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RÉORDINATIONS. LE XII^ SIÈCLE


c. De hæreticis et ordinatis ab eis, § 9, édit. de Paris, 1720, p. 38.

Il semblerait donc, dans ces conditions, que la doctrine de l’inamissibilité du pouvoir d’ordre ait à cette date définitivement cause gagnée au moins dans le monde des canonistes. Or, on demeure assez surpris de constater que l’Apparalus in Décrétâtes du pape Innocent IV (1243-1254), publié après 1245, expose une théorie qui est une aggravation des doctrines de Bologne. Pour les canonistes comme Roland, Jean de Faënza et les autres, qui distinguaient entre l’ordre et Yexecutio, cette execulio, cette licentia ordinis exequendi, se trouvait retirée, ipso facto, par l’hérésie ou le schisme. Innocent IV — disons plus exactement le canoniste Sinibald Fiesco, car c’est le cas ou jamais de faire le départ entre le souverain pontife et le docteur privé — propose, lui, une théorie assez différente, mais aboutissant au même résultat : « Le pape, dit-il, pourrait lier, par un acte déterminé, d’une manière complète, non seulement le pouvoir d’ordre des évêques et des prêtres, leur retirer le droit d’ordonner ou de consacrer validemenl, mais encore le pouvoir qu’a tout homme de baptiser. » Apparalus, t. I, Décrétai., c. Quanlo, de consuetudine. Innocent s’appuie sur le fameux texte : Quodcumque ligaveris super lerram erit ligaturn et in cselis. C’est un exemple remarquable de l’extension qu’a prise, chez les canonistes du xme siècle, la conception du pouvoir pontifical. Cette idée, qui est d’un canoniste plus que d’un théologien, ne sera pas retenue par la théologie postérieure.

2. L'École de Paris. — Pendant que les idées évoluaient à Bologne dans le sens de l’abandon progressif de la vieille thèse défavorable aux ordinations célébrées extra Ecclesiam, un mouvement analogue s’accomplissait à Paris qui devait aboutir à la thèse classique.

Si Bologne est la grande école canonique, Paris est la grande école théologique et, à ce titre, son action est plus importante encore à étudier. Il convient pourtant de remarquer que la présente question — on en dirait autant de beaucoup d’autres relatives aux sacrements — est surtout traitée à Paris par les canonistes, par les « décrétistes » comme l’on disait. Même quand les théologiens s’en occupent, es qualités, ils ne manquent pas de faire observer que c’est proprement une queeslio decretalis, nous dirions une affaire juridique. D’autre part, quand cette question est soulevée par les sententiaires (commentateurs des Sentences de Pierre Lombard) elle l’est encore du point de vue des « autorités ». La théologie du xiie siècle, en elfet, reste toujours préoccupée d’aligner les textes qui plaident pour et contre telle ou telle solution ; et quand ces « autorités » sont contradictoires, ce qui arrive fréquemment, elle reste assez souvent embarrassée devant la conclusion à tirer. On notera enfin qu’une véritable circulation s'établit entre les deux écoles de Bologne et de Paris, qui amène l’interpénétration des idées. Roland Bandinelli a été en dépendance d’Abélard, mais par contre Pierre Lombard, qui est né à Novare et qui a étudié à Bologne vient professer à Paris et aura par son recueil des Sentences l’influence que l’on sait. Or, l’on a montré en quelle dépendance se trouvaient les Sentences par rapport au Décret de Gratien. Il est donc inévitable que nous retrouvions à Paris les diverses opinions qui s’affrontaient en Italie.

