheim [et des préanimistes non Durkheimiens ] et en a pris congé après leur avoir fait la politesse d’un examen sympathique. « En tout cas, l’Église catholique enseigne que l’humanité a commencé par la foi en Dieu, impliquée dans cet état de sainteté, et de justice où Adam avait été établi. Concile de Trente, ive sess., can. 1 : Si quis non con/itetur, primum hominem Adam, cum mandatum Dei in paradiso fuissel transgressus, statim sanctilatem et justiliam, in qua conslitulus fuerat, amisisse. On remarquera que par l’emploi de l’expression conslitulus, préférée à celle de creatus, le concile a voulu éviter de trancher la question de savoir si Adam avait été créé dans l’état de justice et de sainteté ou élevé à cet état après coup. Il n’est donc pas de foi que la connaissance parfaite de Dieu résulte chez l’homme de l’état où il aurait été créé dès le début. L’humanité divine dont M. Bergson dit qu’elle « aurait dû théoriquement exister à l’origine », p. 256, a réellement existé au début ou presque au début. D’ailleurs, on peut trouver singulier que notre philosophe ne l’admette pas. Dieu selon lui (et selon la doctrine catholique), a créé l’homme pour l’aimer et en être aimé et c’est à ce double amour

que tend tout l’élan vital, d’après les Deux sources. De plus, M. Bergson estime que la création de l’homme suppose un bond en avant, une mutation brusque où cet élan vital a concentré ses énergies. Comment l’évolution n’aurait-elle pas alors obéi plus que jamais à la direction essentielle que lui avait imprimée le premier amour et rapproché intimement Dieu et l’homme, pour lequel, toujours au dire de M. Bergson, tout notre monde existe et se développe ? Des croyances élevées ne devaient-elles pas répondre aux premières et fraîches intuitions de la créature privilégiée ? [Adam aurait été ainsi, du moins avant la chute, le premier des grands mystiques]. Libre ensuite au penseur et à l’ethnologue de s’arrêter aux ravages de l’animisme [qui ne sont que trop certains] et même du préanimisme ; du point de vue de l’orthodoxie, nous ne verrions rien à y objecter, attribuant cette dégénérescence au péché originel. Mais, alors que toute chair avait corrompu sa voie, comme dit la Bible (Gen., vi, 11-12) de la période immédiatement antérieure au déluge : « Or la terre se corrompit devant Dieu et se remplit de « violence. Dieu regarda la terre et voici qu’elle était « corrompue, car toute chair avait corrompu sa voie sur « la terre », quelques âmes [Xoé et ses proches, nous enseigne la Bible pour la période indiquée ] n’auraient-elles pas pu garder la nostalgie du Paradis perdu ? » Op. cit., p. 39-10.

M. Bergson avait bien voulu lire les bonnes feuilles de nos articles avant leur publication, et nous laissa l’interroger dans une interview de deux heures sur son ouvrage, interview qui parut dans La vie catholique, du 7 janvier 1932, après qu’il l’eût revue et qu’il eût rédigé lui-même une notable partie de ses déclarations.

Aux craintes exprimées par nous qu’il n’eût systématiquement laissé de côté les données fermes que semblent établir les travaux récents d’A. Lang et du P. Schmidt, M. Bergson répondit qu’il était au courant de ces travaux, mais que les vues auxquelles ils aboutissaient lui semblaient insuffisamment fondées. Pour sa part, il leur préférait les conclusions auxquelles étaient arrivés les ethnologues : l’humanité primitive aurait eu plutôt l’idée vague et grossière d’une force diffuse dans le monde (mana), sur laquslle d’ailleurs elle était incapable de spéculer. La connaissance du Dieu personnel et unique a demandé sans doute un certain temps de maturation de la pensée et de l’âme humaines. Ce que nous avons dit plus haut du caractère primitif de l’idée de Dieu montre l’insuffisance de la réplique.

b) M. Bergson croit que pendant un certain temps

— ce certain temps se chiffrant sans doute par des dizaines, peut-être des centaines de millénaires — l’humanité n’aurait connu que la religion statique. — Au moment où il passe de la notion d’esprits à celle de dieux, il fait la remarque suivante : « Nous croyons que, pour pénétrer jusqu’à l’essence même de la religion et pour comprendre l’histoire de l’humanité, il faudrait se transporter tout de suite, de la religion statique et extérieure dont il a été question jusqu’à présent, à cette religion dynamique, intérieure, dont nous traiterons dans le prochain chapitre. La première était desdinée à écarter des dangers que l’intelligence pouvait faire courir à l’homme : elle était infra-intellectuelle. Ajoutons qu’elle était naturelle, car l’espèce humaine marque une certaine étape de l’évolution vitale ; là s’est arrêté, à un moment donné, le mouvement en avant ; l’homme a été posé alors globalement, avec l’intelligence par conséquent, avec les dangers que cette intelligence pouvait présenter, avec la fonction fabulatrice qui devait y parer : magie et animisme élémentaire, tout cela était apparu en bloc, tout cela répondait exactement aux besoins de l’individu et de la société l’un et l’autre bornés dans leurs ambitions,