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SERVET [MICHEL

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affaires qui me pressent de plus près, Et feroisconscience de m’y plus occuper, ne doubtant pas que ce ne fiist un Snthan pour me distraire des aultres lectures plus utiles. El pourtant (par conséquent) je vous prye de vous contenter de ce que j’en ay faict, si vous n’y voyez meilleur ordre. »

Cette lettre, signée Charles d’Espeville, l’un des pseudonymes les plus habituels « le Calvin, est datée du 13 février 1546, mais comme l’année Unissait alors au 25 mars, il faut entendre 1547 de notre manière actuelle de compter. Le même jour, Calvin écrivait à Farci, en latin, et lui disait : Servet m’a récemment écrit et il a joint à sa lettre un long volume rempli de .lires et d’une jactance thrasonique, m’annonçant que je verrais des choses étonnantes et jusqu’ici inouïes. H déclare qu’il viendra ici. si cela me plaît. Mais je ne veux pas lui donner ma parole (nolo fldem meam interponere I, car s’il vient, pourvu que mon autorite puisse prévaloir, je ne souffrirai pas qu’il s’en retourne vivant ! … » Corpus reformatorum, Opéra Calvini, t. viii, p. 833, lettre à Frellon, et t. xii. p. 283, lettre à Farel. Voir aussi Lettres françaises de Calvin, publiées par Jules Bonnet, t. i, p. 139-141.

Depuis ce temps-là. Servet sut ce qui l’attendait s’il tombait entre les mains de Calvin. Il avait eu du reste avec lui une correspondance étendue, surtout de 1539 à 1541, puisqu’il put joindre à son édition de la Restilutio vingt-trois lettres à Calvin. Il écrivait tristement, en 1548. à Poupin, ministre à Genève : « Par cette troisième lettre, qui sera la dernière, je veux que vous soyez averti de corriger vos idées. Cela vous olïense peut-être que je me mêle à cette querelle de Michel et que je désire que vous y soyez mêlé… Je sais avec certitude qu’il me faudra mourir pour cette cause (mihi ob eani rem moriendum esse eerto scio), mais mon esprit n’en est pas abattu, car le disciple doit être semblable au maître… Adieu et n’attendez plus de lettre de moi. Dans Opéra Calvini, t. viii, p. 750, et t. xiii, p. 42. Pendant plusieurs années, on n’entendit plus parler de lui. Et à Genève on put croire qu’il allait se tenir tranquille. Il n’en était rien. Au début de 1553, parvint à Genève un exemplaire de la Restitutio de Servet. imprimé en grand secret et sans nom d’auteur, à Vienne en Dauphiné, par Balthasar Arnoullet et Guillaume Gueroult.

Or, il y avait alors à Genève, un réfugié lyonnais, nommé Guillaume de Trie, que Calvin avait accueilli avec grande faveur et dont il avait fait son secrétaire. Ce de Trie était en correspondance avec un de ses cousins, resté à Lyon, Claude Arneys, catholique fervent, qui cherchait à le ramener à la foi. De Trie crut se justifier en lui révélant que ce n'était pas à Genève, mais en France que l’on tolérait des blasphèmes contre la foi. puisqu’un ouvrage rempli de blasphèmes comme la Restitutio de Servet avait pu y paraître. Parlant de l’auteur, il déclarait qu’il méritait ° bien d’estre bruslé partout où il serait ». Ce n'était pas là une dénonciation proprement dite, mais de Trie ne fut sans doute pas fâché d’apprendre un mois plus tard, en mars 1553, que sa lettre avait été communiquée aux autorités ecclésiastiques de Lyon et qu’un procès était intente contre Servet. Celui-ci essaya de se retrancher derrière l’anonymat. Il nia que Villeneuve et Servet fussent une seule et même personne. Une perquisition chez lui resta sans résultat. Il fallut, par Arneys, recourir à de Trie, pour avoir des preuves. Celui-ci l’adressa a Calvin et, le 26 mars, envoya toute une série de lettres de Servet a Calvin, en manuscrit, et en outre deux feuillets de l’instilulio de Calvin, couverts de notes p ; ir Servet. J.e 31 mais, de Trie expédiait de nouveaux renseignements, saihant qu’iK serviraient au procès de Servit par l’Inquisition. C’est ce qui a fait dire que Calvin avait livré son adversaire à l’In DI< I. DE TBÉOL. CA1 HOL.

quisition catholique, ce qui est incontestable, si l’on ajoute qu’il si' servit pour cela de son ami de Trie. Grâce probablement à des protecteurs sûrs, Servet réussit à s'évader de la prison, le 7 avril. Le procès se poursuivit. Il Hit couda inné par contumace et brûlé en effigie, le 17 juin.

