Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 14.2.djvu/597

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
2695
2696
SUAREZ. THÉOLOGIE PRATIQUE. LA MORALE


Suarcz, non moins en théologie pratique qu’en dogmatique, n’a pas agi autrement : il a entendu rechercher, en des analyses poussées à fond, la vraie pensée du Maître et montrer la portée de ses doctrines ; utilisant le travail accompli depuis trois siècles, prenant même à d’autres écoles ce qu’elles lui semblaient avoir de bon, il a proposé sur les problèmes contemporains les solutions qu’il jugeait les meilleures. Sur les points qui lui paraissaient moins clairs ou moins solides, il n’a pas craint, en tout respect mais avec entière liberté. de critiquer et de compléter. oire d’abandonner saint Thomas.

Ces points, autant que nous pouvons nous en rendre compte, ne sont guère nombreux, l’our les déterminer exactement, des monographies de doctrines seraient nécessaires, qui nous manquent en beaucoup de matières.

On a parlé de son éclectisme et du volontarisme qu’il aurait souvent substitué à l’intellectualisme thomiste. Ce qui a été dit plus haut à propos de sa théologie dogmatique met, nous semble-t-il, au point l’éclectisme suarésien : un éclectisme organique et modéré, qui le portait à utiliser les excellents éléments fournis par d’autres écoles en les assimilant ; il l’a pratiqué aussi en théologie pratique, Quant à son volontarisme, ce qu’il faut admettre, croyons-nous, c’est que, dans un certain nombre de questions morales et politiques, il est bien exact que Suarcz s’est efforcé de compléter l’intellectualisme thomiste par une considération plus concrète de la psychologie humaine et en faisant plus de place à la volonté et a la liberté, ainsi dans sa conception du droit et de la loi, dans l’étude de la conscience douteuse, de la béatitude, ou à propos de l’origine de la société civile. Ce volontarisme est, a noire sens, complémentaire ; il n’est pas le volontarisme absolu et exclusif quc d’aucuns lui ont attribué trop généreusement, faute peut-être d’avoir étudié avec assez de patience ses analyses.

(/est sans doute dans les matières politiques que Suarcz se trouve avoir été le plus original ; aussi bien le I crraiii avait-il él é beaucoup moins exploré par saint Thomas et portait-il, au XVIe siècle, une lloraison autrement touffue et vraiment nouvelle de questions et de problèmes.

En général et en réservant ce dernier point sur lequel nous aurons à revenir, dans l’ensemble de sa théologie pratique il reste que sa critique du thomisme cl les compléments qu’il s’efforce de lui apporter, s’ils suffisent à lui faire attribuer une personnalité et une maîtrise réelle, ne nous paraissent pas susceptibles de faire de lui un chef d’école ; nous ne croyons pas pouvoir retenir l’idée, trop flatteuse selon nous, qu’il exisle un suarézisine moral et juridique. Suarcz se défendait au début de sa carrière contre certains de ses confrères d’être un novateur ; il pouvait en mourant se dire un thomiste progressif. De Scorraille, t. II, p. 173.

Méthode analytique et historique.

Ce qui chez

le jeune professeur pouvait le plus donner prise à ce reproche de nouveauté, c’était sans doute sa méthode de commentateur, où nous voyons le troisième carac lire (le la théologie pratique suarésienne.

Gel te met bode consiste surtout en un procédé d’analyse qui sépare, sur chaque matière traitée, les questions et, dans les questions elles mêmes, les éléments a et m lier eu détail, a ce indication des opinions émises

jusqu’alors. Ce procédé analytique ci historique enrichit singulièrement la doctrine, puisqu’il permet de

soulever bien des problèmes qui n’étaient qu’implici

lement abordes ou même point du loul traités dans les exposés plutôt brefs et synt hél iques de la Somme ; il donne lieu de présent er un véritable inventaire des I ravaux théologiques accomplis jusqu’à Suarcz et d’ar river à une précision plus grande des réponses et des solutions.

