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    1. SAVONAROLE##


SAVONAROLE. LE RÉFORMATEUR

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déposition d’un pape déjà considéré comme douteux à cause de sa simonie. D’aucuns allaient jusqu'à dire que le simoniaque n'était pas investi de sa fonction, même avec l’acquiescement implicite d’un public, qui ne pouvait acquiescer que pour autant qu’il ignorait la gravité de la simonie. Lorsqu’il s’agissait d’un ecclétique d’un rang inférieur, l’opinion de ces théologiens tutioristes demeurait de plus en plus traditionnelle dans l'Église. Dans son étude incomplète mais perspicace sur Savanarole, le P. Hurtaud ainsistésur ce fait que la très grave simonie dont avait été affectée l'élection d’Alexandre VI le rendait pape douteux. Il y a mieux : afin que le scandale d’une telle simonie éloignât à jamais un indigne du Siège apostolique, deux ans après la mort d’Alexandre VI, en 1505, son successeur Jules II, par sa bulle Cum tam divino, déclarait que serait nulle dorénavant toute élection de l'évêque de Rome obtenue par des moyens simoniaques. Le cas d’Alexandre VI poussait donc les théologiens contemporains à admettre des sévérités légitimes plus ou moins semblables à celles du fougueux Savonarole. En 1 195, lorsque le roi de France Charles VIII vint à Home, il s’en fallut de peu que le très douteux Alexandre ne fût déposé. L'évêque de Saint-Malo, Briçonnet, écrivait à la reine : < Notre Saint-Père est plus tenu au roi qu’on ne pense. Car si le dit Seigneur eût voulu obtempérera la plupart de Messeigneurs les cardinaux, ils eussent fait un autre pape, en l’intention de réformer l'Église ainsi qu’ils disaient. — < Avec le roi, raconte Commines, étaient bien dix-huit cardinaux et d’autres qui tous voulaient faire élection nouvelle et qu’au pape fût fait procès. Deux fois l’artillerie fut prête, comme m’ont conté les plus grands, mais toujours i v ioy par sa bonté y résista. » Voir Hurtaud, Lettres de Savonarole aux princes chrétiens pour la réunion d’un concile, dans Revue thomiste. 1899, p. G31674, en particulier p. 058 et f167.

Savonarole était d’autant plus porté à insister sur la tare simoniaque d’Alexandre VI, qu’une de ses prophéties avait précisément consisté à dire qu’il viendrait un pape simoniaque. Mais sur ce double point si important de la simonie d’Alexandre et de la prophétie réalisée de Savonarole le mieux est de laisser paraître le texte bourré de références de Pastor, op. cit., p. 367370, auteur pourtant peu suspect de sympathie eu faveur de Savonarole : « Aseanio Sforza se rendant compte qu’il devait renoncer à l’espoir de devenir pape se montra disposé à écouter les offres séduisantes de Borgia. Celui-ci lui promit, outre sa charge de vicechancelier et son propre palais, le château de Nepi, Pévêché d’Erlau avec son revenu de 10 000 ducats et d’autres bénéfices encore. Urne fois entré dans cette voie, il prit l’engagement de donner au cardinal Orsini les importantes places fortes de Monticelli et de Soriano, la légation de la Marche et l'évèché de Carthagène : au cardinal Colonna, l’abbaye de Subiaco avec tous les châteaux environnants ; à Savelli, Civita Castellana et l'évèché de Majorque ; à l’allavicini, l'évèché de Pampelune ; à Jean-Michicl, l'évèché j suburbicaire de Porto ; aux cardinaux Sclafenati, Sanseverino, Riario et Dominique de La Rovere, de riches abbayes et des bénéfices de grand rapport. C'était de la simonie pure, mais le résultat de cette intrigue était d’assurer avec les voix de Borgia et celles des cardinaux Ardinico délia Porta et Conti, entièrement aux ordres de Sforza, un ensemble de quatorze voix. Il ne s’en fallait plus que d’une voix pour atteindre la majorité des deux tiers. Elle fut difficile à obtenir… (L’un) ne voulait à aucun prix entendre parler de l'élection de Borgia, (un autre) refusait également de se prêter à ce scandaleux marchandage. Restait le vieux Gherardo : âgé de quatre-vingt quinze ans, il ne jouissait plus de toutes ses facultés ; il se laissa circonvenir par son

