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    1. RUSSIE##


RUSSIE. L’AUTOCÉPHALIE MOSCOVITE

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n. xx ; A.-D. Scerbin, Histoire littéraire des récits russes sur le concile de Florence (en russe : Lileraturnaja istorija…), dans Let. ist. filolog. obsc. pri Nonorossijskom Unirersitete, t. x, Odessa, 1902, p. 138-186 ; Hild. Schæder, Die russischen Erzdidungen vom Florentiner Konzil, chapitre de son ouvrage Moskau dus drille Rom, Hambourg, 1929, p. 15-28.

On accepta Jonas aussi en Pologne. Le 31 janvier 1451, Casimir Jagellon lui donnait tous les privilèges que Ladislns Jagellon et Vitovt avaient concédés à ses prédécesseurs ; il commanda à tous ceux qui avaient la « foi russe » d’obéir à Jonas. Le métropolite aussitôt nomma des vicaires. L’année suivante. Daniel, évêque de Vladimir et Brest, demanda pardon d’avoir osé « se laisser nommer au siège de Vladimir par le métropolite Isidore et les autres métropolites en communion avec lui et avec le concile réuni à Constant inople ».

Mais bientôt Pic II divisait la métropolie d’Isidore. Isidore restait titulaire de Moscou : Kiev était donnée à son disciple Grégoire surnommé le Bulgare, qui vint en Pologne, fut reconnu par Casimir et rétablit l’union. Jonas bien entendu tonna contre lui et réunit à Moscou un synode composé de Théodose de Rostov, Philippe de Suzdal, Géronte de Kolomna, Vasian de Saraj et Jonas de Perm. Après avoir déploré l’arrivée de Grégoire en Ruthénie, ils signèrent un serment de rester fidèle à Jonas de Moscou et après sa mort à celui qui serait élu sur le choix de l’Esprit-Saint, suivant les canons des saints apôtres et des saints Pères et sur l’ordre de notre seigneur le grand-prince Basile Vasilevic, aulocrale russe. On le voit, c’est toujours le pouvoir civil qui décide des destins de l’orthodoxie. Ceci est tellement vrai que, pour les successeurs do Jonas au trône de Moscou, ils ne seront pas seulement nommés sur l’ordre du grand-prince, mais on verra aussi qu’ils seront déposés, dégradés, emprisonnés, assassinés même comme de simples fonctionnaires (quitte à être peut-être canonisés dans la suite comme saint Joasaph ou saint Philippe !). Des quatorze successeurs de Jonas jusqu’à l’institution du patriarcat moscovite, cinq seulement mourront sur leur siège, les neuf autres seront ou déposés (la plupart) ou devront se retirer. Philippe fut tué.

Mais en même temps que l’on brisait avec Constantinoplc, que les évêques, lors de leur consécration, prêtaient serment de ne pas recevoir de métropolite venant de Constant inople (même après que Constantinople se fut de nouveau séparée des latins) et que le grand-prince de Moscou défendait à l’archevêque de Novgorod de recevoir les légats du patriarche de Constantinople, Moscou gardait contact avec l’Orient orthodoxe par le mont Athos et surtout par Jérusalem.

A Moscou, on se persuadait de plus en plus que le seul territoire vraiment orthodoxe était la Russie moscovite. Soumise aux Turcs, Constantinople ne pouvait désormais se vanter de conserver la foi orthodoxe dans toute sa splendeur : ses églises étaient tournées en mosquées ; le son des cloches — et comment concevoir des fêtes sans sonneries ? — était interdit. Le mariage d’Ivan III avec Sophie Paléologue, s’il causa une profonde déception à Rome, apporta du moins à Moscou un peu de la vieille gloire byzantine : les artistes italiens qui suivirent la princesse dans sa nouvelle patrie donnèrent à la ville russe un éclat incomparable. C’était vraiment la capitale d’un empire, de cet empire que lentement, habilement, les « assembleurs de la terre russe », dont un des plus opiniâtres était bien Ivan III, avaient créé autour de Moscou. Déjà, tant qu’il pouvait, car l’entreprise n’était pas facile, Ivan se faisait appeler tsar par ses diplomates. Le métropolite Zosime l’appelait « le nouveau tsar Constantin de la nouvelle Constantinople », tandis que le moine Joseph de Volokolamsk, un des grands théoriciens du ( ésaropapisme moscovite, le décorait du 1 Ltre de Dsrzavnyj (autoci ate) et lui appliquait toutes les at tributions de défenseur de la foi que Justinien avait prodiguées à l’empereur byzantin. L’archevt’eiue Vassian de Rostov, en invitant Ivan à lutter contre les Tait ares, en le gourmandant même, car Ivan ne se elistinguait pas par sa bravoure sur le champ de bataille, lui elonnait ouverte nient du « tsar fort et brave » ou élu « tsar aimé ele Dieu » ou encore élu « grand tsar chrétien des terres russes ». Ce n’est pas encore d’un patriarche que Moscou a besoin pour réaliser l’idéal de la troisième Rome ; mais il lui faut l’empereur orthodoxe, le basileus, le tsar.

