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SUAREZ. DOGMATIQUE, LE Sl’RNATUREL


nions qui s’exprimaient encore autour de lui, que Suarez a défini et expliqué la sienne.

Il ne fait d’abord pas de doute pour lui que la puissance obédientielle, même passive, est autre chose qu’une non-répugnance et qu’elle consiste en un pouvoir physique et positif du sujet qui en est doué. La différence est en effet considérable entre la réalité de la puissance obédientielle et celle d’une puissance purement objective connue l’est celle des êtres qui pourraient exister. A la vérité, cette dernière ne mérite même pas le nom de puissance passive, car elle se réduit à la simple possibilité d’une chose qui, n'étant rien, ne répugne pas à être tirée du néant, possibilité purement logique et qui, bien loin de représenter un pouvoir effectif chez une créature actuelle, ne se trouve que dans les esprits qui la conçoivent. Tout autre est la puissance obédientielle qui nous permet de recevoir la grâce. Faisant partie d’un sujet existant, elle n’est pas moins réelle et positive que lui et consiste en une capacité physique, qu’il possède vraiment, d’ajouter à ses perfections normales certaines perfections extraordinaires dont Dieu peut l’enrichir, s’il lui plaît. Puisque la justification transforme réellement et physiquement notre âme, n’est-ce point parce qu’en vertu de sa spiritualité, il y a chez cette âme une aptitude réelle et physique à être ainsi transformée ? Si l’argile se prête à être modelée au gré du potier, t andis que l’acier ne s’y prête pas, ne le doit-elle pas à des propriétés physiques dont elle est pourvue et dont n’est pas pourvu l’acier ? Qui songerait d’ailleurs à prétendre que la causalité matérielle n’est qu’une relation logique ? Or, toute puissance, naturelle ou obédientielle, qu’une forme vient actuer, joue à l'égard de cette forme le rôle de cause matérielle. Comment le ferait-elle, si elle n’existait pas effectivement ? In ///', iii, q. xiii, a. 4, disp. XXXI, sect. vi, n. 52, 59, 60, t. xviii, p. 128.

2. Puissance obédientielle active.

Aussi Suarez estil convaincu que la puissance obédientielle passive entraîne après elle la puissance obédientielle active, 1rs raisons qui justifient l’existence de la première démont rant en même temps celle de la seconde. Se comporter en cause matérielle, n’est-ce pas en effet déjà exercer une certaine activité ? Pourquoi, du reste, Dieu seraitil plus impuissant à élever l’activité de ses créatures au-dessus de ses applications normales que leur capacité réceptive ? L’obéissance qu’exprime le mot obédientiel n’implique pas seulement une disposition de toute essence finie à se laisser doter sans résistance par le Créateur de qualités indues, mais, d’une manière plus générale, l’obligation qui lui incombe de se prêter soit à toute élévation de ses facultés au-dessus de leur perfection originelle, soit à toute collaboration de sa causalité propre avec la toute-puissance divine même à des œuvres qui dépassent la portée normale de cette causalité. Ibid., n. 49, 50, p. 126.

Au surplus, ce que prouve ainsi la raison, le dogme le confirme, si tant est qu’il ne l’impose pas. Surnaturels au sens le plus strict du mot, les actes de foi, d’espérance et de contrition par lesquels un infidèle se prépare immédiatement à la justification, doivent être aussi vraiment siens, de telle façon qu’il les produise avec ses forces humaines, même en ce qu’ils ont de méritoire, c’est-à-dire d’exactement proportionné à la contemplation béatiflque où ils conduisent. Com ment en effet le ciel nous serait-il dû comme un salaire si notre volonté n’avait pas directement contribué à produire ce par quoi il se gagne, c’est a dire les œuvres surnaturelles en tant que telles. Necesse est, écrit Suarez, quod ipseemet potentiæ anima per suas entitates in/luant in hos actus cle contrario quod ipsimet actus, eliam qualenus supernaturales suni, pendeanl immédiate a potentiis etiamsi simul pendeant <tb habitu » rl auxilio. Ibid., n. ") I, p. 128. Au cas où l'élément surnature ! qui

