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    1. ROMAINS (ÉPITRE AUX)##


ROMAINS (ÉPITRE AUX). DOCTRINES, DIEU

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écoles parmi les théologiens. Les uns estiment que cette prescience comporte une préférence, presque un choix, sans autre raison que le bon plaisir de Dieu. Lagrange, Saiulay-Headlam, Zahn, Jiilicher, Allô, dans la Revue des sciences philosophiques et théologiques, 1913, p. 276 sq. ; Lagrange propose de traduire : « Ceux qu’il a connus avec amour », Èpitre aux Romains. Cette prédilection initiale est supposée plutôt que suggérée par le sens du mot 7rpoéyvto qui est indéterminé.

Selon d’autres, cette prescience est celle des mérites : Dieu a connu d’avance ceux qui lui seraient fidèles et l’aimeraient ; c’est en prévision de ces mérites qu’il les a prédestinés. Cf. Cornély, In Rom., p. 451 sq.

Le ꝟ. 29 pose une autre question non moins difficile. L’expression : « Il les a prédestinés à être conformes à l’image de son Fils » désigne-t-elle la prédestination à la grâce ou à la gloire ? En d’autres termes au(Aji.6ptpou< ; désigne-t-il la « conformité » au corps glorieux du Christ par la résurrection ? Ou signific-t-il la conformité au Christ en cette vie par la grâce et l’adoption, la transformation réalisée par l’Esprit-Saint qui nous fait participer, dès maintenant, à la vie du Christ ressuscité? A considérer la doctrine de l’Apôtre dans son ensemble, on peut hésiter. En effet, le chrétien justifié est bien, déjà en cette vie, renouvelé par l’EspritSaint et « conformé » à l’image du Christ d’une façon mystique : Le Christ est « formé » dans le chrétien. Gal., iv, 19 ; Rom., xii, 2 ; II Cor., iii, 18. Mais, dans le passage en question, saint Paul veut affermir l’espérance de ce que nous ne voyons pas encore : on n’espère plus ce que l’on voit ou ce que l’on a déjà obtenu, viii, 23-25. Il veut donc donner aux « enfants de Dieu » la certitude de la gloire future, qui les rendra conformes au corps glorieux du Christ, viii, 21 ; cf. Phil., iii, 2021. L'état actuel s'épanouira en gloire. C’est bien ce que suggère tout le développement viii, 23-30. Cf. I Cor., xv, 49.

Le verbe èS6^ao£v à l’aoriste, ꝟ. 30, crée il est vrai une difficulté si l’on entend qu[X[j.ôpepouç de la gloire future. En effet, les autres verbes également à l’aoriste, 7Tpowpi.CTSv, sxàXsCTEv, éSixaîcoæv, désignent une action passée. L’appel et la justification sont un fait accompli ; il doit donc en être de même pour la glorification. Ainsi il s’agirait d’un avantage présent, résultat de l’adoption, de l’union au Christ et de la vie de l’Esprit. Cf. viii, 2, 10-11. Les partisans de l’autre interprétation répondent que le verbe èSôÇaasv est au passé par anticipation. L’apôtre veut donner la certitude absolue, ex parle Dei, de la glorification future. Cf. Eph., ii, 6. Cette interprétation semble plus conforme au développement de la pensée : la glorification étant l’acte final, le couronnement du plan divin, l’objet essentiel de l’espérance.

On remarque d’ailleurs aisément que l’Apôtre ne pose point le problème théologique de la prédestination dans toute son ampleur. Il note seulement un aspect de la question, pour montrer que, du côté de Dieu, l’espérance ne trompe point. Dj cette espérance, le « dessein » divin donne la certitude et la garantie : le plan divin en faveur des chrétiens est réglé. L’Apôtre ne veut nullement élaborer un système, ni même en fournir les éléments. D’ailleurs, les passages où il se préoccupe d’assurer la persévérance des fidèles marquent suffisamment à quel point il sauvegarde la liberté humaine et la part de l’activité personnelle dans l’acquisition du salut. Si, du côté de Dieu, le salut est acquis, l’homme, de son côté, même une fois justifié, peut y faire obstacle et contrecarrer individuellement le plan divin. Mais, dans le passage viii, 29-30, l’Apôtre fait abstraction de cet élément. Il envisage les chrétiens dans leur ensemble, ceux qui de fait « aiment Dieu » et il accentue le dessein bien arrêté de

Dieu relativement à cette communauté. Ni la destinée de fait, ni la coopération de chaque fidèle pris individuellement n’entrent ici dans sa perspective. Il appartient à la théologie spéculative plus qu'à l’exégèse de rechercher comment l’activité humaine peut collaborer au plan divin dans la réalisation du salut.