Sans doute cet inventaire, extraordinairement érudit, n’est pas tout à fait selon l’esprit que nous réclamerions aujourd’hui ; il nous donne l’état de la théologie à l’époque de Suarez et beaucoup moins la suc cession et le rapport des doctrines : présenté selon un ordre souvent artificiel, il reste statique : ce n’est pas une histoire des idées. De plus et surtout, cette analyse minutieuse des opinions, cette critique des adversaires et de leurs objections, cette fragmentation des propres thèses de l’auteur ne sont pas sans risquer de nuire à la clarté des ensembles et de mettre notre patience à l’épreuve. Les auditeurs de Suarez et ses premiers lecteurs étaient moins pressés que nous ; nous admire rions volontiers sa conscience et sa puissance de travail, sans avoir toujours le temps et l’attention néces saires pour le suivre et le comprendre.

Il y a là pour toute l’œuvre de Suarez, spécialement pour sa théologie pratique, dont les matières plus concrètes offrent parfois tant de complexité, une cause d’infériorité qui risque de les rendre moins accessibles et de les diminuer.

Si l’on veut bien passer outre aux premières impressions défavorables, on apercevra, au prix de quelque peine, ce qu’on peut gagner à fréquenter le moraliste, le juriste, le politique. Au point de vue historique, il nous renseigne sur l’état de la théologie à son époque. S’il met parfois du temps à découvrir sa pensée, s’il a besoin pour la fixer tout à fait de s’y reprendre à plusieurs fois, on sera étonné de la richesse des vues que l’on rencontrera et l’on constatera aussi - c’est là surtout que se manifestent la qualité et la force singulières de son génie théologique que l’esprit de synthèse, malgré les apparences contraires, ne lui a pas manqué. Au milieu de développements et d’exposés plus abondants « pie diffus, des formules surgis sent qui éclairent et dominent les questions. Certains de ces aphorismes et de ces principes ont eu leur fortune et ont guidé toute une suite de ses successeurs ; on en trouvera aisément à bien des détours de ses analyses ; leur réunion constituerait une somme suarésienne qui serait d’un réel intérêt.

II. Doctrines de la théologie pratique suaré-SIENNE. — Dans cet exposé, qui voudrait seulement relever les vues, à notre sens plus importantes, plus personnelles ou plus actuelles de celle théologie, nous suivrons, plutôt que Tordre des ouvrages tels qu’ils ont été publiés ou leur suite historique, celui des diverses sciences qui se partagent de nos jours ce que Suarez appelait la théologie pratique. Pour simplifier, nous ne distinguerons pas de la théologie morale proprement dite la philosophie morale, leurs matières étant identiques, surtout dans leurs parties générales.

I. THÉOLOGIE MORALE PROPREMENT VITE. — 1° Morale générale. - I.e volume posthume qui en traite directement, Vives, t. iv, commentaire de la I a -II" q. i-lxxxix, contient cinq traités, portant respectivement sur la fin dernière, le volontaire et l’involontaire, la bonté et la malice des actes humains, les liassions, les vices et péchés. Les règles morales sont sommairement présentées en lin du 1 1 h’traité. De bonitate et malilia : vues sur la loi éternelle, disp. XI, p. 430 — nous les compléterons avec le De Itgibus — et sur la conscience, dis]). X 1 1. p. 137 sq. I lans ces divers traités, nous distinguerons les doctrines suivantes :

1. — Comme il convient à une morale aristotélicothomlste, le volume s’ouvre par une étude de la cause finale : nature psychologique et mode d’action. Ces vues sont à compléter par la disp. XXIII des Disputationes melaphysicee, t. xxv, p. 843 sq.j cf. I.. Mahieu, P. Suarez, sa philosophie, etc., p. I7."i l<Sf>.

Dans la disp. II, sect. iv. p. 2 I 2~>. est donnée avec