a) L’altitude de Pierre Lombard. — La discussion est amenée, dans les écoles de droit canonique, par l’explication du Décret de Gratien, dont on a dit cidessus les tendances. Dans celles de théologie elle naît autour de deux « distinctions » du 1. IV des Sentences. La distinction XIII, qui termine les problèmes relatifs à l’eucharistie, posait cette question qui se rapporte indirectement à celle que nous avons soulevée : « Les hérétiques et les excommuniés confectionnent-ils vrai ment l’eucharistie ? » ; en d’autres termes leur messe est-elle valide ? Après avoir fait remarquer que certains pécheurs consacrent véritablement, parce qu’ils sont encore de l'Église, par le nom et le sacrement (reçu : l’ordre), encore qu’ils ne le soient guère par la vie, le Lombard continue : « Mais ceux qui sont excommuniés ou hérétiques notoires (de hæresi nolali) ne semblent pas pouvoir réaliser ce sacrement, bien qu’ils soient prêtres, parce que nul, à la consécration, ne dit : « Sei- « gneur je vous offre », mais bien : « nous vous offrons », au nom de l'Église. Et dès lors, bien que les autres sacrements puissent être célébrés en dehors de l'Église, cela ne paraît pas s’appliquer à l’eucharistie. » Et après avoir cité un texte d’Augustin (manifestement apocryphe) : « On en tire, dit le Lombard, que l’hérétique retranché (expressément) del'Église catholique ne peut point réaliser ce sacrement : ex liis colligitur quod hæreticus a catholica Ecclesia præcisus nequeat hoc sacramenturn conficere. » En dehors de l'Église, en effet, l’ange du sacrifice n’est pas là pour porter son offrande. [Pour comprendre ces derniers mots qui éclairent tout le texte, il faut se rappeler que les théologiens du xiie siècle ne connaissent pas les doctrines plus récentes sur la « forme » de l’eucharistie, réduite aux purs et simples mots de l’institution. Ce qui fait le sacrement, ce qui rend présent le corps et le sang du Christ sur l’autel, c’est tout l’ensemble de ï'actio, depuis le Ilanc igitur jusqu'à la fin du Supplices te rogamus. Cette dernière prière avait aux yeux des théologiens une particulière importance ; à la demande de l'Église l’ange porte sur l’autel céleste les éléments de l’oblation, qui, par leur contact avec cet autel céleste, assimilé au corps ressuscité du Christ, deviennent en réalité corps et sang du Sauveur. Tout à l’heure Pierre Lombard disait des mots : offerimus qu’ils étaient des mots de la » consécration » ; qui est en dehors del'Église, ne peut requérir en son nom l’ange du sacrifice ; ses oblats ne peuvent être portés sur l’autel céleste : il n’y a donc point de consécration. ]

La dist. XXV, à la fin des questions relatives à l’ordre, se rapporte plus directement à notre problème : De ordinatis ab hæreticis. Il s’agit des hérétiques condamnés par l'Église et retranchés de son sein. Peuvent-ils donner les ordres ? Ceux qui sont ordonnés par eux, s’ils reviennent à l'Église, doivent-ils être réordonnés ?

La question est compliquée, répond Pierre Lombard, et à vrai dire presque insoluble, à cause des différences d’opinion des docteurs. Et l’auteur de passer en revue ces opinions. Il est bon de le faire avec lui, pour se rendre compte de la difficulté qu’ont eue les scolastiques du siècle suivant à tirer au clair ce problème. « Certains paraissent dire que les hérétiques ne peuvent donner les saints ordres et que ceux qui sont soi-disant ordonnés par eux ne reçoivent pas la grâce. » Ceci est démontré par les expressions du pape Innocent I er (ci-dessus, col. 2398), un texte de saint Grégoire, divers textes dis saints Cyprien, Jérôme, Léon (se reporter à l'édition de Quaræchi). Ces témoignages et d’autres semblent établir que les sacrements et surtout ceux du corps et du sang du Christ, de l’ordination et de la confirmation ne peuvent être administrés (validement) par les hérétiques.

En face de cette négation absolue, une affirmation absolue : « Les hérétiques, même retranchés de l'Église, peuvent donner (validement) les saints ordres, tout comme le baptême ; les clercs donc qui reviennent de chez les hérétiques ne doivent pas être réordonnés, i Ce que démontrent les textes tout à fait pertinents de saint Augustin, de saint Grégoire que nous avons allégués ici même, i Ces autorités semblent affirmer que chez tous les impies, même chez les hérétiques retranchés et condamnés, les sacrements demeurent avec le