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SOCIALISME. LE MARXISME

impitoyablement toute lubie idéaliste impossible à concilier avec les faits considérés dans leurs rapports réels et non dans des rapports fantastiques. Et le matérialisme ne signifie vraiment rien de plus. Ludwig Feuerbach, p. 47.

Cette attitude, en soi parfaitement correcte et d’autant plus méritoire que la philosophie allemande était plus pervertie d’idéalisme, était sans doute faussée par un préjugé métaphysique qui excluait de la nature toute réalité purement spirituelle : Dieu, âme, etc… Cependant, appliquée au domaine économique et politique, elle s’est révélée capable de fournir d’excellentes explications partielles, beaucoup plus réalistes que la prétendue évolution dialectique de l’idée. Ce souci d’expliquer les phénomènes par leurs causes propres, immédiates, de l’ordre matériel, a été développé par le marxisme et, dans l’ensemble, ce fut au bénéfice de la science. Encore fallait-il observer exactement les faits à expliquer. Or, la faiblesse du marxisme — sans compter sa prétention de ramener toute explication scientifique à l’explication exclusivement matérialiste — fut de ne connaître les faits économiques qu’à travers l’analyse incomplète et trop systématique d’une science éprise d’abstractions et peu friande de simple observation. Déjà la tournure d’esprit de Marx l’inclinait dangereusement en ce sens : il accepta trop aisément, faute de compétence personnelle, le schéma ricardien de l’économie capitaliste. Il semble du reste que ni la loyauté ni la clairvoyance de Marx ne doivent être suspectées : il ne laissa pas de pressentir le danger et l’insuffisance de sa méthode et cela expliquerait sans doute ses nombreuses hésitations et le peu d’empressement qu’il montra à achever son œuvre économique. Il fallut les instances, la pression d’Engels, pour qu’il consentit à publier, en 1850, 1a Critique de l’économie politique, puis, en 1867, le premier volume du Capital. Marx éprouvait des scrupules, voulait un complément d’informations et de lectures, et d’ailleurs son génie constructeur et créateur devait répugner à ce travail de vérification et d’application, véritable pensum pour lui. C’est Engels qui publia les tomes ii et iii du Capital : c’est Kautsky, en 1904, qui publia la Théorie de la plus-value, où l’on voit vulgairement le pivot du marxisme. Les critiques que l’on lit de toutes parts à cette théorie mort-née. K. Marx avait dû se les faire à lui-même. Nous sommes persuadé que l’œuvre économique de Marx n’était pour lui qu’un accessoire, la partie la moins personnelle de son système et manifestement la plus fragile : mais il lui fallait bien trouver l’illustration dans les faits, le champ d’application de sa philosophie. Ironie du sort : c’est justement dans son interprétation de l’économie capitaliste que le vulgaire aperçoit la grande et géniale intuition de K. Marx et pour ainsi dire l’ultime ressort du marxisme. On s’explique que le philosophe ait lui-même protesté, d’ailleurs vainement, contre cette interprétation de sa pensée et déclaré qu’il n’était pas marxiste.

Cette réserve faite au nom de la vérité historique, nous pouvons désormais nous attacher a l’étude du marxisme vulgaire : c’est ce dernier seulement, avec son Karl Marx de légende, qui constitue un type historique nouveau de socialisme.

3. Sociologie économique du marxisme. — a) Théorie de la valeur et de la plus-value. — Si les produits sont susceptibles d’être échangés, c’est qu’il y a entre eux un quid commune, une réalité homogène, une mesure commune. Cela ne peut être l’utilité : celle-ci justifie la valeur d’usage des objets, mais chaque objet a son utilité propre, ainsi que sa propre valeur d’usage ; ces qualités ne sont pas interchangeables. La seule qualité commune entre tous les objets qui s’échangent ne peut être que leur qualité de produits du travail humain ; voila la substance de leur valeur d’échange. C’est le travail qui s’y trouve incorporé. Le travail dont il s’agit est le travail social, non pas le travail que le produit a coûté en fait dans tels ou tels cas particuliers, plus ou moins important selon telles conditions individuelles plus ou moins favorables : le travail social est le travail moyen ou normal que requiert telle production dans les conditions sociales ordinaires et de la part d’un ouvrier moyen. Le temps social, autrement dit le nombre moyen d’heures employées à la production, mesure ce travail social : c’est le même temps qui mesure la valeur d’échange des produits.

En régime capitaliste, le travail lui-même est une marchandise comme une autre. Quelle en est la valeur d’échange ? Ce sera le temps socialement nécessaire à sa production. En effet, l’on peut considérer la force de travail non plus comme une cause productrice, mais comme une marchandise coûteuse, comme un produit doué de valeur par le temps de travail qui s’y trouve incorporé. Pour disposer de cette force il faut la produire, c’est-à-dire y consacrer une certaine quantité de subsistances nécessaire pour entretenir le salarié en état de travailler, et ces subsistances représentent en valeur un certain temps de travail. Le travail a donc une certaine valeur ; apprécié socialement, on dira par exemple qu’un travail de 5 ou 6 heures est nécessaire pour obtenir une force de travail de 10 heures ; alors 10 heures de travail valent exactement ce travail incorporé, les 5 ou 6 heures de travail social consacrées à les produire.

Ici intervient la plus-value, propriété caractéristique du travail humain. Le capitaliste achète à sa juste valeur le travail de ses salariés ; pour prendre les chiffres admis ci-dessus, le capitaliste achète au salarié 10 heures de travail contre la valeur de ce travail qui est par hypothèse de 5 ou 6 heures de travail. Dans sa journée, lorsque le salarié a travaillé 5 ou 6 heures, il a produit par son travail une quantité de valeur égale à celle que lui coûte un travail de 10 heures ; et cette valeur lui est pavée par l’entrepreneur. Mais il continue de produire de la valeur puisqu’il travaille encore 4 ou 5 heures. Tout le mystère du profit capitaliste est là : l’entrepreneur achète les dix heures de travail à leur juste valeur (5 ou 6 heures de travail) et, à ce prix, il a le droit d’empocher toute la valeur produite par un travail de 10 heures. On voit immédiatement qu’entre ce qu’il débourse et ce qu’il encaisse il y a une différence, la plus-value, Mehrwerth, tenant au fait que le travail humain produit plus de travail qu’il n’en consomme. Lorsque l’entrepreneur paie la valeur du travail, il paie cette valeur moindre consommée par le travail et il achète à ce prix toute la valeur nouvelle et supérieure que dégage le travail.

Il s’ensuit que l’entrepreneur a tout intérêt à accroître cette plus-value ou différence entre la valeur consommée et la valeur produite par le travail ; il y parvient soit en allongeant la journée de travail, soit en réduisant la valeur dépensée dans le travail, c’est-à-dire en diminuant le nombre d’heures de travail qui est nécessaire à l’entretien de la force de travail et ceci consiste à abaisser le coût de la vie. Telle était exactement la tactique du capitalisme industriel que K. Marx pouvait observer en Angleterre.

b) Théorie de l’expropriation des expropriateurs ou de la concentration capitaliste. — Le phénomène de la plus-value légitimement empochée par l’entrepreneur caractérise selon Marx le régime capitaliste. Le capital est ce qui produit une rente de celle sorte, un revenu produit par le travail d’autrui. Avant le xvie siècle existait sans doute le capital au sens que les économistes donnent à ce mot, au sens d’instrument de production. Mais le capital comme producteur de rente ne pouvait exister, parce que les travailleurs possédaient individuellement leurs instruments de production ; nul