En 1512 parut une chronographie ou histoire du monde qui se elistinguait des vieilles chroniques en ce sens qu’elle’était divisée en chapitres et contenait de longs récits pris d’un peu partout. Il est intéressant ele remarquer la conclusion que son auteur tire de la chute de Rome et ele celle de Constantinople. Après ia chute de Rome (455), l’auteur (il s’agit de Constantin Manassès, un Grec du xiie siècle, une des sources élu chronographe) remarque : « Ces choses arrivèrent donc à l’ancienne Rome ; mais ne>tre Rome nouvelle, Constantinople, fleurit, grandit, est jeune et forte. Qu’elle croisse éternellement, ô empereur, souverain du monde 1° Après la chute de Constantinople (1453), l’auteur du chronographe écrit : « Car tous les pieux empires, celui de Serbie, de Bosnie, d’Albanie et beaucoup d’autres, à eause de nos péchés et par la permission ele Dieu ont été conquis, dévastés et assujettis à leur puissance par les Turcs infidèles, mais notre terre russe, par la miséricorde divine et les prières de la très pure Mère’de Dieu et ele tenis les saints thaumaturges, croit, est jeune et s’élève. Que le Christ miséricordieux lui donne de croître, de s’élever cl de s’élargir jusqu’à la fin eles sièeles ! « Cette dernière phrase rappelle celle de Constantin Manassès. Jælis on disait que Constantinople avait succédé à Home. prise par Genséric ; on dira désormais que Rome, la première Rome, est tombée élans l’hérésie apolliuarienne (Filioque !) et que la seconde Rome, saccagée par les Turcs, est encore en captivité ; il ne reste que la troisième Rome, Moscou.

Le théoricien classique de cette doctrine est un moine, sans grandes prétentions intellectuelles il est vrai, mais dont les écrits sont encore aujourd’hui cités élans tous les manuels : « Je suis un villageois, disait Philothée de Pskov ; j’ai appris à lire et à écrire, mais je n’ai pas examiné les subtilités grecques ; je n’ai pas lu les rhéteurs astronomes, je ne suis pas né à Athènes et je n’ai pas conversé avec les sages philosophes, mais j’ai lu les livres ele la loi sainte. » Ceci pour bien mettre en relief qu’il ne s’agit pas ici ele ectte seience mondaine dont Philothée, comme tous les moines ele son époejue, avait horreur, mais de dogme. Il parle « ele l’empire actuel orthodoxe ele notre Sérénissime et Éminentissime Souverain, qui, dans tout l’univers, est le seul tsar chrétien, qui tient les rênes de tous les sièges divins ele la sainte Église œcuménique, laquelle au lieu d’être à Rome ou à Constantinople, se trouve élans la ville ele Moscou gareléede Dieu « …Car, dit-il ailleurs, bien que les murs et les colonnes et les palais de la grande Home ne soient pas en captivité, l’âme des Romains est prisonnière du démon à cause eles azymes ; bien cjue les Hagarènes (les Sarrasins) aient conquis l’empire grec. ils n’ont pas ruiné sa foi et n’ont pas forcé les Grées à apostasier ; ainsi l’empire romain est indestructible, car la puissance romaine est une figure du Seigneur. >

Dans sa lettre adressée au prince’Basile Ivanovié, il lui rappelle que « l’ancienne Rome tomba dans l’hérésie apollinarienne ; les Hagarènes ont taillé les portes de la seconde Rome avec leurs haches et leurs cognées ;