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RELIQUES. PREMIERS ESSAIS DE THEOLOGIE


présence de ces saints ! » L’autorité de Dieu est donc engagée dans ces grandes manifestations ; mais aussi l’autorité de l'Église enseignante et la foi commune des fidèles de Byzance : « Et tous les évêques » présents à ces translations, « il faut les regarder comme des sacrilèges, bien mieux, il faut les prendre pour des fous, d’avoir porté des choses viles, des cendres en dissolution dans des étoffes de soie et des vases d’or. Fous également les peuples de toutes les Églises, qui vinrent au-devant des saintes reliques, et les reçurent en grande liesse, comme s’ils avaient vu le prophète vivant ! Ah ! tu crois que ces saints-là sont morts, en quoi tu blasphèmes. Lis donc l'Évangile : « Le Dieu « d’Abraham, le Dieu d’fsaac, le Dieu de Jacob n’est « pas le Dieu des morts, mais le Dieu des vivants. » Ce texte de Matth., xxii, 32, ne prouve pas absolument le pouvoir des reliques : voici qui s’applique mieux aux corps des saints : « Tu dis dans ton libelle quï…les martyrs, par leurs supplications, n’ont pu obtenir que leur sang fût vengé? (Cf. Apoc, vi, 10.) Pourtant si les apôtres et les martyrs encore chargés de leurs corps ont pu prier pour les autres, tandis qu’ils étaient encore inquiets pour eux-mêmes, combien plus maintenant qu’ils sont couronnés, vainqueurs et triomphants ! Paul l’Apôtre, après qu’il a reçu sa consommation avec le Christ, c’est alors qu’il aura la bouche fermée et qu’il cessera d’intercéder pour ceux qui ont cru à son évangile de par le monde entier ? » Contra Vigilantium, n. 5 et 6, P. L., t. xxiii, col. 343.

L’effort de défense de l'Église était achevé ; les Pères désormais s’appliquent à éclairer paisiblement la foi des dévots sur la dignité des corps saints qu’ils honorent et, pour cela, à bien établir la relation entre les saints eux-mêmes et leur dépouille terrestre. Elle pouvait se baser : 1. Soit sur le culte même des fidèles, qui voyaient dans les reliques la personne du saint ;

2. Soit sur l'état où elles se trouvaient, le sang des martyrs nous prêchant le courage ;

3. Soit sur les miracles opérés par les reliques comme par des objets divinisés ;

4. Soit enfin sur l’idée plus humaine que les reliques sont des souvenirs de nos amis les saints, qui sont les amis de Dieu.

1. La plupart des Pères, du moins dans leurs sermons aux fidèles, semblaient partager les vues simplistes de ceux-ci : pour eux comme pour leurs auditeurs, les corps saints sont les saints eux-mêmes encore vivants et agissants. Écoutons saint Éphrem, au fond de la Mésopotamie, vers 365 : « Voici la vie dans les ossements des martyrs : qui voudrait dire qu’ils ne vivent pas ? Voici des tombeaux vivants : et cj ni aurait le moindre doute là-dessus ? Ce sont des citadelles inaccessibles… Celui que rongent l’envie et la perfidie, poison qui tue les âmes, en reçoit secours et le poison s’en va inoffensif. » Sermones exegelici, in Isaiam, xxvi, 10, Assemani, Ephrm.n opéra, t. ii, p. 349. Théodoret de Cyr répétera au siècle suivant : « Les villes et les villages qui se sont partagé les reliques des saints les appellent « sauveurs et médecins des âmes et des » corps o, et les vénèrent comme défenseurs et gardiens ; ils se servent d’eux comme d’ambassadeurs près du Dieu maître de tout, et par eux obtiennent les dons divins ». (Irœcar. affecl. curatio, c. viii, /'. G., t. lxxxiii, col. 1012. A l’autre extrémité du monde chrétien, entendons Victrice, évoque de Rouen, féliciter ses fidèles de l’arrivée des reliques saintes : « Voici une multitude de saints qui viennent à nous. Que personne ne déserle l'étendard du Sauveur ! Il a donné l’exemple, il envoie des secours. I, a victoire est certaine, quand on combat avec de tels compagnons d’armes et avec le Christ pour imperater. > De laude sanctorum, c. xii, P. L., I. xx, col. 151-155.

