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SPIRITUELS. DANS LA MARCHE D’ANCONE


parole aux prisonniers. la sentence de condamnation

sérail lue chaque semaine dans les chapitres conventuels et celai qui oserait faire une remarque devrait subir le même sort. De fait, frère Thomas de Casteldemilio, qui ne put contenir son indignation à la lecture de la sentence, fut jeté aussitôt en prison, et, succombanl quelque temps après à ses souffrances, il fut privé des honneurs de la sépulture chrétienne. Telles furent les nu-sures draconiennes adoptées pour combattre dans son germe le mouvement de la reforme.

Au chapitre général, célébré à Rieti en 1289. fut élu à la charge suprême de l’ordre le Provençal frère Raymond Gaufredi, qui se mit aussitôl à l'œuvre en visitant les provinces. Arrivé dans la Marche d’AnCdne et avisé de ce qui s'était passe, il c ; issa la sentence de condamnation et libéra les prisonniers. Cependant il comprenait fort bien qu’il était impossible que les zélateurs de la pauvreté pussent vivre au milieu île ceux qui naguère les avaient traités si cruellement. Il profita donc d’une demande que lui avait faite Hayton II, roi d’Arménie (il s’agit de l’Arménie mineure c’est-à-dire de la Cilicie), en vue d’obtenir quelques missionnaires pour évangéliser son pays. Gaufredi confia cette mission aux spirituels de la Marche. Tout ceci se passa probablement dans la seconde moitié de 1289. A la même époque. Nicolas IV adressa des lettres à Hayton et à la reine d’Arménie dans lesquelles il leur recommandait le fameux frère Jean de Montecorvino et ses compagnons. BuUar. franc, t. iv, p. 86 sq. ; Wadding, Annales, à l’an 1289, n. 8-9. t. v, p. 222 sq. Il est à remarquer que, d’après L’bertin de Casale, Arbor vilæ, v, 3, le bienheureux Jean de Parme ( + 1289) avait déjà conseillé aux spirituels d'émigrer en Asie et d’y attendre la réforme de l'état évangélique, c’est-à-dire de l’ordre franciscain.

Les frères envoyés furent Thomas de Tolentino. Marc de Montelupone, Libérât de Macerata, Ange de Clareno et probablement d’autres dont on ignore les noms. Ils travaillèrent si bien dans cette mission, que le général Gaufredi, au chapitre de l’ordre à Paris 1292, put lire une lettre du roi Hayton, exprimant sa satisfaction et ses remerciements. Tout semblait donc aller pour le mieux, lorsqu’une nouvelle attaque se prépara : l’ancien secrétaire de la province de la Marche d’Ancône était allé en Syrie, où il fut nommé gardien du couvent de Saint-Jean d’Acre. A son instigation le provincial de Syrie écrivit au roi d’Arménie pour le mettre en garde contre des hommes pervers, séparés de l’ordre, schismatiques et hérétiques, jadis condamnés à la prison perpétuelle. Hayton II communiqua cette lettre aux spirituels, qui se justifièrent efficacement ; mais leur travail apostolique leur semblant désormais entravé par cette grave accusation, ils décidèrent de retourner en Italie, les uns pour se mettre à la disposition du ministre général, les autres pour reprendre la vie de province. Parmi ces derniers se trouvaient Libérât de Macerata et Ange de Clareno. En arrivant, tout exténués, après un long et pénible voyage, dans la Marche d’Ancône, ils n’y reçurent qu’un fort mauvais accueil. Comprenant que leur séjour n’y serait pas possible, ces deux religieux résolurent de se présenter à Célestin Y, qui venait d'être élu souverain pontife (1291).

