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RÉORDINATIONS. LA SOLUTION DÉFINITIVE


imposilionem acceperit [in Ecclesia] an non, cette distinction, il vaut mieux en faire abstraction. » Saltet, p. 349.

Prévostin de Crémone, chancelier de l'Église de Paris de 1206 à 1209, après avoir discuté l’opinion adverse (celle des vieux maîtres de Bologne), lui oppose la doctrine de saint Augustin : hærcticus onmia sacramenta habct, dummodo in forma Ecclesiæ facial et potestatem habeal. Et ce pouvoir n’appartient pas seulement à celui qui a reçu dans l'Église la « dernière imposition des mains », mais à celui qui l’a reçue de lui, et ainsi de suite ad infmitum ; c’est l'écho du mot de Gandolphe de Bologne, ci-dessus, col. 2424. Texte dans Saltet, p. 351.

Même doctrine, bien qu’accompagnée parfois d’idées singulières, chez Robert de Flamesbury, pénitencier de Saint-Victor, au début du xiii c siècle, encore que, dans la pratique, il se montre hésitant et renvoie au pape les cas douteux. Même doctrine aussi, mais avec une note plus ferme, chez un légat pontifical, le cardinal Robert de Courçon, qui voit dans la doctrine affirmant la validité des ordres donnés en dehors de l'Église une règle absolue : inconcussa régula et compago lotius christianse religionif ; quod virlus sacramentorum non pendel de meritis ministrorum. Saltet, p. 352.

On peut dire, en somme, que, chez les décrétistes de l'école de Paris, se remarque la même évolution que nous avons constatée à Bologne : les thèses défavorables, selon des degrés divers d’ailleurs, à la validité des ordinations hérétiques cèdent peu à peu la place à une doctrine toute voisine de la nôtre.

c) Les sententiaires. — Un mouvement analogue se constate chez les théologiens qui commentent les Sentences de Pierre Lombard.

Simon de Tournai, au début du xme siècle, s’en tient encore au point de vue de la vieille école de Bologne et de Vordinatio catholica, dans sa Summa de sacramentis inédite. Saltet, p. 353.

Au contraire, Guillaume d’Auxerre († 1231), qui enseigne lui aussi à Paris, se prononce nettement en faveur de la doctrine de la validité des sacrements administrés en dehors de l'Église, pourvu qu’ils le soient in forma Ecclesiæ. Expressément il rejette les distinctions faites entre les diverses catégories de dissidents dans le Livre des Sentences. C’est là, dit-il, une solution qui n’en est pas une : sed quod solulio sit nulla, probatur : qu’ils soient ou non præcisi, les hérétiques donnent de vrais sacrements. Summa aurea in IV libros Sententiarum, fol. 284 v°.

Roland de Crémone, le premier des dominicains qui obtienne à Paris la licenlia docendi, en 1229, rapproche avec beaucoup d'à-propos le baptême et l’ordination : « Tous les saints (entendons les Pères) disent que les hérétiques baptisent vraiment ; pour la même raison, ils célèbrent validement la messe (vere conficiunl), ils ordonnent validement. Aussi saint Grégoire dit-il que, de même que l’on ne rebaptise pas ceux qui ont été baptisés parles hérétiques, de même ne réordonne-t-on pas ceux qui ont été ordonnés par eux. » Peu importe que l’hérétique ait été ou non præcisus. Dès là qu’il use de la matière convenable et des paroles de l'Église, les sacrements administrés par lui sont valides. Il n’y a pas de distinction à faire entre le baptême, sacrement indispensable pour le salut — et dont tout le monde reconnaissait la validité, quel qu’en fût le ministre — et l’eucharistie ou l’ordre. Nous touchons à la doctrine qui va bientôt s’imposer.

