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S O R C E L L E R 1 1 :. 1) I F E U S I N


haine irréconciliable entre un mari et une femme, et puis ramener entre eux un amour ineffable. » L'évêque opine pour l’affirmative : « Cela peut se faire, par un secret mais toujours juste jugement de Dieu, comme nous le démontrerons par l’autorité de l'Écriture et renseignement des anciens docteurs. » Loc. cit., col. 721. Malgré l’estime que l’on doit avoir pour la science d’Hincmar, il faut bien dire que les textes qu’il cite de la sainte Écriture, II Reg., xiii, 15 ; Luc, xvi, 26, et des Pères, sont hors de la question, et que l’histoire du sorcier convaincu par saint Basile est tirée de la vie apocryphe attribuée à Amphiloque ; cf. P. G., t.xxix, col. 307. Par contre, Hincmar est un bon témoin des exagérations qui couraient déjà de son temps au sujet de la sorcellerie : il admet ce qu’un de ses suffragants lui avait conté, un cas assez anodin de réconciliation par les saintes lectures, loc. cit., col. 717 ; mais les autres cas qui lui sont venus aux oreilles, il ne s’en porte pas garant, et n’ose les raconter en détail : Turpe est fadih-as nobis notas rejerre, et longum est sacrilegia computare, quæ ex hujusmodi de ossibus mortuorum, atque cineribus extinctis et de capillis et pilis… cum filulis colorum multiplicium, et herbis variis ac cochleolis et serpentium particulis composila cum carminibus incantata deprehendenles comperimus, quibus homines liberati et benedictione ecclesiastica medicati… Quidam vestibus carminatis induebantur. Alii polit, alii autem ciboa « sortiariis » dementati, alii vero tantum carminibus a strigis fascinati et quasi énerves e/Jecli reperd sunt ; quidam autem a lamiis sive genicialibus jeminis debilitati ; quwdam etiam feminm a Dusiis in specie virorum, quorum amore ardebant, concubitum pertulisse inventée sunt. Quos et quas, divina potentia, compressis et abjectis phantasmatibus diabolicis, per exorcismos et antidota catholica restitua sanitati. Loc. cit., col. 717-718. Ce n’est pas sans quelque appréhension que l’on voit notés ici, pour la première fois, en dehors des exorcismes anciens, les « antidotes catholiques » contre les sorciers….

l’n capitulaire carolingien essaie de classer les genres de sorcellerie connus : Ut nemo sit qui ariolos sciscitetur…, nec sint malefici, nec incantatores, nec phitones, nec calculatores, nec lempestarii, nec obligatores. Boretius, Capitularia, t. 1, p. 402. A quoi correspondent ces diverses appellations, nous sommes bien empêchés de le dire.

Au xii° siècle les hommes les plus pondérés de tous les pays partagent, sinon les imaginations de leurs peuples, du moins leur défiance. Pour la France, voir Yves de Chartres, De magorum sortilegiis, P. L., I. ci. xi, col. 1317 ; Hugues de Saint-Victor, Eruditio didascalica, t. VI, c. xv, P. L., t. clxxvi, col. 810, et t. clxxvii, col. 203. Pour l’Angleterre, Robert Pull, P. L., t. clxxxvi, col. 1093 ; Jean de Salisbury, De variis speciebus magorum sortit., P. L., t. cxc.ix, col. 407-415, col. 461. Pour l’Espagne, Martin de Léon, P. L., t. cevm, col. 73. Voir, parmi les préscolastiques, Pierre le Chantre, P. L., t. cev, col. 225-233 ; Pierre de Blois, P. L., t. cevn, col. 190 ; et à une époque plus tardive, Denys le Chartreux, Contra vitia superst., dans Op. omnia, t. xxvi, p. 213-221.