On ne sait pourquoi Servet eut l’idée, pour se rendre à Naples, de passer par Genève, qui n'était pas sur sa route. Il semble qu’il ail conçu l’espoir de s’appuyer sur le parti « les « libertins », qui contrecarrait, dans la ville, l’autorité de Calvin et qui avait repris grande force à cette date, pour achever de démolir le réformateur. Ce fut tout le contraire qui arriva. Calvin saisit l’occasion du procès contre Servet pour faire valoir son zèle pour la foi, livrer à la réprobation ses adversaires et rétablir sa situation compromise. Servet fut reconnu â l'église, alors qu’il assistait, dit-on, à un sermon de Calvin, arrêté séance tenante et poursuivi comme ennemi de la vraie foi. Au début, l’accusé essaya de faire front. Ce n’est pas qu’il eût réussi à se faire des disciples dans la cité, mais il comptait sur le parti opposé à Calvin qui prit en effet fait et cause pour lui. L’audience du 16 août 1553 fut très houleuse. La politique se mêlait à la théologie. Mais la cause de Servet était trop évidemment mauvaise, aux yeux de tous les citoyens. Le 17 août, Calvin se présenta en personne devant le Petit Conseil, transformé en tribunal pour la foi. Le 21, le Petit Conseil décida de demander les avis des Églises de Berne, Bâle, Zurich et Schaffhouse. En attendant, la discussion se poursuivit entre Calvin et Servet. Ce dernier, perdant son sang-froid, traitait son adversaire de menteur, sycophante, imposteur, disciple de Simon le Magicien et réclamait hardiment contre lui la peine du talion, s’il réussissait à le convaincre d’erreur. Après d’autres péripéties, les réponses des Églises consultées arrivèrent, le 18 octobre. Elles étaient toutes en faveur de Calvin. L’issue du combat ne pouvait plus être douteuse. Le registre des pasteurs de Genève porte, à la date du 27 octobre 1553, la mention suivante : « Messeigneurs, aians receu l’advis des Églises de Berne, Basle, Zurich et Chafouz, touchant le faict de Servet, le condamnèrent à estre mené en Champey et là estre bruslé tout vif. Ce que fut faict, sans que ledict Servet à sa mort ait donné aucung indice de repentance de ses erreurs. » La condamnation était de la veille. L’exécution avait eu lieu au matin du 27. Sentence dans Opéra Calvini, t. viii, p. 827-830. On sait qu’un monument a été érigé à Servet, à Genève, sur la place de Champel, en 1903, en manière de protestation contre la rigueur de l’intolérance de Calvin et de son siècle.

II. Œuvres et doctrine. — Servet n’est pas un chef d'école. On ne lui connaît qu’un seul disciple, Alfonso Ligurio de Tarragone, et ce personnage n’est pour nous qu’une ombre ou un nom. On a dit plus haut qu’il est inexact de considérer Servet comme un rationaliste. Il est plutôt une sorte de mystique. Le sous-titre de son principal ouvrage en est la preuve : Christianismi restitutio. Tutius Eeclesiæ apostolicie est ad sua limina vocatio, in integrum restituta cognitione Dei, fldei, Christ i, fusiificationis nostne, regenerationis baptismi et ccenæ Domini manducationis. Restituto denique nobis regno coelesti, Bubijlonis impise eaptivitate solula et Antichristo cum suis penitus destructo. Il affirme par là son intention de restaurer le vrai christianisme d’après les sources, en remontant au delà des inventions métaphysiques qui ont. selon lui, détruit la foi primitive. Il a choisi, dit-il, le Christ comme unique évangéliste. Il ne veut être le disciple ni de Paul de Samosate ni d’Anus. « Jusqu'à préseï i dit-il. quand on s’est occupé du Christ, on le prend aux premiers jouis de la création du monde, dans la

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