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    1. SALAIRE##


SALAIRE. REGULATION MORALE, LES SOLUTIONS

lui

absolue l’artifice heureux qu’elle s’est un jour forgé pour une tâche déterminée et qui, oublieuse de ses fins spirituelles comme de son autorité souveraine, subit, aveugle et prisonnière, le déterminisme mécanique de ses propres institutions.

IV. Conclusion.

Ne poussons pas l’optimisme jusqu'à nier l’existence d’un problème moral du salaire. Mais, grâce à l’enseignement social chrétien, réintégré dans la synthèse morale traditionnelle, se sont peu à peu dissipés les sophismes latents qui dénaturaient ce problème et nourrissaient les disputes. Parmi ces sophismes nous avons pu relever au long des pages précédentes : une tendance à identifier le bien et l’obligatoire, l’obligation stricte avec l’obligation de justice commutative, la justice commutative avec celle qui règle les obligations du contrat de vente ; une certaine réduction du devoir de charité à la simple obligation morale, comprise presque à la manière d’un conseil surérogatoire ; une inconsciente défaveur attachée à l’exercice de la charité dans l’aumône, celle-ci du reste étant méconnue en ce qu’elle a de plus noblement significatif ; assimilation du légal à l'étatique, tous deux enveloppés dans une méfiance instinctive ; méconnaissance générale de toute cette région de la morale appliquée aux vertus et aux offices politiques.

Dès qu’on évite ces illusions, le problème moral du salaire se présente comme un eus très important et ardu, mais vraiment classique et relevant des principes les plus ordinaires.

1° Le contrat proprement dit engendre des obligations de justice commutative. — Pour en rendre compte, point n’est besoin de scruter dans la nature des choses la valeur intrinsèque de la prestation « donnée » par l’ouvrier ; l’ouvrier ne donne strictement rien, à prendre le mot datio au sens formel du droit. I ! suffit d’analyser la nature des engagements respectifs contractés tant par le patron que par l’ouvrier, pour en apercevoir le caractère commutatif. Mais d’abord évitons cette, confusion courante qui donne au mot commutatif le sens de compensatif, comme s’il exprimait le fait que deux obligations naissant du contrat, chacune doit équilibrer l’autre exactement et à égalité. En réalité, si l’on donne à commutatif son sens scolastique on entend tout autre chose : chacune des deux obligations réciproques nées du contrat de travail possède par nature et en elle-même, sans égard à l’autre, le caractère d’une obligation de justice commutative, par opposition aux obligations de justice distributive. La dette de salaire, par exemple, pour nous en tenir à l’obligation qui incombe à l’employeur, constitue une obligation de justice commutative parce qu’elle impose au débiteur, s’il veut s’acquitter, d'égaler sa prestation à la valeur certaine et juridiquement fixée qui est due, qui revient au créancier. Par exemple, s’il est convenu que je paie chaque heure de travail au tarif de cinq francs et si mon employé a travaillé huit heures, l’inégalité consiste dans le fait que je détiens actuellement une somme de quarante francs qui de droit appartient à autrui ; il y a dans mon patrimoine un excédent réel et un déficit réel dans celui de mon créancier ; ma dette est de justice commutative parce que l'égalité ne peut se rétablir qu’au prix d’un ajustage arithmétique, d’un équilibre numérique, rei ad rem. On voit comment cette espèce de justice se distingue de la justice distributive qui, pour établir son type d'égalité, se sert, non pas d’une telle échelle arithmétique, mais d’une proportion par laquelle on mesure et on distribue diverses prestations inégales selon un ordre de grandeur qui correspond à l’ordre de dignité des personnes inégales : seeundum proportionem rerum ad personas ; cette justice distributive réglerait par exemple la fixation des pourcentages différents selon lesquels, d’après leur

rang dans l’entreprise, différents collaborateurs seraient appelés à participer aux bénéfices et aux pertes.

Dire que la dette de salaire est due en justice commutative ce n’est donc pas affirmer son équivalence en valeur à la prestation de travail. Rien de plus chimérique que de poursuivre une telle équivalence, l’expérience l’a prouvé. On dit seulement qu’elle est fixée à un chiffre certain et que la justice impose au patron de porter exactement à ce chiffre le salaire versé. Mais cette justice suppose l’existence préalable d’un droit. Comme nous l’avons dit plus haut, c’est la libre volonté des parties contractantes qui a établi ce droit positivement, ayant admis d’un commun accord que tel travail, dans telles conditions, mesuré de telle façon, ferait naître la créance de tel salaire également déterminé. À défaut d’un tel accord et si nulle autre règle de droit positif n’y supplée, le travail ne ferait naître aucune créance de salaire ; inversement, le travail le plus inutile, le plus stérile et dénué de valeur économique, pourvu qu’il ait été accompli selon les stipulations du contrat, engendre une créance aussi parfaite, certaine et rigoureuse que le travail le plus efficace et le plus productif.

Cet aspect « commutatif » de la dette de salaire, on le voit, relève en principe exclusivement de la libre et souveraine volonté des parties. Ce n’est pas à dire que cette volonté soit sa propre raison, soit dénuée d’orientation objective, détachée de toute finalité naturelle et morale : sans cela il n’y aurait même plus de libre volonté. Mais il faut accepter l’autorité juridique des volontés qui, pour des raisons à elles, concluent un tel contrat, exactement comme on reconnaît au propriétaire le pouvoir d’exercer sur son bien, pour des raisons à lui connues, de libres actes de disposition. En effet, ici et là, on compromettrait un bien naturel et social d’ordre général et supérieur, si on prétendait supprimer, fût-ce dans les meilleures intentions et sous prétexte de mieux atteindre une fin, la liberté de disposer et de contracter socialement instituée en vue de cette fin. Des abus, il y en a effet il y en aura, en matière d’usage propriétaire comme en matière de libres conventions. Qu’il faille prendre toutes mesures opportunes pour régler et orienter l’usage de ces libertés afin de les aider à se maintenir dans leur finalité sociale, nul ne peut le contester et nous ne disons pas autre chose. Mais, précisément parce que le droit de propriété privée d’une part, la liberté et l’autorité juridique des conventions privées d’autre part se révèlent par nature les instruments efficaces du bien commun et du progrès juridique dans la société humaine, il faut craindre de briser ces instruments sous prétexte du mauvais usage qu’on risque d’en faire ou que certains en font. Et cela assure à l’aspect commutatif, « personnel (au sens de Léon XIII) du contrat de travail son autorité légitime. Au nom de l’ordre distributif lui-même. qui inclut toutes les finalités humaines et sociales de la vie économique, nous devons veiller à ce que, les conditions techniques du contrat étant réunies, soient également assurées les garanties juridiques de son exécution intégrale. Servir cet ordre commutatif, technique, personnel, ce n’est pas une concession faite ad duritiam cordis à la malice des temps, c’est le moyen ou du moins un des moyens rationnels établis pour servir les fins distributives, naturelles, sociales.

2° Ce qui domine le contrat. - Cependant, ces mêmes considérations supérieures qui affermissent dans sa légitime autorité l’aspect commutatif du contrat gouvernent de haut l’usage légitime de ce contrat. Tout d’abord, cela va de soi, un acte juridique, quand ce serait une constitution d’hypothèque ou l’acceptation d’un legs, est un acte humain que l’on ne peut isoler d’un contexte moral ; à plus forte raison le contrat de travail, mettant en cause des valeurs et des intérêts