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du passage en trombe, à travers le pays, de nos troupes victorieuses. La France, c'était encore, à cette date, le pays de l’incrédulité, de l’insouciance, de la Révolution, du moins en tant qu’elle était représentée par son armée. Une catastrophe comme celle de la Prusse, en 1806, remue une nation dans ses derniers fondements. Schleiermacher dut fuir devant l’invasion. Il se réfugia à Berlin. Son éloquence devint le réconfort de ses compatriotes. Il fut de ceux qui s’efforcèrent de galvaniser le moral du pays. Il se trouva lie avec les grands chefs du mouvement national, Stein surtout. Ses sermons donnèrent même de l’ombrage au maréchal Davout, gouverneur de Berlin, pendant l’occupation qui suivit Tilsitt, et il en reçut un sévère avertissement, le 27 novembre 1808.

L’année 1809 marque pour lui un épanouissement. D’une part, il est nommé prédicateur de la principale église de Berlin, la Trinité, d’autre part, il épouse la veuve de son ami von Willich, Henriette. Il a désormais un foyer, une haute situation. Et, quand l’université de Berlin rouvre ses portes, à l’automne de 1810, il devient son premier doyen de théologie. Il a pour collègues entre autres, de Wette, éditeur des Lettres de Luther, et Marhcineke. Avec Fichte, avec Stein, Scharnhorst, Gneisenau, Schleiermacher compte parmi les nobles patriotes qui ont le plus travaillé au relèvement de la Prusse, dans les années qui suivirent la fin de l’occupation française jusqu'à la chute de Napoléon. Sa vie universitaire est très remplie. En outre, il prêche beaucoup et ses Œuvres complètes comprendront dix volumes de sermons. Son nom se joint, dans la vie intellectuelle de son pays, aux grands noms de Fichte, de Hegel, de Niebuhr, de Savigny. Nous ne suivrons pas plus loin les détails de sa vie. Ce qui vient d’en être dit suffit à nous faire comprendre le caractère particulier de sa théologie. Notons seulement qu’il mourut le 12 février 1834, après avoir voulu « prendre la Cène », avec toute sa famille, dans une cérémonie tout intime où il prononça lui-même les paroles de la consécration, de son lit. Il dit alors : « Je n’ai jamais été l’esclave de la lettre, mais je serre ces paroles de l'Écriture contre mon cœur, elles sont le fondement de ma foi ; nous sommes et nous resterons unis dans la communion et dans l’amour de notre Dieu. » Cette confession suprême nous prépare bien à l'étude et à l’intelligence de la théologie de Schleiermacher.

II. Doctrine.

Ce théologien a été placé au confluent de toutes sortes de mouvements d’idées. Il a

participé à toutes les aventures intellectuelles et sentimentales de son siècle. Il tient de Spinoza, de Kant, de Lessing, des Schlegel, ila subi l’influence de ses illustres contemporains, Schelling, Fichte, Hegel, Goethe. Il réunit dans son esprit la foi sensible et simple du piétisle et du frère morave, l’agnosticisme du kantien, l’immanentisme du spinoziste et de l’hégélien. Il a fréquenté les salons, les gens du monde, les artistes, les esprits libres. Il a rêvé d’adapter le christianisme protestant aux goûts de ceux qu’il coudoyait dans les réunions si excitantes des « gens cultivés » de la capitale. Nous avons risqué plus haut un rapprochement de dates entre sa naissance et celle de Chateaubriand. Le grand écrivain breton disait, après la publication de son Génie du christianisme : « Je n’ai point cédé, j’en conviens, à de grandes lumières surnaturelles, ma conviction est sortie, du cœur ; j’ai pleuré, et j’ai cru. » Chateaubriand n’avait pas songé à détruire les dogmes catholiques, ni à fonder une apologétique nouvelle pour supplanter l’ancienne. Il a écrit en artiste, en homme d’imagination et de goût. Il a écrit pour les gens du monde, lui aussi, mais sans raideur, sans prêtent ion scientifique, pour dire ce qu’il avait senti et pour donner aux Français la douce nostalgie de ce qu’ils avaienl perdu.

