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QUIÉTISME. LES GUÉRINETS
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attributs divins, ni même les personnes divines, mais l’Être divin dans sa rigoureuse unité. Cf. Malaval, op. cit., p. 364-365. Or, les vrais mystiques disent, au contraire, que dans la plus haute contemplation, l’âme peut s’attacher aux personnes divines et aussi aux attributs divins.
Un point de la mystique des préquiétistes est particulièrement regrettable. Le contemplatif, disent-ils, doit laisser de lui-même, de propos délibéré, la considération de l’humanité du Christ : « Dans cette oraison de quiétude, écrivait encore à Innocent XI le cardinal Caraccioli, quand il se présente à leur [aux quiétistes] imagination des images même saintes et de Notre-Seigneur, [ils] s’elforcent de les chasser en secouant la tête, parce, disent-ils, qu’elles les éloignent de Dieu… Leur aveuglement est si grand que l’un d’eux s’avisa un jour de renverser un crucifix de haut en bas parce, dit-il, qu’il l’empêchait de s’unir à Dieu et lui faisait perdre sa présence. » Œuvres de Bossuet, ibid. Voir ce que dit Bossuet de Malaval, à propos de cette exclusion de l’humanité du Christ dans la contemplation, Ordonnance sur les états d’oraison, Œuvres de Bossuet, t. xxvii, Versailles, 1817, p. 6-7. Sainte Thérèse, on le sait, s’indigne contre ces auteurs qui exhortent les contemplatifs « à écarter… toute représentation corporelle pour s’attacher à la contemplation de la seule divinité, car, disent-ils, lorsqu’on est déjà si avancé, l’humanité de Jésus-Christ devient un obstacle et un empêchement à la parfaite contemplation. » Elle convient que, dans la haute contemplation, « la présence de cette sainte humanité nous échappe… Mais que de nous-mêmes, à dessein et avec application, au lieu de prendre l’habitude d’avoir toujours cette très sainte humanité présente — et plût à Dieu que ce fût toujours ! — nous fassions le contraire : voilà, encore une fois, ce que je désapprouve. » Vie, c. xxii, dans Œuvres complètes de sainte Thérèse, trad. des carmélites de Paris, t. i, Paris, 1907, p. 279.
Autre doctrine très contestable : la continuité de l’acte de contemplation. Falconi écrivait à l’une de ses filles spirituelles : « Je voudrais que tous vos soins, tous vos mois, toutes vos années et votre vie tout entière fût employée dans un acte continuel de contemplation. .. En cette disposition il n’est pas nécessaire que vous vous donniez à Dieu de nouveau, parce que vous l’avez déjà fait. » Il donne ensuite la comparaison d’un diamant offert à un ami. La donation reste valable tant qu’elle n’est pas révoquée. De même l’acte de contemplation. Une fois fait, il dure tant qu’il n’est pas détruit par un acte contraire. La comparaison de Falconi a été reprise par Malaval et par Molinos. Cf. Bossuet, Instruction sur les états d’oraison, t. I, c. xiv. Falconi, comme la plupart des préquiétistes, considérait aussi comme répréhensible tout acte spirituel auquel se mêlait quelque chose de sensible. Lettre à une de ses filles spirituelles, dans Recueil de divers traités sur le quiélisme, Cologne, 1699, p. 103-104.
Cet enseignement spirituel des préquiétistes, sans être formellement hérétique, n’est-il pas cependant erroné et dangereux ? N’est-il pas le prodrome du quiétisme proprement dit ?
V. Les’guérinets ou les illuminés de Picardie en 1634. — Les guérinets sont ainsi appelés du nom de Pierre Guérin, curé de Saint-Georges de Roye, en Picardie, l’un de leurs principaux chefs. Ils dogmatisaient vers 1634, à Chartres, mais surtout en Picardie. De là ils se seraient répandus en Flandre.
