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SOMMES TIIÉOLOGIQI’ES. CARACTÉRISTIQUES


versitaires ou non. Elles peuvent paraître à n’importe quelle étape d’une carrière, a n’importe quel moment de l’année. Un saint Thomas poursuit la composition de sa somme au milieu de ses déplacements, a Home, a Viterbe, à Paris et à Naples. Un Ulrich de Strasbourg éerit et termine la sienne avant d'être provincial d’Allemagne et cinq ans au moins avant d'être envoyé à Paris pour y lire les Sentences. Un Gérard de Pologne entreprendra la sienne pendant les dernières années de sa vie. alors que sa charge de prieur général des carmes le jette continuellement sur les routes. Certains même, comme un Guillaume Pérault. écrivent des sommes, partielles c’est entendu, sans avoir jamais été destinés à conquérir les grades théologiques.

Très libres, par le fait même, dans leur composition, elles ne se ressentent pas comme les sententiaires des exigences scolaires, ni dans leur distribution, ni dans leur forme. Elles peuvent, si elles le veulent, prendre l’allure d’argumentation scolastique, procéder par « questions analogues à celles des écoles ; ce sera le fait de la Somme de saint Thomas, où chacun des articles rappelle en petit le genre de la question disputée, avec ses raisons pro et contra, le corps de la solution et la réponse aux objections. Mais elles peuvent procéder tout autrement, sous forme d’exposé suivi, positif, de véritable traité didactique ; ainsi fera Ulrich de Strasbourg et, de certaine façon, Philippe le Chancelier. La plus entière latitude est laissée à l’auteur pour le travail qu’il conçoit, construit, écrit à son aise.

Travail de bureau ou de cellule, donc, beaucoup plus que de salle de cours. Ce qui ne veut pas dire pourtant que toutes les sommes aient été conçues et écrites sans relation aucune avec l’enseignement. Fréquemment, au contraire, elles se rattachent à lui. soit qu’elles entendent lui fournir un aliment, soit qu’elles recueillent et mettent en forme des développements présentés dans des cours ou des disputes. Les Sententiarum libri quinque de Pierre de Poitiers en sont sans doute un exemple : le choix des sujets, dont il avoue souvent le motif : disputabilia… disputationi accommodât i, semble bien indiquer cette intention : Disputabilia igitur Sacrée Scripturee ut rudimentis ad eam accedentium consulamus, in seriem redigentes inordinata in ordinem redigimus. P. L., t. ccxi, col. 789 ; ou encore : Sed quoniam quædum videntur circa distinctionem operum sex dierum dubitabilia et disputationi accommoda, illa brevi lectione perstringamus. Col. 958. Il est difficile de n’y point voir une corrélation avec un enseignement oral. Pour d’autres, la conclusion s’impose : l’enseignement a précédé : leçons ou surtout questions disputées. Celles-ci ont pu être proposées en désordre ; elles fournissent du moins tous les éléments utiles à une synthèse puissante. Ce peut être le cas pour la Summa d’Etienne I.angton ou pour ses Quæstiones qui se cherchent et s’organisent. L'étude de la Somme d’Alexandre de Halès et de ses sources semble bien conduire à une conclusion analogue ; non que tout son contenu ait fait l’objet d’exposés scolaires ou de disputes ; mais bon nombre d'éléments de ce genre s’y voient incorporés. Peut-être est-ce la même chose pour la Summa aurea de Guillaume d’Auxerre. Plus tard on saisit sur le vif ce procédé chez Pierre-Jean Olieu dont les Questions disputées sur les Sentences sont en réalité distinctes de son Commentaire sur les Sentences et portent, même dans son œuvre, le titre de somme : Clanus autem récitant hos duos modos pnrdestinandi eleclos in prima parte Summ.c, ubi agitur de Dei l’oluntate. Voir Arcliiv. franc, hislor., t. xxviii, 1936, p. 110 sq.

