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SORCELLERIE. RÉALITÉ


plus prudents diront peut-être, avec le D r Grasset, qu’il y a deux parts à faire en ces matières : l’une naturelle et expérimentale, l’autre insondable parce que préternaturelle. De cette façon, ils concluront avec le même savant : « Je crois qu’il faut absolument renoncer, et pour toujours, a la pensée qu’on peut appliquer la connaissance des phénomènes occultes au triomphe ou à la réfutation d’une doctrine religieuse quelconque. » Grasset, L’occultisme d’hier et d’aujourd’hui, c. ix, § 73.

Tous n’en sont pas restés à cette position sereine, et quelques-uns voudraient trouver en la magie populaire un résidu reconnaissable des anciennes religions, ou bien un timide essai de disciplines plus savantes, qui détrôneraient quelque jour le mystère et la peur de l’au-delà.

1. Les uns sont de piètres vulgarisateurs matérialistes, dont les affirmations gratuites et péremptoires ne supportent guère la discussion, tant elles sont simplistes. « La philosophie (I) a vainement cherché les faits magiques », disent-ils d’abord. Mélusine, t. ii, p. 372. « Il faut nier absolument qu’il y ait art occulte ou intervention d'êtres surnaturels. » Bien plutôt faut-il admettre, « quand les œuvres magiques sont suffisamment attestées, des actions physiques, chimiques, médicales, dont on savait alors user. Il est certain, ajoutent-ils, que, même dans l’enfance des sciences, les arts avaient une surprenante efficacité. » Et si l’on en venait à constater que des « puissances énormes » sont mises.en branle par le sorcier, « il faut faire un pas en dehors du cercle des arts anciens, entrer dans un domaine de merveilles, non plus extrinsèques, mais se passant dans le sein de l'être humain : les sens sont susceptibles d’exaltation par la même cause que je continue de désigner sous le nom de mystique… » Tachmann, La fascination, p. 37. Pratiques habiles et phénomènes nerveux, c'étaient déjà les deux explications que donnait à sa manière saint Thomas et qu’il jugeait insuffisantes. Il était même plus proche de la réalité quand il rendait compte de cette » action que la conviction exerce, par une sympathie secrète (?), sur l’esprit et l’organisme d’autrui. » Loc. cil. Mais, dans le cas même où des faits réputés hier occultes seraient reconnus aujourd’hui d’ordre expérimental, il n’en reste pas moins que le phénomène, « désocculté » pour le savant, demeure, dans la pensée du sorcier, intimement mêlé de diabolique. L’appel au démon reste un fait psychologique dont il faut rendre compte. Enfin, si le sortilège dépasse par son ampleur ou sa soudaineté toutes les prévisions, qui nous dit que l’action du démon ne se superpose pas à celle de la nature ?

2. Les explications savantes sont, avant tout examen, hors de la question, parce que les théories et techniques qu’elles évoquent sont bien au delà de l’horizon intellectuel du pauvre sorcier. « Il y a dans la sorcellerie vulgaire une ignorance suffisante des origines historiques et psychologiques de la magie. » Cependant on trouve, chez quelques adeptes, a des affirmations sans preuves sur de prétendus fluides qui régissent l’univers, dont quelques-uns seraient même doués de personnalité et sur lesquels le sorcier prétend à un certain pouvoir. » Heconnaîtrons-nous dans ces prétentions un souvenir déformé du « Diana » des peuples primitifs ? MariNier parle en efïet « des forces élémentaires de la nature >-, il évoque une vie universelle qui, répandue dans toutes les substances, les rend toutes susceptibles d’entendre la parole magique et d’y obéir : rien n’est sourd, rien n’est muet. » Mais la science positive, qui reconnaît l’activité de tous les êtres, vivants ou non vivants, dénie justement a ces derniers la plasticité et la spontanéité qu’elle reconnaît aux premiers. Quoi qu’il

