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RUSSIE. LE DÉBAT SIR LA FORME DE EUCHARISTIE 314

nous le prendrions assez volontiers pour l’homme de confiance de Joachim, qui voyait d’un mauvais œil, lui aussi, que Silvestre Medvèdev avait succédé à son maître dans les bonnes grâces de Sophie. Les Likhudi surent admirablement exploiter cette situation. C’est à ces mesquines jalousies et à ces intrigues méchantes qu’il faut faire remonter, au moins en grande partie, la raison des indignités commises contre Silvestre Medvèdev qui, Prozorovskij l’a admirablement mis en lumière, dominait intellectuellement et moralement ses adversaires.

S. Brajlovskij, J^es rapports d’Eulhyme, moine de Cudov, avec Siméon de Polock et Silvestre Medvèdev (O tnosenija. ..), dans Iiusskij Filologiëeskij Vêstnik, t. XVII, 1899, p. 262-290 ; du même, Sermon d’Eutliyme, moine de Cudov, sur la charité, dans Pamjatniki drev. pis’mennosti, t. ci, 1894.

Euthyme répliqua tout d’abord en protestant énergiquement contre la doctrine du Pain vivant et en affirmant — tout aussi énergiquement — la doctrine opposée. Cette courte Déposition ( Pokuzanie na podverg), qui n’était guère qu’une série d’insultes contre Medvèdev, appelé « uniate, jésuite, ou quelque chose de semblable », ne semble avoir eu aucun effet. Prozorovskij, op. cit., p. 430-434.

Avec l’aide des Likhudi, Euthyme se remit à la besogne et produisit une Réfutation de la doctrine latine un peu plus étoffée que son factum précédent (Oproverzenie latinskago ucenija, ibid., p. 434-450). Il commença par poser l’état de la question : quelques-uns disent que la transsubstantiation s’opère par l’invocation du Saint-Esprit, d’autres se sont égarés à cause du catéchisme de Pierre Mogila. Les livres : La Clef de l’intelligence (de Joannice Galjatovskij), Paix avec Dieu (d’Innocent Gisel), disent que les paroles de l’institut ion : <. Prenez et mangez, ceci est mon corps », etc., sont la forme de l’eucharistie. Ils citent à leur appui Jean Chrysostome, Jean Damascène, Siméon de Thessalonique et Ambroise. À ces théologiens, Euthyme répond en se couvrant de l’autorité d’Épiphane Slavineckij qui s’était fait le champion de l’orthodoxie orientale. L’opinion latine tire son origine dii fait que les latins, n’ayant plus d’épiclèse dans leur liturgie, se sont vus forcés d’en venir aux paroles de l’institution. Ambroise est rejeté comme occidental et parce que, suivant le témoignage de Nil Cabasilas, ses écrits ont été corrompus par les latins. Siméon de Thessalonique laisse entendre que les paroles de l’institution sont une commémoraison de la mort du Christ. Puis Euthyme cite un certain nombre d’auteurs, patristiques et récents, et cherche à tirer de son côté la Verge de direction de Siméon de Polock.

Le catéchisme de Pierre Mogila, dit-il en substance, fut d’abord expurgé en Moldavie ; c’est alors seulement qu’il fut approuvé par les quatre patriarches orientaux et leur concile. La Paix avec Dieu de Gisel est entièrement traduite du latin. Euthyme alors s’étend sur le concile de Florence, les violences faites aux grecs pour qu’ils acceptent la procession du Saint-Esprit ex Paire Filioque, la primauté du pape, le feu du purgatoire, la doctrine sur le pain fermenté et non fermenté, la transsubstantiation par les seules paroles du Christ. Puis, ayant fait l’éloge de Marc d’Éphèse, il conclut : « Jusqu’ici, notre réponse a été tirée des œuvres du philosophe et théologien, Père Épiphane Slavineckij ». Prozorovskij, op. cit., p. 449.

