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RABAN MAUR. ACTION

1606

la main sur l’épaule et patronne l’œuvre du disciple. Dict. d’hist. et de ge’oyr. eccl., art. Alcuin, col. 32 ; P. L., t. cvii, col. 137. A Fulda, il se sert des cahiers qu’il a rédigés à Tours : quæcumque docuerunt ore magistri, ne vaga mens perdat, cuncla dedi (oliis, P. L., t. cxii, col. 1600 : il voudra réaliser dans son abbaye ce qu’il a vu à Tours, en faire un centre de culture intellectuelle, à la fois sacrée et profane, capable de rayonner au dehors ; nous avons vu quelles difficultés il rencontra d’abord de la part de son abbé Ratgar, mais la mauvaise volonté de celui-ci ne doit pas faire oublier ce qui avait été accompli à Fulda même par son prédécesseur Baugulfe : la question était posée, une tradition naissait. A l’œuvre commencée, Raban Maur donna une extension considérable. Pour en apprécier toute la portée, il nous faut examiner successivement : le point de départ et les conditions de cette action intellectuelle, son esprit et la méthode suivie, enfin sa valeur réelle.

1. Point de départ et conditions.

La « renaissance carolingienne » part de très bas, les lettres de saint Boniface nous permettent d’apprécier la triste situation qui se présentait sous Charles Martel et les derniers Mérovingiens. Un certain relèvement commença à se produire sous Pépin le Bref, mais c’est Charlemagne qui, aidé d’Alcuin et de quelques autres, entreprit le gros effort dont il vit les résultats appréciables. Son but n’était pas de propager la haute culture intellectuelle, il était beaucoup plus modeste : donner au clergé, aux moines, aux dirigeants laïques, un minimum de culture, pu « r qu’ils fussent capables d’instruire les peuples, de les tirer de la barbarie ou les empêcher d’y retomber. On ne doit pas oublier cette situation initiale, si l’on veut comprendre le sens de l’action de Raban Maur. Parmi les lettres circulaires que Charlemagne adressa, en 787, au clergé séculier et régulier, celle qui, précisément, était adressée à Baugulfe, abbé de Fulda, nous a été conservée : elle marque bien ce que se propose Charlemagne, la portée et les limites de son effort ; cf. Léon Maître, Les écoles épiscopales et monastiques en Occident avant les universités, p. 8. Charlemagne revient à la charge en 789, insistant pour que chaque abbaye entretienne une école. En 802, un concile d’Aix-la-Chapelle donne tout un programme d’études ecclésiastiques. A Fulda, les désirs et les ordres de l’empereur ne furent pas lettre morte ; c’est vraisemblablement avec la pensée de faire de lui un écolâtre que l’on avait envoyé le jeune Raban à Tours : de fait, après la déposition de l’abbé Ratgar, nous voyons, sous la direction de Raban, écolâtre, puis abbé, l’organisation scolaire de Fulda fonctionner à plein rendement : un corps professoral nombreux distribuait l’instruction aux moines, aux oblats, aux étudiants du dehors ; la bibliothèque était importante et s’augmentait progressivement des copies sorties du scriptorium. L. Maître, op. cit., p. 125, 133, 167.

Attirés par la renommée de Fulda, les étudiants vinrent, comme autrefois à Tours. De Raban Maur, Éginhard fait ainsi l’éloge dans une lettre à son fils, alors novice à Fulda : « Applique-toi aux exercices littéraires, et cherche à acquérir, autant que tu le pourras, le savoir de ce professeur dont les leçons sont si claires, si substantielles ; mais imite surtout les mœurs pures qui le distinguent, car les arts libéraux sont vains et nuisibles s’ils ne reposent sur une sage conduite. » L. Maître, op. cit., p. 36. Parmi les disciples de Raban qui devinrent célèbres à leur tour, il faut citer : Rudolfe, son biographe, YValafrid Strabon, Loup, abbé de Ferrières, etc. En 830 fut fondée par Fulda l’abbaye d’Hirsauge près de Spire ; grâce aux maîtres venus de Fulda, cette abbaye devint à

son tour un centre de rayonnement intellectuel.

