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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 14.1.djvu/450

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    1. SAINTS (CULTE DES)##


SAINTS (CULTE DES). LES TROIS PREMIERS SIÈCLES

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pour justifier l’attention que les controversistes du xvie siècle ont donnée à ce texte inspiré. On devra même remarquer que cette vision — dont le caractère apocalyptique se laissait pénétrer plus facilement dans les milieux judaïsants — devait traduire en images somptueuses les humbles réalités du culte naissant.

Avant de passer à ces manifestations cultuelles, et pour en expliquer le jaillissement subit dans l'Église apostolique, il faut marquer, par d’autres enseignements de l’Apocalypse, la place unique que l’apôtre saint Jean reconnaît aux martyrs, dans la conquête chrétienne. On y voit d’abord la glorieuse carrière terrestre de ces deux « témoins, qui prêchent revêtus de sacs », Apoc, xi, 3, mais qui font des miracles à l’instar de ceux d'Élie et de Moïse. Même si ces « deux témoins » doivent quelque jour être personnifiés, ils étaient, pour les premiers chrétiens, les types idéalisés de ces prédicateurs chrétiens qui tombaient martyrs de leur témoignage devant les représentants du pouvoir : » La bête qui monte de l’abîme, leur fera la guerre, les vaincra et les tuera… Mais, après trois jours et demi…, ils montèrent au ciel à la vue de leurs ennemis. » Apoc, xi, 7, 12.

Voici d’ailleurs, au chapitre suivant, la suite de cette épopée des martyrs. Il y a sur la terre, dès le temps de l’auteur inspiré, un combat entre le dragon et la Femme, entre Satan et ses anges et l'Église du Christ ; mais ce combat a eu son prélude dans la lutte victorieuse de Michel et de ses anges contre ce « dragon, qui est appelé le diable et Satan » ; et les vainqueurs ont chanté : « Maintenant le règne est à notre Dieu et la puissance à son Christ, car il a été précipité, l’accusateur de nos frères… Eux aussi l’ont vaincu par le sang de l’Agneau et par la parole à laquelle ils ont rendu témoignage, et ils ont méprisé leur vie, jusqu'à en mourir. » Apoc, xii, 10-12.

Et maintenant résumons les enseignements contenus dans cette doxologie : il n’y a qu’un maître souverain et qu’un médiateur tout-puissant : Dieu et son Christ. Mais il y a aussi dans le ciel de puissants esprits : les anges qui se passionnent pour le triomphe de Dieu dans sa création, par l’expulsion du ciel des mauvais anges. C’est déjà un gage de la victoire future des hommes, « leurs frères », auxquels ils s’intéressent pour la gloire de Dieu : car « de ces frères Satan était l’accusateur » au ciel, accusateur obstiné et souvent satisfait. Satan, précipité sur la terre, y continue sa guerre aux hommes ; mais il y a déjà été combattu par l’Agneau immolé et par les martyrs immolés à son exemple : « Eux aussi l’ont vaincu par le sang de l’Agneau. » Dans la mesure où ils l’ont maîtrisé, les martyrs n’ont plus à craindre pour eux ses accusations ; de là cette joie totale « des cieux et de ceux qui y habitent ». Si l’on rapproche cette vision de la précédente, on pourra conclure que les martyrs « servant Dieu jour et nuit dans son sanctuaire », Apoc, vii, 15, et y demandant la punition de leurs ennemis, vi, 10, sont bien placés pour épargner à leurs frères les attaques du diable, « le séducteur de toute la terre », Apoc, xii, 9. Il y a là au moins une pierre d’attente pour la théologie de l’intercession des anges et des saints.

Enfin voici une réflexion morale sur le rôle de ceux-ci : les martyrs sont des vaincus de la tyrannie, mais ils ont gardé intact le dépôt de la foi : « La bête que je vis [monter de la mer] proférait des paroles arrogantes et blasphématoires… Il lui fut donné de taire la guerre aux saints et de les vaincre… La bête de la terre… séduisait les habitants de la terre par des prodiges… Et il lui fut donné de faire tuer tous ceux qui n’adoraient pas l’image de la bête [de la mer]. » Apoc, xiii, 2, 7, 14-15. Ne croyons pas qu’il ait été si difficile aux victimes des premières persécutions de deviner ce langage énigmatique. En tous cas, ils en