fait tout le prix de ces œuvres proviendrait exclusivement d’une aide divine, comment pourrions-nous en être tenus pour les auteurs et comment par suite aurions-nous accompli quoi que ce soit qui valût vraiment la vie éternelle ? Tout au plus nos actes surnaturels nous seraient-ils imputables dans la mesure où nous aurions servi de support à la grâce actuelle qui les aurait à elle seule rendus méritoires. A ce compte, pourquoi ne dirait-on pas qu’une échelle a percé un trou parce qu’un ouvrier y est monté pour perforer un mur ? D’où il résulte qu'à moins que nos forces humaines ne puissent participer moyennant un concours extraordinaire du Créateur à la production du surnaturel en tant que tel, autrement dit à moins qu’elles ne soient en puissance obédientielle active à l'égard du surnaturel, elles ne feront jamais rien qui mérite vraiment de voir Dieu face à face.

Quelle que soit d’ailleurs la multiple variété et la grande perfection des effets qu’elle permet de réaliser, la puissance obédientielle active ne consiste point pour autant en une série d’habilus infus dont chacun correspondrait à une espèce spéciale d’opérations miraculeuses, ni même en un seul don extraordinaire surajouté aux facultés de notre âme. Tout comme la puissance obédientielle passive, elle s’identifie purement et simplement avec notre nature, n'étant rien de plus que cette nature même, dans la mesure où elle est capable de servir d’instrument au Tout-Puissant pour n’importe quel usage compatible avec ses propriétés essentielles. Aussi quand Dieu, par exemple, décide d’employer la main d’un thaumaturge pour accomplir des prodiges, ne commence-t-il pas par le pourvoir dans ce but d’une qualité complémentaire. La perfection et l’efficacité de cette qualité ne devrait-elle pas être quasi infinie, puisque la puissance obédientielle active qu’elle constituerait doit disposer par définition à la production des merveilles les plus diverses et les plus étonnantes. Au demeurant, comment concevoir, du moins quand il s’agit de grâce à communiquer, comme c’est le cas dans la causalité physique de la matière et de la forme des sacrements, qu’aucune vertu créée puisse être proportionnée à un pareil effet ? Et si, pour parer à cette dilficulté, l’on ne prêtait à ladite qualité qu’une activité obédientielle ne lui permettant d’exercer sa fonction que moyennant une aide divine extraordinaire, ne la rendrait-on pas tout à fait inutile ? Quel obstacle y aurait-il en effet à ce que cette aide divine fût donnée directement à la main du thaumaturge aussi bien qu'à toute autre créature même plus parfaite ? Ibid., disp. XXXI, sect. v, p. 103.

Bref les mêmes raisons qui ont décidé Suarez à contester que, pour passer à l’acte second, les créatures aient aucunement besoin que le Seigneur complète au préalable l’acte premier de leurs puissances naturelles par une prémolion physique, l’amènent à nier ici qu’un complément de ce genre puisse servir à expliquer l’usage de leur puissance obédientielle active. A cette réserve près que, dans un cas, l’intervention divine est gratuite, miraculeuse et disproportionnée au degré de perfection de l'être avec Lequel elle collabore, tandis que, dans l’autre, elle est due, normale et proportionnée, il n’y a aucune différence entre la manière dont Dieu contribue à nous faire accomplir soit des miracles, soit les opérations spécifiques de nos facultés. Prodigieux ou ordinaires, les actes que nous produisons en commun avec notre Créateur proviennent donc toujours de deux causes distinctes agissant avec une rigoureuse simultanéité et effectuant chacune l'œuvre tout entière quoique non totalement. Ibid., sect. v, n. 7, S, '. » ; sect. vi. n. SI, p. 105 sq., 87, 140 sq.

C’est ainsi que Suarez conçoit la part que prend l’eau baptismale à la naissance des vertus infuses dans l'âme qu’elle justifie et la causalité instrumentale de l’huma