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SAVONAROLE. LE RÉFORMATEUR


Le souverain pontife blâma, à juste raison, cette procédure étrange de l'épreuve du feu. Cependant les Florentins ne tinrent pas compte de ce blâme prudent. Ils s’occupèrent à réaliser l’aventure. Le 7 avril, sur la place de la Seigneurie, deux bûchers de quarante aunes de long, arrosés d’huile et de résine, s'élevaient parallèlement ; entre eux on avait ménagé un intervalle suffisant pour le passage d’un homme. Mais frère Dominique prétendit n’y pénétrer qu’en portant le saint-sacrement. Le public jugea ce projet exorbitant et sacrilège. On discuta. Il plut. Le dominicain ne passa pas dans le feu. Savonarole perdit la face. Le lendemain, il aggrava son cas en montant, pour le dimanche des Rameaux, dans la chaire de Saint-Marc. La Seigneurie prit contre lui un décret de bannissement. Il y eut émeute. Le malheureux fut emmené en prison avec frère Dominique. Les Florentins demandèrent au pape d’envoyer ses délégués pour juger le faux prophète. Le 19 mai. pour remplir cet office, arrivèrent à Florence le général des dominicains et un évoque. Alexandre VI permettait qu’on tirât des aveux de Savonarole « même par la torture ». Supplicié par la question, le prisonnier avoua que ses prophéties provenaient de son inspiration et non point de Dieu. Il fut abandonné de tous, de tous ceux qui l’avait loué et adulé. L’exécution de la sentence de mort eut lieu le 23 mai 1498, après qu" la victime eut reçu les sacrements de pénitenie et d’eucharistie. Les frères Dominique et Silvestre périrent avec.Jérôme. Us furent tous trois pendus, puis leurs cadavres furent brûlés et les cendres jetées dans l’Arno, de crainte que des partisans secrets en fissent des reliques.

Il advint qu’au cours de la cérémonie de dégradation ecclésiastique, l’officiant se trompa : « Je vous sépare, dit-il, de l'Église militante et triomphante. Savonarole le reprit fièrement disant : « De l'Église militante, non de la triomphante ; cela n’est pas en votre pouvoir. » Ce dernier trait le peint tout entier. Peu d’instants après, se confiant au Christ, Savonarole n'était plus qu’un pendu au bout de la potence.

II. Dessein de réformée l'Église. — On ne comprendra rien au cas de Savonarole si on le sépare de ce qui constitue historiquement son « contexte » : les hommes parmi lesquels il a vécu, si dissemblables de lui à de multiples égards, le font au contraire saisir à d’autres points de vue, par analogie avec leur propre cas. L’un des auteurs qui ont jugé Savonarole avec le plus de sévérité, voie de dureté, l’astor, fournit à son insu tout un plaidoyer en faveur des libertés de langage et des audaces pseudo-prophétiques du fougueux dominicain. Les procédés de ce dernier apparurent moins insolites en son temps qu’ils n’apparaîtraient dans le nôtre : « Les plus graves et les meilleurs prédicateurs ne se faisaient point faute de blâmer les écarts de langage que certains de leurs confrères se permettaient en chaire. C’est ainsi qu’on les voit tour à tour s’en prendre à ceux qui se plaisaient à faire un étalage excessif de leur érudition, à ceux qui se perdaient dans des subtilités théologiques, à ceux qui s’abaissaient à des trivialités, pour flatterie goût populaire. D’autres, éblouis par les beautés nouvellement découvertes dans la philosophie païenne, s’oubliaient jusqu'à les développer dans les églises…, même jusqu'à faire de leurs sermons un mélange de mythologie païenne et de dogmatique chrétienne. D’autres, entrant dans une voie plus dangereuse encore et épris de vaine gloire, au lieu de ne songer qu'à l’instruction et à l'édification du peuple, racontaient du haut de la chaire des miracles inventés de toutes pièces, publiaient dans le Heu saint des prophéties modernes controuvées et des histoires à dormir debout, exagéraient les maux déjà trop réels de la société, dépeignaient les vices dans les termes les plus

