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SIGNE

bénéfice d’une fin supérieure. Seule par conséquent une explication qui soit d’inspiration surnaturelle et qu’une lumière de grâce éclaire, permet de comprendre à fond cet événement anormal et de le définir en son essence. » E. Masure, op. cit., p. 87-88. Une référence à l’ordre surnaturel ne peut être affirmée sans une grâce surnaturelle et il n’y a pas de cercle vicieux ni de pétition de principe à exiger une grâce surnaturelle pour cette première affirmation, « car il ne s’agit pas de déduire : on ne déduit pas la présence du surnaturel de la constatation du naturel, ni la forme de la matière ; mais on emploie la méthode d’induction par le signe, où connaissant déjà par ailleurs l’existence possible du surnaturel, ne serait-ce que par le désir, l’espérance, ou l’angoisse inverses qu’on éprouve en soi, on voit cet élément invisible visible dans le signe qui le contient. » 'Ibid., p. 89.

Tel est, ajoutent les partisans de cette opinion, l’enseignement du magistère. Contre les semi-pélagiens, l’Église rappelle la nécessité de la grâce pour l’initium fidei. Or, le jugement de crédibilité fait partie de initium fidei. Le concile du Vatican, lui aussi, a joint à l’action des motifs de crédibilité celle non moins nécessaire du secours de la grâce : « Pour que l’hommage de notre foi fût raisonnable, Dieu a voulu joindre à l’aide intérieure de l’Esprit-Saint les preuves extérieures de la révélation. » Et, un peu plus loin, ayant déclaré que l’Église est, par ses caractères divins, un puissant et perpétuel motif de crédibilité, le concile ajoute : « A ce témoignage s’ajoute le secours efficace de a puissance divine », et il nomme expressément la grâce excitante et adjuvante. Denz.-Bannw., n. 1790, 1794.

Si l’on demande maintenant quelle est la nature de cette grâce surnaturelle, il faut admettre « que cette grâce est une lumière divine qui perfectionne l’intelligence et que c’est la lumière même de la foi ». A. Goupil, 'op. cit., p. 86. Lumière habituelle chez les justes ; chez les non-justifiés, lumière transitoire d’une grâce actuelle se référant à la foi. A. Goupil donne un intéressant résumé de cette doctrine : « 1. Je vois la crédibilité de la foi, je ne la crois pas. Cette crédibilité est évidente, puisque sont évidents les signes de la révélation. Or, on sait ce qui apparaît avec évidence et on ne le croit pas… 2. Je vois la crédibilité à cause de l’évidence des signes. L’apologétique est donc, une démonstration en règle, rigoureuse, sans cassures, sans solutions de continuité… 3. Je vois par la lumière de la foi. Ce qui ne veut pas dire que la lumière de la foi ajoute rien à la force de la démonstration apologétique ; pas plus que la lumière de gloire chez les bienheureux n’ajoute à l’intelligibilité de Dieu ; la grâce divine nécessaire n’est pas une suppléance nécessaire à des arguments défaillants, mais elle est un supplément de force à notre intelligence pour lui permettre de saisir les bons arguments… » Op. cit., p. 88-89. Aucune pétition de principe, aucun fidéisme en cela, car les faits physiques qui constituent les signes divins ne sont pas inventés par la foi pour s’appuyer sur eux ; il y a causalité réciproque ; sans la foi, les faits resteraient incompréhensibles. « Puisque tel fait est surnaturel dans sa cause, seuls seront capables de le comprendre et probablement de l’admettre les critiques qui acceptent la présence du surnaturel dans le monde et qui croient que ce surnaturel aboutit parfois, sur le plan naturel, à des conséquences que celui-ci n’aurait jamais comportées seul. » E. Masure, op. cit., p. 94.

