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2795 SUPERSTITION. LE SECRET DES VAINES OBSERVANCES 2796

supérieure, permet de grouper à l’opposite de la superstition, un grand nombre de pratiques courantes de la religion chrétienne, que le Docteur angélique eut grand

soin d’autoriser, cf. II a -II", q. i.xxxi, a. 3. ad 2um, mais qui ne trouvent plus, chez les moralistes, la place à quoi elles ont droit.

Recherchons donc à quelles conditions le recours à Dieu et aux forces inconnues peut être licite, pour nos intérêts temporels, alors que l’invocation du démon ou son intervention subreptice sont toujours des superstitions ; et nous verrons, chemin faisant, que ces divers recours ne constituent point un culte proprement dit.

Le recours aux forces naturelles.

1. Est-ce un

culte véritable ? — Comme il est évident que la superstition ne va pas jusqu’à diviniser la nature, certains théologiens ont parlé seulement d’un culte latreutique >’des forces inconnues, d’une sorte de latrie de la créature. « La superstition n’entreprend pas de détourner la nature divine au profit des créatures… Elle exagère cependant… la valeur intrinsèque de celles-ci et, sans les croire dieux, elle leur attribue la force île produire des résultats dont Dieu seul est capable. Kt quand elle passe de. la théorie à la pratique, elle y voit un mélange de qualités infinies et de substances finies qu’elle honore par des actes cultuels objectivement latreutiques… » J. Didiot, La vertu de religion, p. 459-460. Mais cette aberration, si on la met au compte de l’intelligence, est une « idolâtrie en actes, qui doit logiquement aboutir à une religion autonome panthéiste, cf. IL-II a >, q. XCIV, a. 3, corp. et ad 2um ; l’aberration serait donc beaucoup plus profonde que celle de la superstition, qui est, par définition, un surcroît et qui vient de la vivacité de l’imagination. Ici, point de signes de vénération, mais plutôt des signes de connivence ; comme si le superstitieux reconnaissait ù des objets, à des puissances mystérieuses, qu’il ne se donne pas la peine d’identifier, des qualités de force et de clairvoyance, et aussi les défauts des pauvres humains qui se laissent capter par des prévenances.

2. Signes de détresse.

Cette connivence a été beaucoup plus habilement décrite par H. Bergson ; si elle ne suffit pas à expliquer l’origine de toutes les superstitions, elle marque bien l’esprit des appels que lance l’esprit inquiet du superstitieux. < Magie, culte (’.') des esprits ou des animaux, mythologie, superstitions de tout genre, paraîtront très complexes si on les prend une à une. Mais l’ensemble en est fort simple… » Les deux sources, p. 217. A son stade proprement superstitieux, qui n’est pas encore « l’adoration des dieux à fonctions spéciales », l’esprit recourt aux forces inconnues en leur faisant connue des signes indiquant le but de ses désirs : « Sa magie paraissait réussir, et il se bornait à en exprimer le succès : ce qui ne pouvait être que si la matière était en quelque sorte aimantée, si elle se tournait vers l’homme pour en recevoir des missions, pour exécuter ses ordres. Op. cil-, p. 171). Les signes deviennent de plus en plus impératifs et se tournent vers toute puissance secourable : A son plus bas degré, la prière n’était pas sans rapport avec l’incantation magique : elle Visait, sinon a forcer la volonté des esprits, du moins à capter leur faveur. » Op. cit.. p. 21 1.

Plus positil que l’auteur des Deux sources, l’auteur de la Somme dénonce comme lui l’absurdité des signes aux forces inconnues, mais il va plus loin dans leur interprétation. " Si naturellement on n’aperçoit pas quc ces agissements puissent produire de tels effets, il faut conclure qu’ils ne sont pas employés pour causer de tels effets comme des causes, mais comme des si gués, quasi signa. » [I » -II", q. xevi, a. 2. Mais adjurer une créai me sans raison, l’adjurer elle même, ce serait tout a fait vain ? lai effet, il y a deux formes d’adju ration, qui sont aussi impossibles l’une que l’autre envers les forces inconnues. L’une, qui se fait par mode d’humble prière, ne peut être employée à l’égard de créatures sans raison, qui n’ont pas la maîtrise de leurs actes. l’oint davantage, semble-t-il, l’adjuration par contrainte, parce qu’il n’est pas en notre pouvoir, à nous, de commander à ces créatures : le vent ni la mer ne nous obéissent. II » - II", q. xc, a. 3, corp. et ad 3um. Disons alors que ces adjurations, et plus généralement tous ces signes aux forces de la nature, sont en pure perte. Ibid., q. xcvi. a. 1.

