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SUPERSTITION ET THÉOLOGIE MORALE

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connaissance des luis naturelles, la diffusion do l’instruction primaire ont eu ce résultat que l’action du démon est considérée aujourd’hui comme plus reculée, moins immédiate que ne l’estimaient nos ancêtres. Sans doute est-il impossible d’oublier cette action, qui demeure réelle et considérable ; certaines haines religieuses et des faits nettement extra-naturels sont inexplicables en dehors d’elle. » R. Brouillard, loc. cit., dans Nouv. rtv. théol., p. 7 ! i I. On devrait ajouter que l’indifférence religieuse du grand nombre ne permet plus d’expliquer en bonne part tant de dévotions superstitieuses de l'époque précédente.

De notre temps, il faut le dire, c’est en dehors de toute considération d'êtres supérieurs à notre nature qu’il faut expliquer la persistance des vaines observances et même de beaucoup de curiosités malsaines. En voici les raisons : l’esprit moderne est volontiers « causaliste. si l’on peut ainsi dire ; il cherche à attribuer un motif aux phénomènes environnants, une raison aux événements, aux bonheurs et aux malheurs qui nous arrivent. Il est, de plus, simpliste, ami du moindre effort, porté à se contenter d’explications aisées. Devant l’enchevêtrement des faits, il conclut facilement à des rapports de causalité entre eux ; il donne vite aux simples coïncidences, aux pures apparences, la valeur de signes, et il transforme ces prétendus signes en agents possibles d’accidents ou de bonnes fortunes. Cette mentalité « prélogique », que les ethnographes ont signalée dans les sociétés primitives, n’a pas disparu de nos mœurs modernes, parce que — la psychologie l’a bien montré - l’esprit humain reste dans son fond toujours le même. O. Leroy, La raison primitive. Essai de réfutation de Ici théorie du prélogismc, p. 20 sq. Cet état d’esprit règne avec le minimum de résistance chez les simples, qui tiennent toutes leurs connaissances de la tradition et recevront par la même voie les présages et observances superstitieuses : de là la prédominance de ces superstitions dans les milieux populaires, moins touchés par l’instruction religieuse ou scientifique. Mais les esprits les plus affranchis de toute religion sont exposés aussi a y céder : les deux exemples les plus curieux de notre époque sont les positivistes Zola et Mazaryk.

En fait, l'état d'âme des superstitieux de notre temps est à peu près celui-ci. Pour les vaincs observances, « ils font ceci, ils évitent cela, parce qu’ils ne voudraient pas, si par hasard il leur arrivait malheur, avoir à s’imputer une négligence, le mépris d’une précaution supplémentaire ; parce que, avant l'événement possible, ils veulent se libérer d’une anxiété vague ; parce que, après les merveilleuses découvertes de ce temps, par exemple la télépathie, la T. S. F., ils soupçonnent en telle pratique une vertu naturelle secrète… Aussi, comme par ailleurs, ils ne sont pas tenus de faire aujourd’hui vendredi ce voyage, ils pensent le faire plus tranquillement demain. " R. Brouillard, loc. cil. De même, proportion gardée, pour la curiosité malsaine du monde Invisible, si, a toutes les périodes de l’histoire, l’appétit du merveilleux a entraîné nombre d’hommes et fausse leur jugement », ce monde invisible, ils l’ont peuple selon leur imagination. Rien ne prouve que le xix 1 et le xx c siècles soient, a cet égard, en progrès sensible sur les siècles antérieurs. - Mais aujourd’hui, c’est en marge de la science que la foule des âmes superstitieuses est prédisposée ' a se repaître d’illusions qui n’ont rien de commun, sauf peut-être l’apparence, avec la science exacte. Kl, s’il est rai que la superstition est une maladie du sentiment, du besoin religieux, notre époque, qui a tant fait pour détruire les bases de la foi positive, doit, plus qu’une autre, porter la lare de ce mal redoutable i. Th. Mainage, op. ciï., p. 64. Mais, remarquons .[lia notre époque la religion spirite », comme les au tres systèmes occultistes, n’a pas grande vogue comme religion, et qu' « à nombre de personnes, il paraîtra bien hardi de lui attribuer un enseignement quelconque : c’est un ensemble de démarches, plus ou moins bizarres, pour déceler l’invisible. Nous entendons bien que ces tempéraments n’empêchent pas le démon d’intervenir, mais pour beaucoup d’imprudents, cette intervention n’est pas même soupçonnée ».

