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REVIVISCENCE DES PÉCHÉS


conciliaires par les canonistes ou les sententiaires du xue siècle, ces textes avaient pris, dans les idées de plusieurs, un sens dévié de la pensée originale et nettement meurtrier pour tout repentir suivi de rechute. Heureusement, le travail de la conciliation des autorités patristiques, qui met a la torture tous les sententiaires, avait abouti à une conception plus juste : à tout repentir réel s’accorde un véritable pardon, même dans l’hypothèse d’une nouvelle chute. Mais alors surgissait une nouvelle question, celle de la reviviscence : après cette chute, les péchés déjà pardonnes revivaient-ils dans la conscience ? L’existence seule de la seconde question supposait déjà ou plutôt exigeait, pour la première, la solution affirmative, bien que par endroits les explications de quelques théologiens fléchissent en route…

Ce n’est pas tout : le jeu organique des diverses parties du sacrement de pénitence n’avait pas encore trouvé dans la théologie du xii c siècle son expression nette et précise. Nous assistons alors au premier stade de ce qui sera plus tard le problème débattu entre saint Thomas et Duns Scot, à propos de l’essence du sacrement : les actes du pénitent en sont-ils la matière ? Au xii c siècle, l’on se demandait dans beaucoup de milieux : entre les diverses parties de la pénitence, quelle est celle à laquelle il faut attribuer l’elTacement du péché? Est-ce à la contrition ? est-ce à la satisfaction ou à la confession ? Pour peu qu’on ait pris contact avec les productions théologiques de l'époque, l’on peut se faire une idée du conflit des opinions ; … beaucoup optaient pour la contrition, supposée parfaite, et admettaient la rémission de la faute en vertu de ce repentir : per cordis contritionem, ante « ris confessiotiem vel operis salisfaciionem. Mais alors surgissait un nouveau problème : dans l’hypothèse de l’omission voulue de cette confession — car celle-ci était néanmoins reconnue comme nécessaire — les péchés déjà pardonnes renaissent-ils ? Perdait-on la rémission de ces fautes ? ou bien ne se rendait-on coupable que d’un seul péché en se refusant à confesser les premiers ? On le voit, à la question qu’on pourrait dire théoiique, s’en entremêlait une d’ordre plutôt pratique ; c’est là ce qui nous explique le rang important accorde dans les traités théologiques de l'époque au problème de la reviviscence : la synthèse pénitentielle ellemême en était affectée. » Art. cité, p. 403-404.

II. L'ŒUVRE DE CLARIFICATIO.V HE SAI-VT THOMAS.

— Avec cette maîtrise de jugement qui le distingue, saint Thomas apporte la solution définitive au problème de la reviviscence des péchés. Sum. theol., III a, q.Lxxxviii. Cf. In IV*** Sent., dist. XXII, q. i, a. 1-3 ; In Malth., c. xviii, in fini.

La question est divisée en quatre articles : 1° Le péché commis après la pénitence fait-il revenir les péchés pardonnes ? — Après avoir rapporté les raisons de la thèse affirmative, il s’appuie sur Rom., xi, 29 et sur Prosper d’Aquitaine pour répondre négativement. Dans tout péché mortel, il faut considérer deux éléments, le mouvement d’aversion à l'égard de Dieu, le mouvement de conversion vers le bien créé. Tout ce qui tient à l’aversion de Dieu est commun à tous les péchés mortels, mais non ce qui tient à l’amour du bien créé. Du côté de la conversion au bien créé, le péché mortel qui suit la pénitence, ne peut faire revivre les péchés que cette pénitence avait effacés. Mais tout péché mortel remet l’homme en état de privation de la grâce et lui fait encourir la peine éternelle comme auparavant. On ne saurait toutefois considérer ce châtiment comme la dette de peine due aux péchés antérieurs pardonnes. Il faut donc éliminer l’opinion qui prétend que les péchés revivent quant à la peine qui leur était due en propre. On ne peut pas non plus accueillir l’opinion qui prétend « que Dieu ne remet pas les péchés selon sa prescience », mais seulement selon l'état présent des exigences de sa justice. Car « si la rémission des péchés par la grâce et les sacrements… dépendait d’une condition future, il s’ensuivrait que la grâce et les sacrements ne seraient pas cause suffisante de la rémission des péchés, ce qui est une erreur. »

Conclusion : >< Ce n’est pas un retour des péchés pardonnes, au sens absolu du mot ; mais ces péchés ne reviennent que sous un certain rapport, en tant qu’ils

sont virtuellement contenus dans le dernier péché >, lequel en raison des péchés déjà pardonnes présente, à l'égard de la bonté divine, une plus grande culpabilité.