inconvenants, se permettaient des attaques grossières contre les hauts dignitaires de l'Église et même contre le pape, représentaient l'Église comme corrompue jusqu'à la moelle, se faisaient un argument de présages fallacieux et de révélations supposées, pour annoncer comme imminents de terribles effets de la justice divine, la destruction de Rome, la désolation de l'Église, la venue de l’Antéchrist ; parlaient de tout, de la politique et des choses du siècle, excepté de la seule chose dont il eût été nécessaire de parler. » Pastor, Histoire des papes, édit. française, t. v, p. 178-179, citant saint Antqnin, Summa theol., pars I II a, tit. xviii, cap. 4, et les décrets du concile du Latran de 1215.

Au milieu de la prédication la plus fulgurante de Savonarole contre Rome, contre la Curie et le pape, au moment où il annonce que tout va périr et Rome d’abord, ce sont les crédules Romains qui. les premiers, proclament l’imminence de cette destruction céleste : et ils se fondent non pas sur une parole de Savonarole. mais sur une « miraculeuse inondation du Tibre » qui eut lieu le 7 et 8 décembre 1495. Pastor, op. cit., p. 459-4(50, a compris l’importance de ce fait et le synchronisme avec les prophéties de Savonarole ; « Ce terrible événement (l’inondation) frappa vivement l’imagination d’un peuple si facilement impressionnable ; il y avait de quoi en effet. On se ressouvint du sort de Sodome et Gomorrhe. Quelques-uns, écrit un Vénitien, redoutent un jugement de Dieu et la destruction de la ville entière. » On racontait toutes sortes de faits merveilleux et, comme ils reflétaient l'émotion générale, ils trouvaient créance. L’opinion publique s’occupa spécialement d’un monstre trouvé, disait-on, sur la rive du Tibre, au mois de janvier 1496. Les ambassadeurs vénitiens en donnent la description : corps de femme, tête d'âne, longues oreilles, bras gauche à forme humaine, bras droit terminé en trompe d'éléphant « le postérieur présente la figure d’un vieillard barbu. En guise de queue il a un long cou sur lequel se dresse une tête de serpent à la gueule ouverte. Le pied droit a la forme d’une serre d’aigle avec ses griffes, le pied gauche est celui d’un boeuf. Les jambes à partir des pieds et le corps entier sont couverts d'écaillés comme un poisson. » Les Romains voulaient voir dans ce phénomène un présage de fléaux prochains tels que la guerre, la famine et la peste… Partout on entrevoyait l’avenir avec un sentiment d’angoisse et de terreur. Pendant ce temps, La voix éloquente de Savonarole ne cessait de lancer du haut de la chaire les prophéties effrayantes : « Je vous annonce, disait-il au peuple de Florence, dans un sermon du carême de 1490, que l’Italie sera bouleversée de fond en comble : les premiers deviendront les derniers. Malheureuse Italie ! »

Au milieu de ce dégoût universel, de cette réprobation qui semblait frapper les abus de la Curie romaine (selon le jugement des contemporains), Savonarole ne pense aucunement à modifier les dogmes de la foi. Dans son livre Le triomphe île lu Croix, c’est une probante apologétique du catholicisme orthodoxe qu’il a voulu rédiger. Il considère l'Église comme un système judiciaire, t. III, c. XIII, il y dé< lare que les sacrements ont été institués par Jésus, c. xiv, comme les moyens normaux de conférer la grâce. Il étudie en détail, avec la plus parfaite orthodoxie thomiste, chacun des sept sacrements catholiques. C. XV. Les rites mêmes des sacrements lui paraissent parfaits et inchan ! cables. (.. XVI. Pour ce qui concerne l’eucharistie, la présence réellee t expliquée par la transsubsf antiation sans que l’auti ur recoure à aucun des subterfuges ('ont useront bientôt les théologiens réformés. C. XVll.Tous les menus usages traditionnels de l'Église romaine sont loués comme - conformes à la raison la plus sage »,