La parole était à S lvestre. Il répliqua par sa volumineuse Manna, dédiée à Sophie qui, durant la minorité des héritiers au trône Jean et Pierre, gouvernait l’empire russe. La jeune impératrice, toute dévouée aux idées occidentales, regardait l’Église catholique avec sympathie. Depuis 1084, les jésuites s’étaient installés à Moscou (ils étaient les premiers prêtres catholiques à s’y établir d’une façon stable pour y exercer le ministère) et ils avaient acquis les bonnes grâces tant de Sophie que de son tout-puissant ministre Galitzin. Silvestre Medvèdev, nous l’avons dit, était lui aussi sympathique aux idées occidentales. Il était même plus que sympathique, et plus d’une de ses expressions semble insinuer qu’il s’était rallié à d’importantes thèses catholiques. Joachim et Euthyme étaient à l’autre pôle. Profondément moscovites, ils n’avaient que de la défiance pour l’Occident. Sophie appuyait Silvestre, mais elle n’était pas parvenue à donner à son moine et poète favori la direction de l’académie gréco-latine qui s’ouvrait à Moscou. Dès le début de 1080, forts de la protection patriarcale, les deux Grecs à peine arrivés faisaient déjà la classe dans les bâtiments qu’on venait de leur construire et, en 1087, ils élargissaient leur académie tandis que l’école de Silvestre se fermait. Cette rivalité ajoutait au feu des controverses Lhéologiqu38.

La Manne (Manna) date de novembre 1C87. D’après Prozorovskij, ses sources principales sont les Commentaria et Disputaliones de G. de Coninck, le De sacramentis d’Adam Opatovius et surtout Y Euchologe de (ioar (édition de 1047). Mais l’ouviage révèle une connaissance approfondie des Pères grecs dont Silvestre a dressé une liste parmi ses sources.

Après une courte introduction et la dédicace à Sophie Alexeèvna, l’auteur démontre, dans la préface à un orthodoxe, la nécessité d’observer les préceptes du Christ, en particulier celui qui a pour objet de consacrer le pain et le vin par les seules paroles de l’institution, il énumère les conséquences terribles des violations des commandements du Christ, rapporte les origines et les développements de l’opinion likhudienne, détourne les orthodoxes de l’infidélité « causée par le maudit Judas » au sujet de la transsubstantiation et annonce son dessein de la confondre.

Puis, ayant divisé la Réfutation d’Eutliyme en soixante-cinq paragraphes, il s’applique à les réfuter l’un après l’autre. Il se lie ainsi à l’ordre posé par son adversaire, ce qui embarrasse sa synthèse. Nous ne pouvons qu’admirer sa loyauté, d’autant plus méritoire que ce n’était pas une vertu fort en honneur chez ses adversaires. Il affirme avec beaucoup d’énergie que la Russie a toujours été tidèle à la doctrine du Christ. Puis, après avoir longuement discuté le texte des paroles de l’institution comme de l’épiclèse, il cite ses autorités nationales. Les troubles ne datent pas de l’impression du catéchisme kiévien (1019) comme l’avait dit Euthyme. Il y avait auparavant le catéchisme (de Laurent Zizania) imprimé sous le patriarche Philarète ; le psautier avec prières avant la communion, imprimé en 1035, les homélies sur l’Évangile, traduites du grec sous le grand prince Basile Joannovic en 7102 (1594) ( !) et imprimées à Moscou en 1664 (50e et 52° homélies), le Sobornik de 1047, le Livre de Cyrille (1043), saint Éphrem (1047). Le commentaire de Théophylacte sur l’Évangile dont l’édition fut faite récemment était basée sur les traductions faites sur des parchemins grecs et non d’après des livres récemment imprimés en Allemagne. Puis Silvestre cherche à justifier ou à excuser Slavineckij (supra, col. 306).

Mais, s’objecte-t-il ensuite, c’est là une doctrine latine ? Il rejette cette difficulté avec beaucoup d’élégance. En ce cas, dit-il, « nous ne devons pas croire à l’incarnation du Fils de Dieu, ni administrer le baptême ; on ne peut se prosterner devant les icônes, ni prier pour les défunts, on doit rejeter encore bien d’autres pratiques que les latins observaient quand ils étaient en communion avec l’Église orientale et qu’ils continuent d’observer. Ayant rétabli l’autorité de saint Ambroise, il reproche à Euthyme d’avoir tronqué les témoignages des autorités qu’il alléguait. Il