Avec la nature aveugle et muette, « les signes ne poussent à rien ; ce n’est pas un dessin qui est le principe de l’action naturelle > ». Ibid.. a. 2, ad 2um. Or, dans notre hypothèse, toute causalité est exclue ; il reste que le succès final de son action, on ne l’attend que du hasard ou d’une cause spirituelle chargée d’en diriger le cours. Mais, en appeler au hasard, c’est, en fait, exposer tout son effort précédent à un mauvais coup du sort. N’est-ce pas un vice d’agir ainsi en vain ? ILII’1’, q. xcv, a. 8. Saint Thomas n’est pas très affirmatif. Mais n’est-il pas à craindre que, dans une affaire sérieuse, ce ne soit un procédé d’ignorance et de paresse ? S’en remettre sans nécessité au hasard, ce n’est pas toujours de la divination caractérisée ; mais c’est une démarche risquée et déraisonnable, parce que, comme on l’a dit, le hasard n’a ni mémoire, ni conscience.

3. Signes naturels.

Le second subterfuge des superstitieux, c’est de dire : si la nature est insensible à nos signes humains, ne nous donna-t-elle pas spontanément des signes naturels en de multiples circonstances ? On a toujours attaché une signification aux phénomènes atmosphériques, au cours des astres, au cri et au vol des oiseaux, à certains gestes spontanés des hommes, etc. Autant de phénomènes que les théologiens anciens, ont analysés en détail, non pas en eux-mêmes, mais comme signes possibles. C’est bien d’ailleurs le point de vue des superstitieux : i Les réalités qui retiennent l’attention des devins, ne sont pas considérées en elles-mêmes, mais comme des signes, qui sont pris comme principes de connaissance et de direction pratique. > II » -II", q. xcv. a. 3, ad 3um. Et il n’est pas malaisé de tracer la genèse commune de toutes les vaines observances : elles procèdent par la seule considération de la disposition ou du mouvement d’une autre chose », ibid., corp., considération aussi objective et passive que possible d’une disposition fortuile ou d’un mouvement spontané, ibid., qu’on ne provoque point comme plus haut par un commencement d’action propre, niais qu’on laisse se dérouler seul d’après les suggestions de la nature même. On se cou lie. non pas à sa chance personnelle, fortuna, mais au hasard impersonnel, résultant des actions réciproques de choses, qui nous restent étrangères, puisqu’on a bien soin de n’y pas mettre le petit doigt, (diquid consideramus in dispositionibus aliarum rerum. Ibid., d’après les manuscrits. Les astrologues ne sont pas des astronomes et ce qui trappe tous les superstitieux c’est la coïncidence fortuite, fortuilo motu, des mouvements des astres, des animaux et des humains. Ibid. Saint Thomas est très catégorique sur la non valeur de ces inductions : Tout ce qui repose sur une opinion fausse est superstitieux et défendu. Il faut doue examiner ce qu’il y a de vrai en tout cela ». q. xcv, a. (i, c’est adiré eu tous ces procèdes divinatoires dont parle saint Augustin, De lib. arbilrio, I, I. H y a bien des méthodes pour prévoir les événements futurs qui arrivent nécessairement ou le plus fréquemment : mais ce n’est pas cela, de la divination. Pour prévoir les autres, il n’y a ni art, ni discipline véritable, mais des procèdes vains et trompeurs… » Ibid., a. 1, ad 2um.

1. Jeu naturel des émises et des e/Jcls. — En somme,