Évidemment ce langage éloquent ne trompait per sonne. Encore fallait-il ne pas exagérer le rôle sanctificateur des saints présents dans leurs reliques : à entendre Victrice, on croirait qu’il leur attribue un pouvoir sacramentel : Remiltite delicla ! « C’est à eux, observe-t-il, que le Seigneur a dit : Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez et ce que vous lierez sera lié ! » Op. cit., c. vi et vii, ibid., col. 448-449. Mais il faut se souvenir du sens large donné à cette formule par l’ancienne exégèse : Origène avait déjà étendu ce texte à l’invocation des saints Apôtres, De oratione, c. xiv, P. G., t. xi, col. 464 ; Tertullien l’avait appliqué à l’intercession des martyrs, Ad martyres, c. i, et saint Grégoire devait l'étendre à la prière des saints moines. Dialog., t. II, c. xxiii, P. L., t. lxvi, col. 180. La même exagération se trouve chez saint Ambroise, ensevelissant son frère Satyre dans la crypte de saint Nazaire : « Les effluves du sang sacré, en pénétrant les dépouilles toutes proches, les purifieront. » Cf. De Rossi, Inscript, christianæ Urbis Romæ, t. i, p. 162, n. 2. Mais les mêmes docteurs surent, quand il le fallait, nuancer leur pensée, et brider l’intempérance du zèle des chrétiens pour assiéger les tombeaux des martyrs : saint Damase, qui célébra si éloquemment la puissance des saintes reliques, se lit ensevelir délibérément loin d’elles, et sur sa tomba, l’archidiacre Sabinus prévenait les visiteurs que le voisinage des saints ne dispense pas de mener une vie sainte : « Sanclorum meritis optima vita prope est. » Cf. Vacandard, op. cit., p. 76.

En somme, on voulait dire que les martyrs avaient été saints durant leur vie et que leurs corps eux-mêmes en avaient été sanctifiés. Et, à ce titre, ils étaient promis à la gloire de la résurrection finale : c’est un nouvel aspect de la doctrine que saint Maxime de Turin se plait à faire comprendre, au temps de Pâques. Voir par exemple le sermon lxxxvi, P. L., t. lvii, col. 703 sq.

2. D’autres docteurs, plus réalistes, regardent les corps saints avec leurs yeux, et y découvrent les héros de l'âge précédent, rigides désormais dans la mort, mais pour nous modèles de courage jusque dans leurs tombeaux. Pour saint Jean Chrysostome, l’excellence propre des reliques et la justification de leur culte réside dans cet exemple efficace : « Vous voyez bien comme la voix de ces corps muets est plus puissante que celle des prédicateurs ? Ils n’ont pas attendu comme nous sur le bord de la piscine : ils se sont jetés à l’eau sans rien dire ! C’est pour cela que Dieu nous a laissé leurs corps, leurs cadavres : ils ont vaincu depuis longtemps, mais ils n’ont pas encore part à la résurrection, et cela à cause de vous, pour votre bien : ils sont devant vos yeux en tenue d’athlètes pour vous entraîner dans la course… » De sanctis martyribits, n. 2, P. G., t. l, col. 648-649. Voir du même Père, Expositio in Psalm. CXV, n. 5, et In II Cor., hom. xxv, n. 5, P. G., t. lv, col. 326, et t. i, xi, col. 582. Tout cela n’est guère que de belle rhétorique sur ce thème : le corps saint, c’est le saint lui-même, mais mort pour sa foi.

Saint Basile commente dans le même sens moral le mot du psalmiste : Preliosa in conspeclu Domini mors sanctorum ejus. In Psalm. CX.V. Par où l’on voit que les reliques agissent à distance, remarque Jean Chrysostome, « à la manière d’une source d’eau vive, comme une racine, comme un parfum. Le corps de votre martyr est en Thracc, vous n’y êtes jamais allés, vous en c’Ics bien loin ; pourtant vous sentez d’ici l’odeur de ses exploits ! » Loc. cil., P. G., t. i., col. 600-601. Le saint n'était pas prophète : l’attirance de saint Babylas était si forte pour lis Ant iochiens que, quelques années plus tard, ils se décidèrent à l’aller chercher, pour ne pas le laisser aux mains des Barbares,

Cependant saint Maxime de Turin voit une raison providentielle à ce que les reliques des martyrs soient ainsi dispersées par tout le monde et bien à portée des