C’est le moment où les docteurs franciscains et dominicains commencent à devenir à l’Université de Paris les émules des séculiers. Quand, vers 1245, le jeune Thomas d’Aquin arrive comme étudiant à Paris, la doctrine qui tient pour la validité, positis ponendis, des sacrements, et en particulier de l’ordre, conférés

par les hérétiques, la doctrine qui écarte dès lors les réordinations, cette doctrine semble bien être devenue la doctrine commune tant chez les canonistes que chez les théologiens. Le jour où il devra, comme bachelier, expliquer les Sentences, Thomas d’Aquin, on 12.") 1, n’aura pas de peine à prendre parti là où Pierre Lombard demeurait hésitant. Voir son explication In IV" iii, dist. XXV, reproduite dans le Supplément de la Somme q. xxxviii. a. 2. Thomas d’Aquin y classe les diverses opinions du Maître dans un ordre à lui et il déclare que la 3e opinion (selon sa compilation), celle qui reconnaît la validité des ordres conférés par les hérétiques est l’opinion vraie. Voir ce qu’il dit Sum. theol., III a, q. lxxxii, a. 7 et 8, sur la consécration valide, à la sainte messe célébrée par les hérétiques et les dégrades eux-mêmes. L’affirmation de la doctrine du caractère amène le Docteur angélique à être très ferme sur ce dernier point (la question des ecclésiastiques dégradés) où, nous l’a, vons dit. des contemporains hésitaient encore.

Sur ce mèm ? point Alexandre de Halès, ou l’auteur quel qu’il soit de la Somme théologique qui porte son nom, fournit un enseignement analogue, et des plus fermes Quod degradalus habct potestatem consecrandi…, sicut enim charactere non potest privari, nec sic potestate conficiendi. P. IV, q. x, memb. 5, a. 1, § 6. Ce qui est dit ici permet de supposer ce que l’auteur aurait dit sur le problème de la validité des ordinations des hérétiques (la Somme est inachevée, et ne traite pas les questions relatives à l’ordre). Car à l’endroit cité qui concerne les effets de la dégradation, la Somme dit clairement : Si episcopus degradalus ordinaret aliquem, est ordinatus. Et quod dicitur quod non habct potestatem largiendi ordines intclligitur de potestate execulionis : quasi dicerel : ligata est potestas quantum ad executionem. Mais il est bien remarquable qu’ici les mots ordo et potestas execulionis n’ont plus la signification que nous avons vue plus haut, col. 2423. Sans aller jusqu'à dire que cette distinction recouvre exactement la nôtre entre valide et licite, on peut affirmer que c’est dans ce sens que s’oriente l’auteur de cette remarquable Somme théologique.

Conclusion. — Il ne faudrait pas s’imaginer que l’histoire ultérieure n’a connu aucun retour offensif de la doctrine des canonistes bolonais, laquelle, en somme, exigeait dans le prélat qui consacre ou ordonne, en même temps que le pouvoir d’ordre, une sorte de pouvoir de juridiction susceptible d'être lié par l’autorité compétente. Quand, au moment du Grand Schisme, ce problème de la juridiction va se poser dans les deux, puis dans les trois obédiences entre lesquelles se partage l'Église catholique, on entend de-ci, de-là, des reviviscences de la théorie que les théologiens semblaient avoir fait définitivement reculer. Chose curieuse ! on voit même le pape de Rome, Bonifacc IX (1389-1404), se prêter à une demande qui lui est faite par un évoque de recevoir, comme complément d’une consécration qu’il avait reçue dans l’obédience adverse, ce rite réconciliateur prescrit jadis au temps d’Urbain II pour les prélats schismatiques d’Allemagne. Bulle de Boniface IX publiée par Eubel, dans liômische Quarlalschrifl, t. ix, 1896, p. 508. Mais ces singularités, qu’il est toujours intéressant de collectionner, ne doivent pas faire oublier que la thèse des grands scolastiques avait définitivement triomphé : le concile de Trente l’a définitivement consacrée. Quand se posera la question de la validité des ordinations des Églises schismatiques d’Orient, ce n’est point de ce biais que le problème sera abordé. C’est à l’absence de la forme et de la matière considérées comme essentielles dans l'Église latine que feront appel les adversaires de cette validité. On sait comment Morin est intervenu à temps pour empêcher la curie de s’engager