Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 14.2.djvu/236

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

1973

SERVICE MILITAI RI- :. SOUS L’EMPIRE PAÏEN

L9'

terrestres ? Tel étail le cas de conscience qui se posait aux chrétiens de l'Église primitive.

Il son faut toutefois qu’aux premiers temps de l'Église ce eas de conscience se soit posé à l’universalité des chrétiens. Sans doute l’armée romaine se recrutait en principe par la conscription. Mais celle-ci visait en premier lieu les fils de vétérans. En outre les engagements volontaires étaient assez nombreux et la durée normale du service était de vingt ans. Aussi la conscription forcée ne devait pas toucher une proportion élevée de la population. Néanmoins, la conscription forcée existant, il était inévitable que des chrétiens hissent astreints au service militaire dès les premiers temps de la prédication de l'Évangile dans le monde romain. Sur ces questions voir K.-J. Neumann, Der riimische Staat und die allgemeine Kirche, t. i, Leipzig, 1890, p. 127 ; Th. Mommsen, Die Konskriptions-ordnung der rômischen Kaiserzeil, dans la revue Hermès, t. xix, p. 1 sq. ; Th. Mommsen, Hômische Staatsrecht.t. ii, 3e édit., Leipzig, 1876-1888, p. 840 sq.

Pères apostoliques.

Les Pères apostoliques ne

nous donnent aucun renseignement concernant la présence de chrétiens dans l’armée ; ils sont également muets sur l’attitude de l'Église par rapport au service militaire. Sans doute. Clément de Rome recommande aux chrétiens de Corinthe d’imiter la discipline des soldats, et Ignace d’Antioche écrit dans sa lettre à Polycarpe : Efforcez-vous de plaire à celui de qui vous recevez la solde ; qu’il n’y ait parmi vous aucun déserteur (Seoéprcùp), que votre baptême vous soit une armure, votre foi une cuirasse. » Clément de Rome, Ad Cor., xxxvii ; Ignace, Ad Polycarpum, vi, 2, dans Funk, Patres apostolici, t. i, Tubingue, 1901, p. 146, 292.

Mais ces métaphores d’ordre militaire sont dans la ligne de celles de saint Paul. Elles ne nous donnent aucune précision sur la licéité ou la non licéité du service militaire. Clément de Rome aurait pu recommander aux chrétiens d’imiter l’esprit de discipline des soldats tout en étant convaincu de l’incompatibilité du service militaire avec la foi chrétienne. En ce cas, il aurait imité le maître de l'Évangile, qui loue son économe infidèle non pas parce qu’il a été infidèle, mais parce qu’il a agi avec habileté, « les enfants des ténèbres étant plus prudents en leurs affaires que les enfants de la lumière ». Luc, xvi, 8.

Pères apologistes.

1. Tertullien. — Tertullien

est le premier qui témoigne de la présence de chrétiens dans les légions romaines. Voulant mettre en relief la prodigieuse propagation de la foi chrétienne, il dit aux païens : Yestra omnia implevimus… castra ipsa… et nos vobiscum militamus. Apol., c. xxxvii, xlii, P. L. (édit. de 1866), t. i, col. 525 A, 555 A. Ces textes ne nous renseignent pas sur l’appréciation portée par leur auteur concernant le cas du chrétien soldat. Dans le De corona militis et le De idololatria, Tertullien nous donne toute précision désirable à ce sujet. Vers l’an 210, au camp de Lambèse, à l’occasion de la distribution d’une gratification extraordinaire (donativum), les soldats se présentaient pour la percevoir, la tête couronnée de lauriers. L’un d’eux s’avança portant sa couronne à la main. Interpellé par le tribun militaire, il déclara (prêtant chrétien il lui était impossible de porter la couronne sur la tête. Il fut incontinent mis en prison. Tertullien, De corona, c. i. /'. L., t. ii, col. 95 A. A Carthage, bien des chrétiens estimèrent que la manière d’agir de ce soldat n'était qu’une folle et inutile provocation. Tel ne fut pas l’avis de Tertullien : il donna raison au soldat, le port d’une couronne ne pouvant être considéré que comme un rite idolâtrique et comme un hommage aux faux dieux. Ibirl., c. iii, col. 114.