entourage et sa voix fit pencher la balance en faveur de Borgia… qui fut proclamé pape… Cet événement produisit une déception générale : il était le résultat d’intrigues o i la simonie la plus impudente avait joué le principal rôle. « Ainsi, dit l’annaliste de l'Église, par « un décret mystérieux de la Providence, se trouvait « investi de la dignité suprême un homme qu’autrefois s l'Église n’eût pas même admis dans les rangs infé- « rieurs du clergé à cause du dérèglement de ses mœurs. » Alors s’ouvrit pour l'Église romaine une ère d’ignominie et de scandales. » « Savonarole l’avait pressenti : et ses prédictions se réalisaient : le glaive de la colère divine s'était tourné vers la terre ; le châtiment commençait. » Il est intéressant que Pastor reconnaisse franchement que la prophétie de Savonarole s'était réalisée. Savonarole, qui avait prévu les huit années de sa prédication, a prévu aussi l’occupation du siège romain par un simoniaque. Il y avait dans ce succès de quoi l’enhardir pour son opportune action réformatrice.

Ce qu’Alexandre VI pouvait redouter le plus, ce qui devait paraître à Savanarole le plus efficace, c'était la réunion d’un concile général pour juger l’indigne et casser son élection vicieuse. Savonarole était à ce moment-là à la tête de la république florentine. Il était l’allié du roi de France Charles VIII. Ce dernier songeait effectivement à réunir un concile. Le 7 janvier 1497, le roi avait demandé à la puissante université de Paris un avis motivé sur cette question du concile. Fallait-il réunir un concile général ou au moins un concile français ? Les douze députés de l’Université firent un rapport qui concluait que, d’après le concile de Constance, on devait réunir un concile général tousles dix ans, surtout lorsque se faisait sentir un plus grand besoin de réforme. Les douze députés universitaires précisaient que le concile pouvait et devait se réunir en dehors du pape si le pape y faisait opposition. Le roi. allié de Savonarole, avait d’autant plus envie de réunir le concile que les affaires de la réforme de l'Église l’intéressaient vivement. Voir Hefele-Leclerc, Histoire des conciles, t. viii <i, 180-181.

En présence de cette attitude du roi de France, Savonarole agit vivement et profita de l’occasion favorable. Il adressa à l’empereur, aux rois de France, d’Angleterre. d’Espagne et de Hongrie des lettres en faveur de la réunion du concile œcuménique. Du a dit (Perrens, Jérôme Savanarole, p. 235) que, dans ces lettres, « Savonarole s’attache à développer cette maxime de Jean Hus que le pape n’est pas le successeur véritable du chef des apôtres si ses mœurs ne sont pas semblables à celles de Pierre. » En vérité, les textes indubitablement authentiques des lettres ne se placent pas exactement sur ce terrain et sont extrêmement précis et virulents. Voici le passage essentiel de la lettre adressée à l’empereur : « Toutes les abominalions, toutes les scélératesses se répandent sans pudeur par toute la terre et vous gardez le silence et vous vénérez la pestilence assise sur la chaire de Pierre. Voilà pourquoi le Seigneur, irrité de cette intolérable corruption, depuis quelque temps déjà a permis que l'Église fût sans pasteur. Car je vous atteste au nom de Dieu, in verbo Domini, que cet Alexandre VI n’est point pape et d’aucune façon ne peut l'être. Car, outre le crime exécrable de simonie, par lequel il a dérobé la tiare par un marché sacrilège et par lequel chaque jour il met aux enchères et confère aux plus offrants Us bénéfices ecclésiastiques, outre ses autres vices connus de tous, que je passerai sous silence, voici ce que je déclare en premier lieu, hoc primum assero, ce que j’affirme en toute certitude : cet homme n’est pas chrétien, il ne croit même plus qu’il y ait un Dieu, il passe les dernières limites de l’infidélité et de l’impiété. Il est d’autres forfaits secrets, en exécration au monde