comprenaient bien la conclusion pratique : « Qu’il entende, celui qui a des oreilles pour entendre. Voilà la patience et la foi des saints ! » Apoc, xiii, 10. C’est bien là le dernier mot du voyant de Patmos : les martyrs ont subi vaillamment les supplices et conservé leur foi au Christ : T18é ècrriv yj ûtcou.ov7) xoei t mairie tcov âytwv, « tel est [l’exemple de] patience que nous laissent les saints [martyrs] », ou bien « tel est [le modèle de] patience qu’ont à suivre les saints xiii, 10 ; de quelque façon qu’on traduise cet adage. cf. xiv, 12, il se résout en une consigne d’imitation. Tout cet enseignement de l’Apocalypse se pourrait, une fois transposées les images, être répété dans une église d’aujourd’hui : Marchons sur les traces de nos saints ! Mais il n'était pas donné à tous les chrétiens, même au i er siècle, de suivre les martyrs jusqu’au supplice : à côté de « ceux qui avaient été immolés pour leur témoignage », vi, 9, il y avait « le reste des en fants » de l'Église, « ceux qui observent les commandements de Dieu et qui gardent le témoignage de Jésus ». xii, 17. Eux aussi, ils auront à maintenir la vérité de leur foi et la virginité de leurs relations, xiv, 4-5, en se gardant de l’idolâtrie ambiante : « C’est ici [que doit se montrer] la patience des saints, qui gardent les commandements de Dieu et la foi en Jésus. » xiv, 12. Cependant, ils ne sont, eux, l’objet d’aucun honneur religieux après leur mort, mais seulement d’une louange collective pour la béatitude qui leur est assurée : « Et j’entendis une voix venant du ciel qui disait : Écris : « Heureux dès maintenant les « morts qui meurent dans le Seigneur. Oui, dit l’Esprit, « qu’ils se reposent de leurs travaux, car leurs œuvres « les suivent. » xiv, 13. Il faudra, en elTet, attendre plusieurs siècles pour que la piété chrétienne s’enhardisse jusqu'à honorer et invoquer les saints non-martyrs ; mais déjà leurs œuvres sont célébrées, et aussi leur mort qui les unit à jamais au Seigneur.

C’est seulement à la fin du monde que sonnera pour les saints l’heure du triomphe, et pour les martyrs la vengeance de leurs ennemis : i Après cela, j’entendis dans le ciel comme une grande voix d’une foule immense qui (lisait : « … Dieu a vengé maintenant le sang de ses serviteurs. ».. L'épouse de l’Agneau s’est parée et il lui a été donné de se vêtir de fin liii, éclatant et pur. Ce fin liii, ce sont les vertus des saints. » Apoc, xix, 2 et 8. Cette idée du retard de la béatitude totale a pu entraver quelque temps les progrès du culte des saints ; mais son explosion même lit éclater la lettre du texte inspiré. Aussi bien celui-ci ne portait-il pas : « Ecris : « Heureux ceux qui sont invités » — dès maintenant — « aux noces de l’Agneau ! » Apoc, xix, 9.

II. AUX TROIS PREMIERS SIÈCLES DE l'ÉGUSE.

I. HA VTE AXTIQ I 1 1 'k d CCI L TE DES SAIS TS. — Le culte

des saints, sous une forme ou sous une autre, dut être pratiqué dès la primitive Église, l’universalité de la tradition postérieure garantissant pour le théologien la primitivité et la continuité de l’usage. Mais l’historien manque de documents valables pour l'époque qui précéda les grandes persécutions. Cependant il doit tenir compte, sinon tirer argument, du fait de la diffusion progressive et variée des écrits du Nouveau Testament, lus dans les réunions chrétiennes : sans doute l’Apocalypse et l'épître aux Hébreux qui célébraient à l’avance la gloire des martyrs, n’eurent pas une diffusion universelle ; mais il faut tenir compte des quatre évangiles, qui donnaient les noms, les gestes et les privilèges des douze apôtres, colonnes de l'Église naissante, et particulièrement des deux évangiles de Matthieu et de Luc, qui débutaient par les actes de Marie et de l’enfance de Jésus. Croira-t-on que les premiers disciples, mis au courant de vive voix de cette vie cachée et pleine de conversations avec les anges, n’aient pas entouré la mère de Jésus d’un respect