Les deux disciples les plus connus de Pierre Guérin auraient été Claude Bucquet, curé de Saint-Pierre de Roye, et son frère, Antoine Bucquet, prêtre administrateur de l’hôtel-Dieu de Montdidier, à qui Dieu avait révélé, prétendait-on, une pratique de foi et de vie suréminente, célèbre dans la secte. Ce fut, dit-on, le P. Joseph, l’Éminence grise, le conseiller de Richelieu, qui découvrit ces sectaires en 1634. Le cardinal sévit vigoureusement contre eux. Il « chargea l’évêque d’Amiens de procéder contre Guérin, Claude Bucquet, Antoine Bucquet, Madeleine de Fiers, religieuse de l’hôtel-Dieu de Montdidier, et contre ceux qui seraient suspectés de faire partie de la secte des guérinets ». Les accusations portées contre eux semblent n’avoir pas été aussi graves qu’on le crut tout d’abord. En 1635, après un interrogatoire dirigé par saint Vincent de Paul, l’atïaire se termina par l’acquittement des accusés. Cf. A. de Salinis, S. J., Madame de Villeneuve, fondatrice et institutrice de la Société de la Croix, Paris, 1918, p. 292.
Quelle fut l’importance de cette secte et quelle a été au juste sa doctrine ? On a de la peine à le savoir avec certitude.
C’est dans les Memorie recondite, t. viii, de l’abbé Vittorio Siri, mort à Paris en 1685, que se trouvent des renseignements sur les guérinets. D’après Siri, cette secte était assez répandue, et sa doctrine très pernicieuse. Favorable à Richelieu et au P. Joseph, Siri aurait-il voulu rehausser les mérites de ces personnages en exagérant les méfaits de ces prétendus quiétistes ?
Les historiens qui ont parlé des guérinets renvoient aux Memorie de Siri. Ainsi Jean Hermant, curé de Maltot, dans son Histoire des hérésies, t. ii, Rouen, 1712, p. 199-204 ; un manuscrit du séminaire Saint-Sulpice ; A. de Salinis, op. cit., p. 290. Des renseignements semblables sont donnés sur les guérinets par d’Avrigny, Mémoires chronologiques, t. I, p. 341 ; l’abbé Ducreux, Les siècles chrétiens ou histoire du Christianisme, t. ix, p. 211-212 ; eDict. hist. deMoréri, éd. de 1759, art. Illuminés, t. vi, p. 313 ; Bergier, art. Illuminés, dans Dict. théol. La plupart prétendent que cette secte s’inspira des alumbrados d’Espagne.
Écoutons tout d’abord ce que disent des guérinets ces historiens. Nous signalerons ensuite les réserves faites par des auteurs récents sur leurs témoignages.
1° Organisation de la secte.
Les guérinets « méprisaient
communément les religieux, les prêtres et les docteurs qui n’étaient pas au nombre de leurs intimes. Ils étaient unis ensemble par serment, car ils exigeaient de ceux qui étaient admis parmi eux un secret inviolable et les obligeaient à jurer fidélité. Ils s’assemblaient, les jours de fête et les dimanches, dans des maisons particulières pour y expliquer leurs sentiments. Ils accordaient aux filles l’autorité de prêcher et d’enseigner, et c’était d’elles particulièrement qu’ils se servaient pour la propagation de leur secte. Aussi les envoyaient-ils en différents endroits pour y établir des assemblées de filles dévotes. Ils avaient certains livres qui leur étaient propres et où leurs opinions étaient expliquées. Ils avaient même un Credo de pratique, qu’ils appelaient leur Soleil. Dans la confession, ils nommaient les complices, et le confesseur en les interrogeant leur faisait des demandes horribles et honteuses. Ils se moquaient des austérités qui sont en usage dans l’Église et ils empêchaient d’aller à la messe et ne faisaient aucun cas des jeûnes, non pas même du carême, parce que, affaiblissant le corps, ils le rendaient peu propre à l’oraison, ils l’indisposaient pour l’oraison. Enfin ils prétendaient qu’on pouvait mentira des supérieurs pour éviter les châtiments dont on était menacé ». Manuscrit de Saint-Sulpice.
Hermant, qui donne aussi ces mêmes renseignements, ajoute que la secte eut pour premiers auteurs deux religieux apostats qui répandirent leur doctrine tout d’abord secrètement, puis publiquement par des écrits. Plusieurs monastères auraient été contaminés. Mais leurs noms ne sont pas indiqués.
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