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SOMMES THÉOLOGIQl "E S. ÉVOLUTION


thèse précise tout le progrès réalisé. Là surtout la comparaison avec le livre du Lombard considéré comme un témoin et comme un terminus a quo est fructueuse, plus encore que l'évolution d’une distinction à travers une série de commentaires. On y découvre tout le processus d'élimination, de fixation et de progrès : élimination des doctrines nettement répréliensibles, rejetées officiellement par le magistère ecclésiastique ou pratiquement abandonnées par tous : des questions sans intérêt réel ; des curiosités depuis longtemps oubliées et qu’il est inutile de traîner toujours à la remorque ; déchet plus ou moins considérable sur lequel le silence se fait. Fixation, par contre, en formules précises et heureuses de doctrines sur lesquelles l’accord a pu s'établir et la lumière a été projetée ; ou bien position en termes plus justes de problèmes autrefois mal posés. La marche en avant en est facilitée d’autant, et on s’arrête moins longtemps désormais à tous ces points acquis ; leur valeur est reconnue, incontestée ; on ne s’acharne plus à les prouver ni à les défendre ; on s’en sert comme de points de départ pour de nouveaux progrès. Ceux-ci se constatent alors, soit dans les curiosités nouvelles qui se font jour et dans les problèmes jusqu’alors inédits, soit dans les agencements nouveaux qui mettent plus en valeur les résultats obtenus précédemment. L'étude comparée d’un point de doctrine livre tout cela quand elle est bien conduite ; les sommes de théologie y peuvent aider grandement. Faut-il rappeler, en guise d’exemples à ce propos, des travaux comme les quelques-uns qui suivent, et qui ont été menés suivant cette méthode : L. Saltet, Les réordinations ; F. Brommer, Die Lehre vom sakramentalen Character in der Scholaslik bis Thomas von Aquin inklusive, Paderborn, 1908 ; O. Lottin, Le droit naturel chez saint Thomas d' Aquin et ses prédécesseurs, 1931 ; A. Teetært, La confession aux laïques dans l'Église latine depuis le rine siècle jusqu’au XIVe siècle, Paris, 1926 ; H. Weisweiler, Das Sakrament der letzten Œlung in den systematischen Werken der ersten Frùhscholastik, dans Scholaslik, t. vii, 1932, p. 321-353 ; 524-560 ; Th. Graf, O. S. B., De subjecto psychico gratise et virtutum, dans Studia Anselmiana, Herder, 1935, etc.

[y. origine et ÊvoLmoy. — Il serait vain de vouloir fixer à une date précise l’origine de ce genre, et inexact de présenter sa naissance comme étant une réaction contre les commentaires sur les Sentences. Il faut, semble-t-il, y distinguer deux éléments qui l’expliquent : tout d’abord l’aboutissant d’une poussée interne dont les Sentences de Pierre Lombard étaient déjà une belle réussite ; puis, plus tard, la différenciation d’avec les commentaires dont la formule n’arrive pas à satisfaire.

Les sommes théologiques ne sont pas une génération spontanée. On a résumé brièvement plus haut, col. 1.S71 sq, l'évolution qu’avaient subie à travers les siècles les recueils de Sentences ; comment ils avaient, surtout dans la première moitié du xiie siècle, revêtu un cachet de plus en plus personnel, pour aboutir finalement à la présentation méthodique, systématique, de l’ensemble de la doctrine chrétienne. Sans doute les autorités, les sententiæ des Pères et des théologiens en font encore l’objet principal ; ce sont elles que l’on ordonne ; mais en vue d’un but précis toutefois : pour qu’elles apportent leur valeur probante à une thèse qu’on veut établir. Ce sont elles que l’on expose et que, le cas échéant, l’on concilie ; mais toujours dans le même but : afin que, loin de se détruire et d’engendrer le doute, elles concourent à la démonstration visée. Le caractère personnel de ces recueils se traduit dans l’ordonnance que l’auteur imprime aux éléments qu’il groupe, dans leur utilisation judicieuse et progressive. Puis, comme souvent les conclusions ne s’imposent pas

d’elles-mêmes sans quelque commentaire qui les souligne et les fasse valoir, l’auteur mettra encore du sien sous forme d’introductions, de formules de liaison, d’explications données en passant, de solutions proposées aux difficultés et de conclusions qui dégagent la leçon.