en soit pour le fond, la persistance et même la diffusion de la croyance au mana, « cette prétendue puissance surnaturelle latente dans les personnes et les choses, qui se trouverait à l’origine de la magie » — et dans les soubassements de la sorcellerie — cette vulgarisation du mana « a été, en général, exagérée : on oublie trop souvent que le mot et la chose, découverts par R.-H. Codrington, The Melanesians, 1891, p. 51, 57, 103-119, 200, 307, s’y présente avec des nuances que les utilisateurs de sa découverte, Marillier et surtout Marett, The Treshold of religion, 1909, n’ont pas conservées. » A. Vincent, dans Revue des sciences relig., 1938, p. 73.

On retrouve aussi dans la sorcellerie vulgaire les grands mots de clefs, clavicules, pantacles, talismans, alphabets et nombres magiques, etc. ; ce sont des éléments importants de * l’occultisme, d’où est sorti le spiritisme, puis la théosophie ». L. Roure, dans Études, 1924, p. 129. Mais ce ne sont plus que des grimoires pour les sorciers des campagnes. « Les adeptes de l’occultisme, qui, ayant reçu le complet enseignement que pouvaient leur donner leurs maîtres, …possèdent le savoir nécessaire pour déchiffrer les pantacles, exécutent avec intelligence les opérations de maléfice qui doivent les mener à leur but (?) ; tandis qu’au contraire la sorcellerie utilise des formules dont elle ne comprend pas l’essence, et regarde l’ensemble des signes graphiques que l’on appelle pantacles comme un recueil de talismans ». C. Lancclin, op. cit., p. 33. De même l’envoûtement est hérité du principe de la kabale : agir sur une image c’est agir sur ce qui est représenté ; mais « celles qu’on nomme somnambules, …qui usent journellement de ces pratiques », n’en connaissent pas le sens caché. L. Roure, loc. cit., p. 140. On perdrait donc bien sa peine à édifier après coup une explication philosophique pour une pratique qui prétend s’en passer.

111. Réalité. — 1° Le problème. — Y a-t-il dans la sorcellerie diabolique quelque chose de réel ? Cette question intéresse, sinon le moraliste, du moins le théologien. Elle a été résolue par l’affirmative par tous les théologiens anciens ; mais ils n’ont pas toujours bien distingué les trois aspects du problème : 1. la réalité des dommages causés ; 2. les prétentions des sorciers d’entrer en relations avec des puissances mauvaises ; 3. l’efficacité de leurs invocations, c’està-dire la mise en branle de puissances vraiment surhumaines.

Le premier point ne devrait pas laisser de doute ; il y a bien, aujourd’hui encore, de vrais maléfices. Sans doute il ne faut pas croire à la légère tout le mal qu’on attribue aux sorciers. Une épidémie vient-elle s’abattre sur les bestiaux, les gens de la campagne croient que l'étable a été ensorcelée ! Ces préjugés d’ailleurs tendent à disparaître par le bienfait de l’instruction. Mais peut-être tel théologien estimé s’est-il tro]> avancé quand il a écrit : « Les sorciers, autrefois si redoutés, quoique assez peu redoutables peutêtre, ont disparu de la société actuelle. » J. Didiot, Morale surnaturelle spéciale, th. xxv, p. 490. Les pasteurs ou les médecins de villages pourraient sans doute fournir des faits avérés, et les anciens procès de sorcellerie contiennent, dans leurs dossiers, sous le fatras des accusations injustifiées, des faits irrécusables qui donnent à réfléchir aux historiens les plus sévères : « Il est probable qu’au fond de plus d’une affaire de sorcellerie, il y avait une affaire d’empoisonnement ou d’avortement très réelle. » E. Jordan, dans Heu. des qurst. hist., 1901, p. 607.

Quant à l’intervention du démon dans ces maléfices, il est bien SÛT « lue les agissements des sorciers tendent à y faire croire. Il suffit, pour s’en convaincre, de parcourir un de ces petits livres que le colportage