Il est tns regrettable qu’au xiiie siècle, alors que les histoires de sorcellerie n’avaient pas encore tourné les têtes, les anciens SCOlastiques n’aient pas étudié d’assez près ces questions ; on en conclura qu’ils les

tenaient pour négligeables du moins dans l’enseignement théologique. C’est ainsi qu’Albert le Grand,

à qui les siècles suivants ont fait une solide réputation de magicien, n’en parle pour ainsi dire jamais. De même, saint Thomas conclut tranquillement ses remarques sur les diableries des sorcières : Hoc non iiitillum rr/rrl ml fidei christianæ doclrinam. Dr main, (|. xvi, a. 1. Sans doute en reconnait-il incidemment

l’existence, In II am Sent., dist. VII ; In /V um Sent., dist. XXXIV, q. i, a. 3 ; Sum. theol., I », q. exiv, a. 4, et dans les autres passages signalés plus haut. A l’endroit de la Somme théologique où il étudie du point de vue moral les péchés opposés à la religion, II » - 11e, q. xcn-xcvi, il ne se pose pas la question de la véracité des histoires de sorciers, mais recherche a priori la possibilité de l’intervention du diable dans la superstition : voir plus loin l’art. Superstition ; bien plus, il y fait peu de place, q. xevi, a. 2, sed conlra, au péché de magie ou de sorcellerie, et ce n’est que par un fil que Suarez rattachera celle-ci à la divination : Sicut divinatoria, ita ars facliva aliquorum operum… Magiæ et divinationis peccata solum materialiler difjerunt.Dereligione, tr. iii, t. II, c xv, n. 2 et 10, éd. Vives, t. xiii, p. 563-567 ; ailleurs, avec plus de raison, le même auteur rapproche la sorcellerie de la « superstition des observances ». Loc. cit., c. vii, n. L

Renaissance et temps modernes.

Avec la fin du

Moyen Age, le fait qui se pose angoissant est celui des procès de sorcellerie. Les récits en foisonnent dans Sprenger, Maliens male/icarum, 1487 ; del Rio, Disquisitionum magiæ libri VI, 1599 ; Spé, Cautio criminalis, 1631. Voir leurs art. Bornons-nous à donner le résumé de S. Reinach, dans Orpheus, p. 444. < Satan est partout au Moyen Age, à la fois comme dieu du mal et comme distributeur des richesses terrestres. Ce n’est pas l'Église qui a créé cette croyance, pas plus que l’opinion suivant laquelle certaines femmes, ayant fait un pacte avec le diable, se rendaient au sabbat sur des montures grotesques et y acquéraient des pouvoirs redoutables de maléfice. Il y a dans ces superstitions tenaces un vieux fonds païen et germanique. Mais l'Église, mieux instruite, n’aurait pas dû les partager. Non seulement elle les partagea, mais ses théologiens en firent un système et… elle organisa, à l’aide de l’Inquisition, la chasse aux sorcières, excitant le pouvoir civil à l’imiter. Dénoncées par des commérages, soumises à d’affreuses tortures, des malheureuses avouaient qu’elles avaient été au sabbat et racontaient des orgies imaginaires. On les brûlait en foule. Les supplices échauffaient les imaginations : tous les inquisiteurs qui reçurent mandat d'étouffer la sorcellerie furent d’actifs missionnaires qui contribuèrent à la répandre. Les esprits se familiarisaient avec l’idée que les sorcières entouraient les hommes de leurs embûches et que la moindre infortune résultait de leur malignité. » On pourrait citer, dans le même sens, une suite d’historiens plus pondérés dans leurs jugements, parce que plus spécialisés dans leurs recherches, par ex. R. Reuss, La sorcellerie au x vie et au x VIIe siècle, particulièrement en Alsace, d’après des documents inédits, Paris, 1871 ; J. Jansscn, La civilisation en Allemagne, Paris, 19021911. Voir une bibliographie plus complète à l’art. Ilexen de la Prol. Rvalencijclopâdie, t. viii, p. 30, où l’on retiendra surtout.1. Hansen, Inquisition und Hexenverfolgung im M. A., dans Hist. Zeitschr., t. lx.xxi, 1898, et Quellen und Untersuch. zur Gesch des Hexenwahns, 1901.

Les faits lamentables n’en restent pas moins, qui établissent la responsabilité des gens d'Église dans cette frénésie meurtrière des x i et x iie siècles. Il ne nous suffit pas de remarquer que « les tribunaux civils se montrèrent plus crédules et plus barbares encore que les tribunaux ecclésiastiques, et que les protestants lurent tout aussi acharnés que les catholiques ». S. Reinach, loc. cil. Tout au plus observera-t-on que Th. de Bèze taxait les parlements français d’incrédulité parce qu’ils n’osaient condamner à mort les sorciers ; et que, n’ayant pour guide que l'Écriture Saiule, certains protestants en venaient à enseigner que « nier l’existence de la sorcellerie, c’est contredire