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RUSSIE. L’ÉCOLE PROKOPOVIENNE

rum ostendat vera esse quæ leguntur in sacris litteris. Cf. P. Cervjakovskij. op. cit., dans Khrist. Cten., 1876, t. i, p. 49-57. Considérant l’Écriture sainte comme unique règle de foi, il recommande à ses élèves de se défier des opinions des maîtres : Nam scio hominem non posse sanum esse, qui papee vecordiam imitons, errare se posse non putet ; et même il diminue la valeur dogmatique de la Tradition. Prokopovic a des paroles très louangeuses pour l’autorité des conciles et des saints Pères, sans toutefois attribuer proprement le caractère d’infaillibilité ni aux définitions conciliaires, ni à l’avis unanime des Pères. Leur tâche n’est pas de nous transmettre le trésor de la Tradition orale, mais uniquement de nous expliquer le sens de l’Écriture, unique source du dogme. M. Jugie, Theol. dogm. christ, orient., t. i, p. (144 sq. ; P. Cervjakovskij, Sv. Pisanie kak nacalo bogoslovija… po « Vvedeniju v bogoslovie » Theofana Prokopovica, dans Khrist. Cten., 1876, t. ii, p. 101-153 : cf. Acta VI conventus Velehradensis, Olomouc, 1933, p. 134-145.

Cette doctrine représente une concession d’importance capitale faite au protestantisme, dont les doctrines trouvent ainsi une voie facile pour s’insinuer dans la théologie russe. En effet, Prokopovic se fait le champion du canon hébraïque de l’Ancien Testament, duquel il exclut les livres deutéro-canoniques. Dans sa Prima instructio pro pueris voici comme il s’exprime sur la doctrine de l’Église : Ecclesia est uniformitas sensus inter christianos doctrinam Christi serrantes, prout hœe a Patribus et conciliis œcumenicis tradila est, essayant de se tenir dans un juste milieu, mais s’approchant plutôt de la définition classique chez les luthériens. On peut dire la même chose des autres questions, et principalement de l’erreur centrale de l’hérésie luthérienne : la justification. Dans ses traités De gratuita peccatoris per Christum justificatione et De homine lapso. il admet en substance la doctrine protestante sur la corruption radicale du libre arbitre et sur la justification par la foi seule ; il tâche cependant de sauver la nécessité des bonnes œuvres ad Dei cultum et ad exsolvendum quod Deo debemus, et il emploie la formule de la nécessité de la foi sola sed non solitaria, laquelle signifie que la vraie foi produit naturellement de bonnes œuvres, celles-ci naissant non de la foi elle-même, mais de l’objet de la foi, le Christ.

Il est certain que Prokopoviè cherche non sans habileté à éviter un langage ouvertement protestant, et à limiter les conséquences des principes protestants ; de sorte que P. Cervjakovskij. pour définir sa position doctrinale, lui applique les paroles que Martin Becan disait de Marc-Antoine de Dominis : Unum est te neque catholicum esse, neque lutheranum, neque calvinistam ; sed ab omnibus dissentire et novum doctrime symbolum, parlim ex aliorum scriptis, partim ex tuo cerebro consercivisse. Allerum duptici spiritu ad scribendum impulsum te esse : altero odii in pontificem, altero amore proprise exccllentiie. Cf. Khrist. Cten., 1878, t. i. p. 18. Mais les grands points de repère de la doctrine luthérienne se trouvent — en germe si l’on veut — dans l’œuvre théologique de Théophane ; ils ne feront que se développer dans les commentaires de ses disciples.

Le triomphe que Prokopovic remporta dans la sphère politico-religieuse servit aussi la cause de ses doctrines théologiques, qui s’imposèrent de plus en plus dans les chaires des académies théologiques. M. Jugie, Theol. dogm. christ, orient., t. i, p. 593-598.