Les développements des c. ix-xi sur le choix des gentils et le rejet temporaire des juifs a fait poser d’une façon indirecte le problème de la prédestination. Ces passages mettent en relief à la fois l’amour de Dieu et la souveraine indépendance de sa volonté dans le gouvernement des choses. Ces chapitres se rattachent d’ailleurs logiquement au c. viii. Dieu avait choisi pour former « ceux qui l’aiment » un nouveau groupe de fidèles composé surtout de gentils et il avait fait ce choix d’une façon purement gratuite, par « grâce » et non en raison du mérite des œuvres. Devant cette situation nouvelle, les juifs devaient estimer que le mérite aurait dû être la raison de ce choix et qu’eux-mêmes y avaient plus de droits que les gentils. Pour prévenir cette objection contre le plan divin ou pour y répondre, l’Apôtre insiste sur la gratuité de l’appel à la foi, sur l’indépendance de la volonté divine à laquelle personne ne saurait demander aucun compte. Dieu peut faire ce qu’il veut sans injustice. Ainsi l’Apôtre ne traite explicitement ni de la prédestination, ni de la réprobation des individus, mais uniquement de la vocation des gentils et du rejet des juifs. Il pose cependant le principe très large de la souveraineté et de l’indépendance absolue de la volonté divine. De ce principe, les théologiens devront tenir compte dans l'élaboration de leurs systèmes. L’Apôtre illustre sa pensée par de nombreux passages de l’Ancien Testament où. est accentuée l’indépendance de la volonté divine. Le choix dépend uniquement de celui qui appelle, c’est-àdire de Dieu. Rom., ix, 11-15.

Le passage le plus important et le plus discuté est ix, 19-24. L’Apôtre, au ꝟ. 19, introduit une objection : « Pourquoi, dans ces conditions, Dieu se plaint-il encore ; puisqu’enfin l’on ne s’oppose pas à ses desseins ? Au contraire, l’on accomplit sa volonté. »

La réponse à cette objection, ꝟ. 20-21, a été interprétée, avec des nuances variées, de deux manières différentes. Beaucoup d’exégètes modernes, suivant la voie tracée par saint Jean Chrysostome, ne voient dans ces deux versets, 20-21, qu’un simple exemple, une sorte de parabole fournissant une réponse à une objection impertinente. La première interrogation : « O homme, qui es-tu pour discuter avec Dieu ? » donne ainsi la clef des comparaisons qui suivent : le vase d’argile ne demande aucun compte au potier, quel que soit l’usage pour lequel il soit fait. Il n’y a dans ces deux versets aucune doctrine sur la prédestination. La pensée directrice est uniquement : « Est-ce que l’homme peut demander à Dieu pourquoi il a agi ainsi ? » Le terme « masse », <pùpx|ia de tpopàw, mélanger, a le sens biblique de « matière plastique indéterminée », par opposition à Tzli.ay.ix, objet façonné. Cf. Is., xxix, 16 ; xlv, 9 ; Jer., xviii, 3 ; Sap., xv, 7 ; Eccli., xxxiii, 13 sq.

D’autres, au contraire, après saint Augustin, voient dans le terme « masse et dans la comparaison du potier une allégorie de l’humanité pécheresse et des fins dernières. De la même masse du genre humain, corrompu par le péché et exposé à la damnation, Dieu choisit par pure miséricorde, les uns pour la gloire et rejette les autres dans un juste mais mystérieux dessein. Les uns sont préparés par Dieu à la gloire, ce sont les élus ; les autres, disposés pour leur perte, les réprouvés. Cf. Cornély, op. cit., p. 512.

Or, dans tout le passage à partir du ꝟ. 15, l’Apôtre n’expose pas une doctrine sur la prédestination des individus à la gloire et la réprobation ; il traite d’une