Mais en admettant qu’une somme de ce genre soit la présentation définitive, bien ordonnée, de questions disputées dans une école, en admettant même que le plan général de ces disputes ait été prévu dès l’abord,

DICT. DE TIIÉOL. CATHOL.

ces relations avec l’enseignement demeurent quand même totalement différentes de celles d’un commentaire qui est lui-même directement, et formellement, exercice scolaire. La somme de théologie reste une composition extra-scolaire.

Indépendance du texte du Lombard.

Elle reste

aussi, et surtout, indépendante du texte de Pierre Lombard. Sans doute cette affirmation elle-même doit-elle se nuancer, car l’influence du Maître des Sentences se fait sentir même chez ceux qui s’en défendent. Toutefois, entre subir plus ou moins l’influence du Lombard et s’astreindre à le suivre et à le commenter page après page, la différence est considérable. Les commentaires sur les Sentences ne sont jamais, comme leur nom l’indique et comme les statuts l’exigeaient, que les exposés plus ou moins serviles de l’ouvrage écrit en 1150-1160. Quelles que fussent les libertés qu’on prenait avec lui, il imposait malgré tout son plan, ses divisions, ses problèmes, ses détails ou ses lacunes. Il fallait s’astreindre à le suivre, de plus ou moins bonne grâce. Même les velléités d’indépendance étaient à leur façon un aveu de cette tutelle assez étroite qu’on sentait peser.

Les sommes au contraire n’ont point à faire cet effort pour concilier l’indépendance d’une pensée vigoureuse avec la soumission à un cadre imposé. Elles sont délibérément en dehors et au-dessus. Elles peuvent, s’il leur plaît, s’affranchir totalement du plan du Lombard, qui demeure un exemple, un modèle si l’on veut, mais non pas une formule ne varietur. Elles peuvent s’en inspirer si elles préfèrent, mais modifiera leur gré les proportions qu’il avait établies entre ses diverses parties et que les bacheliers sententiaires, talonnés par les règlements, devaient respecter à peu près.

Il était presque fatal, par exemple, que le traité des vertus, resserré comme il était dans le Lombard entre l’important traité de l’incarnation et l’autre non moins imposant des sacrements, ne pût recevoir dans un commentaire tous les développements souhaitables. Rien n’empêche au contraire l’auteur d’une somme d’accorder à cette portion si grave de la théologie morale toute la place qu’il jugerait souhaitable. Et il en va de même à l’intérieur de chaque traité. L’ordre du Lombard peut être adopté, mais abandonné aussi. Toute latitude est laissée à l’auteur pour présenter ses thèses selon ses préférences et ses conceptions.

Ainsi en est-il jusque dans le détail des problèmes et la suite des questions étudiées. Il est malaisé, quand on fait un commentaire suivi des Sentences, de passer complètement.sous silence des questions auxquelles Pierre Lombard consacre de longs paragraphes, parfois même des chapitres. Pourtant bon nombre d’entre elles sont sans grand intérêt ; d’autres sont périmées ; d’autres définitivement classées. Pourquoi s’y appesantir longtemps ? Le commentaire y oblige, ou du moins y expose. Par contre, depuis la parution des Sentences, de nouveaux problèmes ont surgi, des préoccupations que le xii 6 siècle ne connaissait pas, des difficultés que des discussions récentes ont soulevées et qui trouvent malaisément place dans la construction du Maître. Les bacheliers s’ingénient à les rattacher plus ou moins adroitement à des passages de son texte, et à les insérer dans une division à peu près accueillante. Tous ces efforts sont évités aux sommes qui. libres de leurs démarches, ne proposent que les questions qu’elles jugent utiles sans faire même allusion aux problèmes désuets ou secondaires. Elles peuvent enfin se livrer à tous les regroupements et rapprochements de questions souvent éparses dans les lires du Lombard et traiter en un seul endroit des problèmes qu’il a abordés, comme celui de la charité

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