2° Quel est ici le rôle de l’ingratitude ? — Il peut y avoir ingratitude de deux façons. C’est d’abord une ingratitude d’agir contre le bienfait reçu et cette ingratitude envers Dieu se trouve dans tout péché mortel, puisque le péché mortel offense Dieu qui a remis les péchés précédents. Mais une autre sorte d’ingratitude consiste à agir contre l'élément formel dans le bienfait reçu. Or, dans le pardon des péchés antérieurs, l'élément formel a été, du côté de Dieu, la rémission des péchés, du côté de l’homme, le mouvement de foi et l’acte de pénitence répudiant le péché. C’est aussi la volonté que doit avoir le pénitent de soumettre ses péchés au pouvoir des clefs. L’ingratitude ramène les péchés, précisément parce qu’elle se met en opposition avec tous ces aspects formels du pardon précédemment obtenu : elle apparaît avec plus de force dans la haine fraternelle, maintenue malgré la rémission accordée par Dieu, dans l’apostasie qui s’oppose au mouvement de la foi, dans le mépris de la confession ou dans la rétractation de la pénitence antérieurement faite. Ainsi s’explique le distique connu :

Flaires edit, apostata fit, spernitque fateri, Psenituisse piget : pristina culpa redit.

On a constaté qu’ici saint Thomas envisage le cas du péché remis par la seule contrition, avec le simple désir — désir nécessaire — de la confession ultérieure.

Les anciens péchés ne revivent donc pas : il y a simplement, dans la rechute du coupable, une malice spéciale d’ingratitude.

3° La culpabilité qui est l’effet de l’ingratitude du péché commis après la pénitence est-elle aussi grande qu’avait été celle des péchés précédemment pardonnes ? — Malgré l’opinion de certains théologiens qui concluent affirmativement, saint Thomas déclare qu' « il n’est pas nécessaire qu’il en soit ainsi ». Le retour de culpabilité ne peut être que proportionné a la gravité du péché qui suit la pénitence : or il peut arriver que la gravité du nouveau péché égale celle de tous les péchés précédents ; mais cela n’arrive pas toujours ni nécessairement. » Les péchés passés ont pu être des adultères, des homicides, des sacrilèges ; et le péché nouveau est un acte de simple fornication. De plus, « l'égalité de la gravité de l’ingratitude avec la grandeur du bienfait reçu n’est qu’une égalité de proportion, de sorte que dans l’hypothèse d’un égal mépris du bienfait et d’une égale offense du bienfaiteur, l’ingratitude sera d’autant plus grande que plus grand aura été le bienfait ». Le péché commis après la pénitence ne ramène donc pas nécessairement, à raison de l’ingratitude qu’il renferme, un degré de culpabilité égal à celui des péchés précédents.

4° Enfin cette ingratitude, cause du retour des péchés déjà pardonnes, n’est pas elle-même un péché spécial, tout au moins habituellement. — lit la raison en est que l’ingratitude est incluse dans tout péché mortel, dont elle constitue un élément essentiel. Pour que l’ingratitude fût un péché spécial, il faudrait que l’on commît le péché expressément au mépris de Dieu et du bienfait reçu. Comme le dit saint Augustin, De nuturu et gratta, c. xxix, P. L., t. xliv, col. 2(53, « tout péché ne procède pas du mépris de Dieu, bien qu’en tout péché, le mépris de Dieu soit inclus dans celui de ses préceptes ». En règle générale, l’ingratitude n’est donc qu’une circonstance du péché, circonstance qui ne change pas l’espèce du péché. Cf. Cajétan, m h. I.

On le voit, saint Thomas, tout en expliquant en bonne part les assertions de ses prédécesseurs (et il use du même procédé bienveillant dans la solution des