Avant de faire une démarche aussi importante, les chefs des spirituels voulurent consulter les autres frères éminents du parti. On interrogea Jacopone de Todi, le bienheureux Conrad d’Offlda, le bienheureux Pierre de Monticulo (Treia), Thomas de Trivio, Conrad de Spolète, et tous encouragèrent cette démarche. Au ministre général lui-même. Gaufredi, d’après Ange de Clareno, il plut que nous nous présentions au souverain pontife et que nous lui demandions un remède pour nos âmes et celles de nos compagnons >. Li bérât alla donc avec Ange de Clareno à Aquila trouver Célestin Y, qui connaissait déjà le premier, et tous deux lui exposèrent leur situation, et leurs désirs pour l’avenir. Le pape ayant examiné la question avec ses conseillers, ordonna que les pétitionnaires observassent fidèlement la règle et le testament de saint François, mais sans porter le nom de frères mineurs. Puis, les déliant de l’obéissance envers l’ordre, il leur assigna frère Libérât comme supérieur. Pour ménager les susceptibilités de l’ordre franciscain, le souverain pontife leur donna le nom de « pauvres ermites du pape Célestin ». Le pape lit-il une bulle dans ce sens ? I bertin de Casale, Arbor vilæ, v, 8, l’affirme à deux reprises ; Jean XXII, dans la constitution Sancta rumana. le révoque en doute. Jiullar. franc, t. v, p. 135. En tout état de cause, le document ne se trouve pas dans le registre de Célestin. Enfin le pape mit le nouvel institut sous la protection du cardinal Napoléon Orsini et recommanda les religieux à un abbé de l’ordre des célestins, sans doute l’abbé général, résidant à Sulmona, le seul qui portât alors le titre d’abbé.

Les spirituels de la Marche d’Ancône s'établirent par conséquent quelque part dans les Abruzzes, indépendamment de l’ordre franciscain. Mais le triomphe de leur cause fut de peu de durée. Boniface VIII, successeur de Célestin Y, lequel avait renoncé au pontificat à la fin de la même année 1294, annula toutes les concessions faites par son faible prédécesseur, à moins qu’elles ne fussent expressément confirmées par lui. Par cet acte, les dissidents se trouvèrent privés de toute base légale et jetés dans le plus grand désarroi. Aussi ne le pardonnèrent-ils jamais à Boniface VIII, dont quelques-uns contestèrent opiniâtrement la légitimité. Voir le manifeste des cardinaux Colonna du 10 mai 1297, contresigné par Jacopone de Todi et deux autres franciscains, dans Archiu, t. v, p. 509-515, et Ubertin de Casale, Arbor vitæ, v, 8. En 1296 quelques exaltés auraient même poussé l’audace jusqu'à élire, dans la basilique de Saint-Pierre à Rome, un autre pape en la personne de frère Mathieu de Bouzigues, dont la confession de foi a été publiée par F. Delorme dans Études franciscaines, t. xlix, 1937, p. 224 sq. Olieu au contraire, en bon théologien, blâma vivement ces lamentables erreurs et défendit magistralement la légitimité de Boniface VIII par deux écrits, publiés par L. Oliger, dans Archiv. franc hist., t. xi, 1918, p. 309-373. Dans le deuxième de ces écrits, c’est-à-dire dans la lettre à Conrad d’Oflida, Olieu éleva aussi la voix contre le séparatisme des spirituels italiens.

De son côté la Communauté prétendit ignorer la concession de Célestin V et chercha, même pendant son bref pontificat, à s’emparer des séparatistes. Ceux-ci, pour se dérober aux poursuites, après l’abdication de Célestin, s’enfuirent en Achaïc (Grèce), où, même après la chute de l’empire latin de Constanli nople (1261), existaient encore diverses principautés et seigneuries latines, (/est dans une île du golfe de Corinthe, probablement Trixonia (Trazoni), appartenant à un seigneur Thomas de Stromocourt, comte de Sola (Salona), qu’ils trouvèrent un asile et vécurent pendant deux ans (1295-1296) en grande paix. Mais ici encore, les frères de la communauté de la province de Bomagne les traquèrent et les dénoncèrent comme manichéens aux barons et aux évêques latins. Ceux-ci firent une enquête et ne trouvèrent rien à redire sur le compte des pauvres ermites. Le ministre général Jean de Minio eut alors recours à I ion i face VIII. Celui ci lança contre les fugitifs la bulle Sœpe sacram Eccle Siam, aujourd’hui perdu.-, niais dont il existe un résumé dans une ordonnance de (.halles Il de a pi es. suzerain île l’Achale, adressée a Isabelle de Yillehai douin, princesse d’Achaie. I.c texte a été publie par