3. Appréciation.

On se reportera à l’article Miracle, t. x, col. 1853-1855. Pour que la deuxième opinion puisse échapper aux critiques signalées en cet endroit, il semble qu’elle doive être comprise comme un complément de la première, celle-ci n’envisageant encore que le caractère rationnel du jugement de crédibilité relatif aux signes divins, celle-là s’attachant au caractère pratique, et donc de tendance surnaturelle, du jugement de crédentité. C’est avec la préoccupation de réserver l’influence de la grâce principalement et nécessairement sur la formation du jugement pratique de crédibilité qugement de crédentité) qu’il faut lire et interpréter les textes conciliaires où il est question simultanément du rôle de la raison et de celui de la grâce et peut-être aussi la 4e proposition souscrite par Bautain en 1841, où l’on affirme que la raison (sans ajouter le mot seule) peut acquérir une pleine et vraie certitude des motifs de crédibilité. Il faut donc, à notre avis, d’une part affirmer le caractère purement rationnel du jugement de crédibilité et d’autre part la nécessité d’une grâce surnaturelle et intérieure pour engager ce jugement dans l’ordre pratique de l’acquiescement de l’intelligence à la vérité révélée.

On n’oubliera pas non plus ce que nous avons fortement souligné à l’article Miracle, col. 1853, que le surnaturel du miracle, uniquement considéré comme fait divin, n’est qu’un surnaturel modal, voir aussi supra, col. 2054, et que la connaissance du fait divin, surnaturel quoad modum, peut être acquise sans une grâce surnaturelle, comme on connaît naturellement l’existence d’un Dieu transcendant et de la véracité divine. Affirmer la possibilité de cette connaissance naturelle n’a rien de pélagien. En revanche, on ne devra pas oublier que les signes divins de crédibilité ne pourront faire impression salutaire sur l’intelligence humaine que dans la mesure où cette intelligence est orientée vers la recherche de la vérité, grâce à des dispositions morales favorables qui l’inciteront, pour reprendre l’heureuse formule de M. Masure, à voir l’invisible visible dans le signe qui le contient. Le signe divin n’est donc qu’un point de départ, un éveil, d’ailleurs parfaitement accommodé aux intelligences de tous les temps. Mais, « à vouloir qu’il s’impose absolument, sans discussion possible, rendant superflues par son évidente transcendance les dispositions religieuses et morales des témoins, on irait droit à la position des pharisiens réclamant « des signes dans le ciel » et, de ce chef, déboutés par le Christ ». L. de Grandmaison, Jésus-Christ, t. ii, p. 243. Cf. Scheeben, Dogmatique, tr. franc., Paris, 1880, t. i, p. 491.

III. Les sacrements.

Dans les sacrements, le signe sensible appartient au genre symbolique, mais à son symbolisme s’ajoute une caractéristique spéciale, celle du signe efficace, producteur de la grâce qu’il signifie. Cette doctrine a été développée à l’article Sacrement, t. xiv, col. 494 sq. L’élaboration des données scripturaires et traditionnelles a abouti à mettre en relief trois aspects du signe sacramentel :
1. Le signe est constitué tout d’abord d’éléments physiques, sensibles, dont l’un, l’élément sacramentellement indéterminé (la matière), possède cependant déjà par lui-même une signification lointaine et analogique par rapport à la signification proprement sacramentelle que lui apporte, en vertu de l’institution du Christ, l’élément déterminant, la forme ;
2. dans les sacrements de la loi nouvelle, le signe est efficace, c’est-à-dire que l’élément sensible, en tant qu’il a reçu de Jésus sa signification sacramentelle, est capable de produire la grâce qu’il signifie et qu’il contient, comme la cause contient son effet ;
3. la signification sacramentelle dans les sacrements de la loi nouvelle revêt un triple aspect : le sacrement est signe commémoratif par rapport à la passion du Christ dont dérive son efficacité ; il est signe à la fois démonstratif et pratique (ou efficace), par rapport à la grâce produite dans l’âme ; il est signe annonciateur de la gloire future, préparée par la grâce. Voir Sacrement, t. xiv, col. 532-535.

T. S. Thomas, Ia q. ix, a. Il et les commentateurs. On consultera spécialement Billot, De Dea uno et trino, thèse XXIX.