A l’académie de Kiev, les successeurs de Théophane n’avaient pas accepté le nouveau système, par respect pour Stéphane Javorskij. Le premier qui s’en servit dans ses leçons fut Georges Konisskij, élève de Kiev, où il revint plus tard comme professeur et où il occupa les chaires de philosophie et de théologie (1751-1754). Macaire nous a conservé le titre de son cours, qui trahit clairement les préférences doctrinales de l’auteur : Christiana orthodoxa theologia, ductui ac magisterio veri et sotius sui doctoris Dei triunius…, a placitis quodlibelisque hominum plane hic cœcucientium libéra, etc. Georges consacre son second traité à la sainte Écriture, dont il parle sur le même ton que Prokopoviè, à qui il fut très sincèrement affectionné toute sa vie. Étant archevêque de Mogilev, Konisskij fera une nouvelle édition du catéchisme de Théophane. Cf. M. Pavlovic, Georgii Konisskii arkhiepiskop Mogilevskii, dans Khrist. Cten., 1873, t. i, p. 1-46.

Le changement opéré à Kiev par l’œuvre de Georges Konisskij se consolida quelques années plus tard par l’activité de Samuel Mislavskij, professeur et recteur de l’académie, et, en 1773, métropolite de Kiev. Mislavskij, éditeur de Prokopovic, donna un résumé en russe et en latin de l’œuvre de celui-ci, sous le titre : Dogmata præcipua fidei orthodoxie calliolicæ et apostolicæ Ecclesiæ orientalis, creditu maxime necessaria pro adipiscenda lelerna salute, et, comme protecteur de l’académie, il s’employa à en assurer le succès et à répandre la théologie prokopovienne dans d’autres centres d’enseignements, placés sous l’influence des professeurs de Kiev.

A l’académie de Moscou, le terrain avait déjà été préparé par Cyrille Florinskij. Le premier traité de tendance prokopovienne a pour auteur l’archevêque de Saint-Pétersbourg, Gabriel Petrov, recteur et lecteur de théologie à l’académie de Moscou de 1761 à 1763. Il est l’auteur de la Theologia christiana orthodoxa pro diversilate materiarum in varias traclatus ac paragraphes divisa, in imperiali Mosquensi Academia tradita et explicata, que Philarète (Gumilevskij) considère comme le meilleur compendium théologique de son temps. Le manuscrit qui se conserve dans la bibliothèque de l’académie de Moscou servit à un autre professeur de cette institution, Théophylacte Gorskij, pour son ouvrage : Orthodoxie orientalis Ecclesiee dogmata. seu doctrina christiana de credendis, usibus eorum qui studio theologico sese consecrarunt addixerunlque adornala accommodataque. La première édition est celle de Saint-Pétersbourg, de 1783 ; d’autres éditions suivirent, dans la même ville d’abord, puis à Leipzig, à Moscou, mais l’ouvrage avait été composé avant que Théophylacte eût quitté le rectorat de l’académie pour devenir évêque de Perejaslavl en 1776.

Cette même année, le siège métropolitain de Moscou était occupé par le plus célèbre des théologiens procopoviens, Platon Levsin. Dans les années 1761-1763, étant recteur du séminaire de la laure de Saint-Serge, Platon écrivit le traité : Theologia christiana super jundamentum verbi Dei extructa ad praxim pietalis et promotionem fidei Jesu Christi unice directa, qui resta manuscrit ; et le compendium, dédié au prince Paul Petrovic : Pravoslavnoe ucenie, ili sokrascennaja khristianskaia bogoslovija, publié pour la première fois à Saint-Pétersbourg en 1765, et traduit en latin par Damascène Semenov Rudnev : Orthodoxa doctrina seu compendium theologiie christiana, Saint-Pétersbourg, 1774, ensuite en grec, en français, en allemand, en anglais, en hollandais, en arménien et en géorgien ; ce succès est dû beaucoup plus à la réputation de l’orateur et du conseiller de cour qu’au mérite intrinsèque de l’œuvre. Cf. sur ces auteurs le livre de B.-V. Titlinov, Gabriel Petrov ( 1730-1801), Saint-Pétersbourg, 1916, recueil d’articles parus antérieurement dans Khrist. Cten., 1914-1915 ; et l’article de l’archiprêtre Y. Magnickij, Platon II (Levsin) mitropolit Moskovskii. dans Pruv. Sob., 1912, t. ii, p. 569-588, 837881. Pour la bibliographie antérieure, voir A. Palmieri, Theologia dogmatica orthodoxa, t. i, p. 165-169.