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    1. ROSAIRE##


ROSAIRE. ÉVOLUTION HISTORIQUE

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Marie virginis gloriose quod composuil beatus Bernardus, composition ex quinquaginla floribus équivalais quinquaginta Ave Maria, selon le titre du manuscrit de Bruges, n. ô60, fol. 135. Quant au célèbre miracle du Tombeur Notre-Dame ou Jongleur Notre-Dame, il a précisément pour but de montrer qu’un pauvre saltimbanque, qui ne savait ni Pater, ni Ave, ni salut, a été néanmoins agréable à la Vierge parce qu’il la saluait en faisant des cabrioles.

Le Tombeur Notre-Dame n’est, à l'état isolé, qu’un de ces Miracles Notre-Dame, dont les recueils furent si aimés dans le Moyen Age. Or, qu’on observe la moralité de chacune de ces fables pieuses : on y trouvera toujours le bénéfice spirituel d’un dévot qui saluait Notre-Dame. Bien entendu, dans la diversité des saluts, Y Ave Maria, isolé ou plutôt multiplié, reste le salut typique. L' Angélus qui date du xve siècle est une des formes raffinées de ce salut à base A' Ave Maria. Après ses miracles par exemple, Gautier de Coinci explique en quoi consistent les Saluts Notre-Dame, édit. Poquet, p. 737-753 : « De par la Mère Dieu, cent mile foiz salu — Touz ceux et toutes celés qui aiment son salu — - De touz ceus qui ne l’aimment doit-on dire a des fi : — De Dieu et de sa Mère et de moi les defïi — Le salu Nostre Dame devommes tuit amer — De mort nous délivra et de morsel amer — Qu’Eve mort en la pomme dont touz nous enherba — En Ave douce espèce et moult très douce herbe a… — Ave Dame, en tes chambres estez sans yver dure — En touz tens y a roses, lloretes et verdures — En touz tens y a joie, n’i puet entrer ennuiz — En nul tens n’i aproche ne la mors ne la nuis… — Entendez tuit ensemble et li clerc et li lai — Le salu Nostre Dame : nul ne set plus douz lai — Plus dous lais ne puet estre qu’est Ave Maria — Cest lai chanta li angres quant Diex se maria… »

Ces salutations sont conçues comme autant de roses spirituelles qu’on présente à la Vierge, en lui en tissant une couronne, un chapelet. De même la Vierge pose sur la tête de son dévot un invisible diadème de roses, de grâces spirituelles. D’où le miracle dont parle saint Vincent Ferrier dans un de ses sermons. Voir Gorce, Les dévotions joyeuses et douloureuses de saint Vincent Ferrier, dans La vie et les arts liturgiques, 1926, p. 493-494. Ce miracle date du xrve siècle. Il se trouve rapporté dans le recueil de Miracles de NostreDame par personnages, publié par Gaston Paris et Ulysse Robert, t. ii, 1877, p. 90-119. Il y constitue un petit drame intitulé Cy commence un miracle de Nostre Dame, comment elle garanti de mort un marchant, qui lonc temps l’avoit servie de chapiaux, d’un larron qui l’espioit et comment elle s’aparu au larron et au marchant et puis devint le larron hermite. Le dévot en son jeune âge avait coutume de fleurir les statues de la Vierge : « de chapiaux, de roses, de fleurs, faiz nouviaux ». Devenu marchand, il se contenta de lui réciter « son sautier où il a cent avemaries et cinquante ». Mais c’est encore là un chapelet de roses agréables à la Vierge. Justement le marchand le récite, tandis que le brigand le guette au coin du bois. Mais le larron voit la Vierge couronner le dévot et il se convertit lui aussi : « Tantôt après vi une famme — Plus belle et de plus noble arroy — Conques ne fu femme de roy — Devant celui estant estoit — Un chappel de roses faisoit — Et les prenoit la dame doulce — De ce marchant dedanz la bouche — Puis li assist dessus son chief. » Marius Sepet, Origines catholiques du théâtre moderne, 1901, p. 242-254, a compris tout l’intérêt de ce petit drame pour l’histoire du rosaire.