Le port de la couronne n’est pas le seul usage mili taire que Tertullien estime incompatible avec la profession du christianisme :

Croyez-vous, coiitinue-t-il, qu’on puisse ajouter un serment humain au serment divin ? Se donner un autre maître après s'être donné au Christ ?… f'.st-il permis de vivre t'épée au côté aloc que le Seigneur déclare que celui qui se sei ira du glaive périra par le glaive ? Kl le fils de la paix ira-t-il au combat, lui à qui est interdit même la dispute ? Et ferat-il souffrir à d’autres les liens, la prison, la torture, les suppliées, lui qui ne venge même pas ses injures ? Puis, monlera-t-il la garde pour d’autres que pour le Christ, surtout le dimanche, alors qu’il ne peut le faire pour le Christ ? Montera-t-H la garde devanl ces temples, auxquels il a renoncé? Soupera-t-il dans ces lieux, où l’Apôtre interdit de le faire ?… l’ortera-t-il un étendard qui est l’ennemi du Christ ? Ayant reçu de Dieu une enseigne va-t-il en demander une autre à César ? Se fera-t-il incinérer suivant l’usage des camps, lui à qui la crémation est interdite ?… Kt combien l’on pourrait citer d’autres actes coupables qui ne sont que l’accomplissement du devoir militaire ! C. XI, col. 111-112.

Malgré cette longue énumération d’actes interdits au chrétien que le soldat doit normalement accomplir, Tertullien ne conclut pas à l’incompatibilité absolue du service militaire avec la profession du christianisme. A son avis, le. soldat qui embrasse la foi chrétienne doit « ou bien quitter le service comme beaucoup l’ont fait, ou prendre ses mesures pour ne faire contre Dieu aucun acte qui ne soit permis à ceux qui ne sont pas au service militaire, quitte à subir le dernier supplice pour Dieu ». C.xii, col. 115 A. Dans le De corona, Tertullien ne dit rien du chrétien qui, de gré ou de force, devient soldat, il n’envisage que le cas du soldat qui devient chrétien. Mais, en déclarant le serment militaire illicite, il indique suffisamment qu'à son avis un chrétien doit éviter d’entrer au service. Devenu plus nettement montaniste, il est bien plus radical dans le De idololatria :

On se demande maintenant si un fidèle peut être soumis au service militaire et si un soldat peut être admis à la foi… Il n’y a pas d’accord possible entre le serment divin et le serment humain, entre l'étendard du Christ et l'étendard du diable, entre le camp de la lumière et le camp des ténè] bres. Une âme ne peut se dévouer à deux maîtres, à Dieu et à César. Kn désarmant Pierre, Jésus a désarmé tous les soldats. Personne chez nous ne peut regarder comme licite un uniforme qui représente des actes illicites. C. xix, t. i, col. 767-768.

Ici l’incompatibilité du christianisme et de la profession des armes est absolue et un soldat ne peut être admis au baptême, tandis que dans le De corona, si un chrétien ne peut devenir soldat, un soldat peut embrasser la foi chrétienne pourvu qu’il soit décidé à éviter toute participation à l’idolâtrie et à la violence.

2. Origène.

La mentalité d’Origène est bien différente de celle de Tertullien. Néanmoins, pour ce qui concerne la question du service militaire, l’attitude du docteur d’Alexandrie est sensiblement la même que celle du montaniste Tertullien.

Celse avait reproché aux chrétiens de se refuser au service militaire. Bien loin de lui opposer aucun démenti, Origène s’applique à justifier leur attitude. Les prêtres des idoles, remarque-t-il, ne sont pas astreints au service militaire, afin que leurs mains demeurent pures de sang pour l’oblation des sacrifices ; il n’y a aucune raison de refuser aux chrétiens ce qu’on accorde aux prêtres des idoles, car les chrétiens sont des prêtres qui se servent de l’arme de la prière pour combattre les ennemis de l’empereur :

En infligeant une défaite aux dénions qui suscitent la guerre et troublent le paix, nous sommes d’un plus grand secours aux empereurs que ceux qui portent te glaive. Plus que personne nous combattons pour l’empereur. Sans doute nous ne combattons pas sous ses ordres, même quand il voudrait nous > contraindre, mais nous combattons pour lui, en formant a part nous un camp de pieté, il’ou partenl