Schleiermacher a fait également une sorte de Génie du christianisme. Mais il a écrit en professeur, en prédicateur, en théologien protestant, en philosophe, en Allemand aussi. Son ouvrage capital parut en 18211822, en même temps que la troisième édition, passablement corrigée et transformée de ses Discours sur lu religion. Il avait pour titre : lier clirislliche Glaube, nach den Grundsàtzen der evangelischen Kirche im Zusammenhang dargestellt (La foi chrétienne, selon les principes de l'Église évangéliquc, présentée sous forme systématique). Le titre est lourd, l’ouvrage aussi. C’est là qu’il faut aller chercher les idées qui ont dominé l'évolution religieuse du protestantisme contemporain et qui ont risqué, au début du xxe siècle, de déferler jusque dans la théologie catholique.

L’essence de la religion.

Dans son introduction,

l’auteur cherche d’abord à déterminer le siège psychologique de la religion. Il l’avait déjà fait dans les Rcden. La religion était alors pour lui à la fois intuition et sentiment. Mais la nouvelle édition des Ueden élimine l’intuition. Le sentiment seul, pour Schleiermacher, fonde la religion. Elle n’est, dans son fonds, ni une croyance dogmatique, ni une morale, mais un sentiment. A ce titre, elle relève de la conscience immédiate. Et elle se ramène au sentiment général de dépendance, (allgemeincs A bhangigkeitsgefùhl) (dans les éditions ultérieures, le mot général sera remplacé par le mot pur et simple : schlechthinniges). Et ce sentiment lui-même découle nécessairement de la première emprise de nos sens sur le monde. Nous nous sentons engagés dans un tout, participant à un ensemble énorme, qui est l’univers. Nous n’avons pas même besoin d’avoir l’idée de Dieu pour éprouver la sensa tion d'être un rouage de la grande machine du monde. Notre sentiment de dépendance est l’un des plus profonds de la vie spirituelle, il fait partie de notre nature. Il grandit donc avec l’esprit lui-même, il se grossit de toutes nos expériences, de toutes nos pensées, de toutes nos conceptions. Et de la puissance de ce sentiment fondamental, qui est l’essence de la piété ou de la religion, naît inévitablement l'Église, c’est-à-dire la société de ceux qui se situent de même par rapport à l’univers considéré comme Grand-Tout. Mais la variété des représentations et des groupements engendre la variété des Églises. Et comme chaque Église se construit une foi commune, des normes morales communes, de chaque Église sort une religion particulière. Bref, la religion jaillit du cœur, la communauté de religion primitive engendre l'Église, puis l'Église délimite et construit chaque dogmatique particulière.

Formes diverses de la religion.

Le sentiment de

dépendance étant plus ou moins profond, plus ou moins pur, plus ou moins délicat et spiritualisé, il est naturel qu’il se soit présenté des degrés divers de religions : fétichisme, polythéisme, monothéisme. Dans cette dernière forme seule, le sentiment de dépendance atteint la perfection, parce que l’idée de l’unité du monde entre en jeu. Mais deux tendances se manifestent au sein du monothéisme, une tendance esthétique et une tendance téléologique. La première s’absorbe en des états passifs, la seconde en des états actifs. Dans la première, il s’agit surtout de s’anéantir en Dieu, dans la seconde, de bien agir devant Dieu. La forme la plus pure du monothéisme téléologique est le christ ianisme, qui n’est pas pour cela la seule religion vraie, mais qui est la plus haute religion.

La révélation.

Toute religion fait appel à la

révélation. Cela n’est donc pas un privilège du christia nisme. La révélation n’est pas une communication doctrinale venant de Dieu, ni une manifestation particulière de la divinité, mais le fruit spontané et subject if du concept de Dieu jaillissant du sentiment de dépendance ou sentiment religieux. Schleiermacher s’ex-