Ce miracle par personnage, pièce de théâtre consacrée au rosaire, fait présager l'époque où le théâtre religieux jouera les mystères. Ces mystères du théâtre seront les mystères principaux du rosaire actuel : événements tour à tour joyeux, douloureux et glo rieux de la vie commune de Jésus et de Marie. Comment se fait-il qu’on soit passé de la dévotion à Y Ave Maria, à l’ensemble de tous les autres mystères évangéliques qui suivent l’Annonciation ? Comment la dévotion à la Vierge s’est-elle étendue, en répétant des Ave Maria, des saluts Notre-Dame, aux autres scènes principales de l'Évangile ? Selon la croyance populaire, pendant la salutation de l’ange Gabriel, la vierge Marie a connu, du moins en résumé, les diverses étapes de sa distillée par une révélation spéciale. Il senihl : que cette croyance ait pu favoriser l’idée de lier à la récitation de Y Ave Maria la méditation des autres mystères. D’autre part on pensait que la Vierge avait contemplé tous ces mystères avec, dans le cœur, l'écho vivant de Y Ave Maria.

Mais, avant même d'évoquer l'évolution historique de ces pratiques qui sont comme la préhistoire du rosaire, il y a lieu d’insister sur la vivacité de la croyance populaire à l’universelle médiation de Marie et à la valeur de Y Ave Maria. Cette croyance a pu aller dans telle ou telle de ses expressions jusqu'à des abus. Tantôt Y Ave Maria est donné comme le plus efficace des exorcismes et l’auteur du Rosarius raconte l’histoire de l’ennemi (le diable) qui s'évanouit quand il oï dire Ave Maria. « Sathan a grant confusion — -Quant ost la salutation — Par quoi a perdu son pouvoir — De maufere, non le vouloir ». Fol. 23.

D’autres fois les apologistes de Y Ave Maria s'émeuvent d’une objection : la prière chrétienne enseignée par le Christ est le Pater Noster et non Y Ave Maria. Qu'à cela ne tienne, Y Ave Maria est aussi un Pater Noster. C’est le Pater Noster de Notre-Dame : « La Patenostre-Damedieu — Apren et la dit en tout lieu — Nul lieu n’en doit être excepté — Combien que soit lieu de vilté. » Rosarius, fol. 15(5. Le même poète avait été moins habile en rapprochant du sacrement de l’eucharistie la prière de YAve : « VA quest ore mengies Marie — C’est connue Ave Maria die —De lin cuer et de nete bouche — Qui se fait en mengian la touche — Celui a fine affection — Se de lui fais locution — Se raconte sainte vie — Je dis que tu mengies Marie — Par nuit, par jour et à toute heure — Marie même et deveure — Elle tous tant demeure entière — Point ne la gaste ta prière… ». Fol. (14.

III. Évolution historique du rosairk.

Saint Peinard avait beaucoup fait pour promouvoir la mystique mariale fleurie. Le petit chapelet cistercien du xiie siècle dont il a été parlé, col. 2904 au bas. lui était attribué. Dans les premières années du xine siècle, Etienne, abbé cistercien de Sallai en Angleterre, rédige des méditations où apparaissent quinze joies de NotreDame : 1. naissance de la Vierge, 2. vie de la Vierge, 3. annonciation, 4. conception de Jésus, 5. Visitation, ti. naissance de Jésus, 7. visite des rois mages, (S. présentation au Temple, 9. recouvrement de Jésus au Temple, 10. miracles tic la prédication de Jésus, 11. la Croix dont la joie rachète le monde, 12. la résurrection. 13. l’ascension, 14. la pentecôte, 15. l’assomption et la glorification de la Vierge dans le ciel. Chaque méditation se terminait par un Ave farci. Etienne de Sallai précise que d’autres dévots pratiquent des exercices semblables comportant cinq, sept ou vingt joies ; allégation qui est surabondamment corroborée par un grand nombre tle documents. Voir dom Wilmart, Les méditations d' Etienne de Sallai, dans Revue d’ascétique et de mystique, octobre 1929, p. 382. Ces joies sont associées avec le symbolisme fleuri, par exemple dans l’antienne Gaude flore virginali, attribuée à saint Thomas de Cantorbéry. Au début du xme siècle également, chez Gautier de Coinci, avec un abondant symbolisme de la rose, on recommande de donner à la récitation des chapelets de cinquante Ave Maria la valeur d’une méditation joyeuse, édit. Poquet, col. GG8 :