Nous pouvons, par les lettres d’envoi ou dédicaces qui précèdent toutes les œuvres de Raban, nous faire une idée de l’importance de son action intellectuelle et de la manière dont elle s’exerce. De divers côtés, il est sollicité d’écrire et de composer ces ouvrages, que nous appellerions aujourd’hui des manuels, fonds obligé d’une bibliothèque ecclésiastique. Fréculfe, évêque de Lisieux, lui dépeint sa détresse intellectuelle : la population de son diocèse, écrit-il, est très ignorante et l’évêché pauvre en livres : il ne possède même pas tous les livres canoniques ; à plus forte raison manque-t-il de commentaires ; il supplie donc Raban de composer pour lui un commentaire sur le Pentateuque ; Raban répond que, malgré les occupations multiples que lui donne sa charge d’abbé, il ne peut rien lui refuser et il envoie successivement chacun des cinq livres avec son commentaire ; il ne revendique pas la propriété littéraire : Obsecro, ut commissum tibi opus ca mente accipias. qua tibi directum est, et lam tuis quam tuorum utilitalibus ipsum accommodes : nec etiam, si alicui de a/fmibus tuis illud placueril, præstare ei deneges. P. L., t. evu, col. 441, 442. Il arrive qu’on lui envoie, des parchemins, pour qu’il fasse exécuter les copies à Fulda, mais souvent, il envoie son manuscrit en communication pour que son correspondant en fasse prendre copie. Dans ce dernier cas, il a soin de recommander que l’on veille à l’exécution des copies, ne scriptoris vitium dictatoris dereputetur errori. A Haistulfe, Commentaire sur S. Matthieu, P. L., t. cvii, col. 730. Humbert de Wurzbourg ne manque pas de livres, il donne une longue liste de ceux que possède sa bibliothèque, mais il voudrait, pour l’étude des Livres saints, un abrégé, plus facile à consulter que les grands auteurs, comme Origène, Jérôme, Ambroise, Augustin, etc. Il envoie donc à Raban des parchemins pour qu’il fasse copier son commentaire sur l’Heptateuque (Pentateuque, plus Josué, plus Juges et Ruth). Il désire que sa lettre de demande soit placée en tête de l’ouvrage (on sent d’ailleurs que la lettre a été composée pour être publiée, elle est soignée et même un peu pompeuse) ; il envoie en même temps les reliques demandées. Raban répond qu’il n’a sous la main présentement que les Juges et Ruth, c’est un travail récent qui n’a encore été dédié à personne : qu’il veuille donc en accepter la dédicace ; il lui enverra copie, plus tard, dès qu’ils seront de retour, des commentaires sur le Pentateuque, composés, non sans travail, à la demande de. Fréculfe ; de même le commentaire sur Josué composé pour Frédéric, évêque d’Utrecht, n’est pas encore revenu, il le lui enverra aussi, et très volontiers, tout autre travail qui pourra lui être utile. P. L., t. cviii, col. 1107-1110.

On pourrait dire de Raban Maur qu’il travaille sur commande ; cela est vrai de ses ouvrages d’une certaine étendue, tous précédés d’une et parfois de plusieurs dédicaces ; mais aussi, et plus encore, peut-être, de ses petits traités, qui se présentent sous forme de réponse à une consultation, la simple liste de ses œuvres nous le montrera.

2. Esprit et méthode.

Saint Benoît prévoit dans sa règle que les moines, en dehors des heures consacrées à l’office divin, s’occuperont au travail manuel et à la lectio divina : on se rappelle la manière dont Ratgar comprenait la chose. Raban Maur, au rebours, considère qu’après l’office divin, l’occupation essentielle des moines est la lectio divina, c’est-à-dire la lecture des Livres saints, et d’une manière plus générale, l’étude des sciences sacrées. Par la lecture intelligente de l’Écriture sainte, les moines nourriront leur piété, s’entretiendront dans la contempla-