VII. Les actis SUPERSTITIEUX i : r la morale. — Nous axons étudié jusqu’ici les superstitions pratiques, et précédemment les superstitions cultuelles, dans leur portée réelle, selon leur objet et leur Tin propre, qui accusaient au fond une diversité surprenante dans cette rubrique des excès en matière de religion. L’appréciation morale, qui doit se préoccuper encore des autres circonstances qui ne changent pas l’espèce des péchés, apportera, non une complication nouvelle. mais une réelle simplification. Parmi ces circonstances se trouvent au premier plan l’ignorance et la bonne intention qui estompent la malice objective des actes : nulle part, leur place n’est aussi prépondérante qu’en matière de superstition.

1° Culte faux du vrai Dieu, dont le désordre est grave ex génère suo, puisque « c’est un mensonge, et le plus pernicieux, celui qui concerne les choses de la religion chrétienne », S. Augustin, Contra mendacium, c. ni ; l’injure faite à Dieu peut être ignorée, non seulement par les Juifs de bonne foi. pratiquant leur culte traditionnel, mais aussi des nouveaux convertis, gardant pour leur nouveau Dieu, leurs anciennes pratiques cultuelles : syncrétisme indéniable, mais collectif, anonyme et tendant à disparaître progressivement. A plus forte raison, dans ces falsifications qui vont contre les institutions et les directives de l'Église, « dans les rites faux et les récits légendaires, il y a mensonge, quantum est ex parte actus exterioris, mais il n’y a plus mensonge ex parle intentionis inierioris, et les gens qui s’y laissent prendre croient bien exprimer la vérité ». Cajétan, q. xc.m, a. 1. Ce ne sont quc fautes légères.

Cela ne veut pas dire qu’il faille laisser courir et se propager ces fausses dévotions, et surtout ces usages païens : ils pourraient engendrer dans la foule mal instruite, des croyances fausses qui deviendraient des hérésies. H es1 difficile même de croire que le péché de scandale ne soit pas commis par certains propagateurs qui savent ce qu’ils font. Ce mélange d’intentions perverses chez les promoteurs et de bonne foi chez les adeptes explique l’altitude à la lois sévère et indulgente de l’F.glise dans la réglementation du culte privé et des formes secondaires de son culte public. Cf. Codex jur. canon., can. 1283-1286.

Culte superflu du vrai Dieu.

Ce désordre objectif « qui fait consister toute la religion dans des prestations extérieures sans rapport avec le culte intérieur

de Dieu ». accuse un déséquilibre des âmes > qui donnent leur principal souci à la correction extérieure ». II a -Il a q. xciii, a. 2. Cette « religion superficielle » a sa place un peu en marge de la superstition formelle. Aussi les moralistes y voient généralement matière à péché véniel, quia non est ibi perfecta superstitionis ratio. Cajétan. Ibid., a. 2. Mais il ajoute qu’il ne faut pas pourtant traiter ces excès comme choses insignifiantes, sous prétexte qu’ils seraient, non des obstacles, mais des adjuvants au vrai culte de Dieu ; car « tout désordre dans les choses religieuses est important ». Loc. cit. Au reste, la culpabilité de ces superstitions cultuelles est très variable, suivant l’attachement qu’on y a, l’origine frelatée qu’on leur attribue, L’efficacité qu’on leur impute, la diffusion qu’on leur veut donner. Tant qu’elles restent a l'état de dévotion individuelle, il faut dire avec Cajétan, que « la plupart du temps, les fidèles ne pèchent pas, du moins gravement, quand ils observent, d’un cœur simple, certains rites non