Les Sentences de Pierre Lombard se placent à un stade où les proportions entre les autorités ainsi alléguées et groupées d’une part, les commentaires personnels d’autre part sont encore en faveur des premières. Mais la poussée interne de cette évolution ne s’arrêtera pas en si bon chemin ; elle demande à aller plus avant et à renverser les proportions en faveur de la pensée personnelle de l’auteur, de son interprétation de la doctrine, de son exposé dans lequel les Sententiæ ne viendront plus s’insérer qu’en guise d’arguments à l’appui, sinon même parfois de simples confirmatur. Quand on en sera là, on aura les sommes proprement dites.

Entre les deux extrêmes, on rencontrera toute la gamme des essais où l'élément personnel sera plus ou moins fortement accusé et accentué. Les sommes ne s’opposent donc pas primitivement aux sentences ; elles sont plutôt l’aboutissant, à une date un peu plus récente, de l'évolution dont les sentences avaient marqué une étape, mais non un terme, aux environs de 1160. Il ne faudrait pas tant se les représenter comme des branches d’un arbre qui se divisent et se subdivisent, dérivant ainsi l’une de l’autre, que comme des jets plus ou moins vigoureux qui jaillissent d’une souche commune et fusent les uns auprès des autres, s'épanouissant à des hauteurs et des époques différentes, et portant des fleurs plus ou moins parfaites. Parmi tous ces jets, l’un d’eux extrêmement vigoureux, donne naissance, lui, à une foule de branches et de rejetons : c’est l’ouvrage de Pierre Lombard avec les commentaires qui le continuent. Puis un second, un siècle plus tard, avec une fortune semblable, quoique moindre cependant : la Somme de saint Thomas.

De l’une à l’autre date, le jaillissement est continu. Certains travaux s’inspirent visiblement de ceux qui les ont précédés : telles les Sentences de Gandulphe de Bologne dont les rapports avec Pierre Lombard ont été précisés par J. de Ghellinck, Le mouvement théologique du xue siècle, 1914, p. 178-244. D’autres affirment leur originalité, parfois leur opposition. Ce sera Bobert de Melun, qui compose les deux livres de sa Somme entre 1152 et 1160. Ce sera Pierre le Chantre, dans la mesure pourtant où sa Summa de sacramentis ou son Verbum abbreviatum ne rentrent pas dans l’une ou l’autre des catégories que l’on a énumérées au début. C’est un Pierre de Poitiers plutôt, dont les cinq Livres des Sentences (vers 1168-1170) utilisent largement l'œuvre du Lombard. Ce travail déjà porte indifféremment dans les manuscrits le titre de Sententiæ (Paris, Biblioth. nat., lat. 13 435 ; 15 735-36 ; Cambridge, Gonv. and Caius Coll., 316-712 ; Bouen, 665 ; Borne, Palat. lat. 377) ou de Summa (Grenoble, 289 ; Burgo de Osma, 173 ; Paris, Biblioth. nat., lat. 3 116). Vers le même temps peut-être, on a l’ouvrage de Baoul Ardent qui, sans porter ce nom de somme, pourrait le mériter sans doute. Ensuite on voit se succéder les noms et les sommes d’un Simon de Tournai, d’un Bobert de Courcon, d’un Prévostin, d’un Langton, d’un Pierre de Capoue, d’un Martin de Fougères qui marquent déjà les premières années du xiiie siècle ; poussées vivantes de la même sève au travail depuis le siècle précédent.

Il est incontestable pourtant qu'à partir d’une certaine date les sommes théologiques, tout en traduisant ce même besoin profond, comportent un second élément qui les caractérise. Elles marquent, non pas nécessairement une réaction, ni même une opposition