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SUPERSTITION ET THÉOLOGIE MORALE


obstinés, mettre encore à part les obsédés, les détraqués, <|ui ont plutôt besoin du médecin. Pour la foule des Faibles d’esprits, ce ne sera généralement, à notre sens, qu’une faute très vénielle, pour laquelle il serait injuste d’avoir une sévérité bien grande. Loc. cit., p. 736. Mais il reste que ce serait une faute "rave pour un bon chrétien, qui, instruit et averti, laisserait sa ie dominée par cet usage.

3. Les observances qui comportent une invocation positive du démon sont évidemment des péchés mortels et pour deux raisons. Premier motif : au principe même de l’acte superstitieux, il y a un pacte exprès conclu avec le démon, par le fait qu’on l’a appelé ». II 1 - !  ! 5 ", q. xcv, a. 4. damais on ne peut faire alliance avec le démon, contre lequel nous sommes en état de guerre déclarée. Q. XCVI, a. 2. ad 3um. « Second motif : le succès même de l’appel au démon : comme il veut la perte des hommes, il entend bien les amener par sou secours a l’habitude de se cou lier à lui. lit aucun avantage temporel ne peut compenser le dommage qui en résulte pour le salut spirituel. » II a -II*, q. xcv. a. I. corp. et ad 3 ura. Nous sommes ici dans le for intérieur du superstitieux : quel que soit le rite employé, le nom qu’il lui donne, il en a bien conscience. Et l’appel est réel, même si le démon n’intervient pas, ou ne peut même intervenir. Celui qui se fierait au diable pour le succès d’une candidature ou d’un examen ferait un péché grave, lue rétractation postérieure en atténuerait évidemment les conséquences.

4. Le cas le plus fréquent, et le plus controversé, est celui que les auteurs appellent l’invocation tacite ou implicite : une imprudence qui. sans appel formulé, expose à une intervention diabolique. I.e jugement sévère de certains théologiens scolasliques, par exemple Suarez, pour l’art notoire et l’art des guérisseurs. De religione, tr. m. t. II, c. xv, n. 7, t. xiii, p. 565 sq., se nuance lui-même de beaucoup de réserves infiniment sages, qui ramènent la plupart de ces observances à n'être que de simples sottises.

a) Voici d’abord la multitude des actes inachevés : « Entreprendre de deviner l’avenir ou le secret du passé ou du présent, c’est sans doute un péché mortel ex génère sut*, in quantum dsemoniaco innititur auxilio. Cependant il peut parfois n'être que véniel, à cause de l’inachèvement de l’acte. » Or, un tel acte peut être incomplet, sot parce qu’il n’y a ]ias de place pour le démon, ni en lui même, ni dans l’intention expresse ou tacite de celui qui le fait, comme il arrive en beaucoup d’actes vains dont le résultat importe peu, par exemple se servir d’un livre de bonne aventure, etc… ; soit parce qu’il n’est pas regardé comme sous l’influence du diable », bien que par lui-même il laisse place a son intervention, comme il arrive en beaucoup de nos essais dont nous n’apercevons que le caractère risqué, telles ces réussites que l’on croit venir de la bonne fortune ou du hasard. Il faut tenir, en effet, pour principe général que, la où n’intervient aucune invocation, expresse ou tacite, du démon, et là où il n’y a pas mauvaise intention, on ne risque pas le péché mortel ». Cajétan, Summa, à l’art. Divinatio. t n acte incomplet c’est donc un acte posé par jeu

ou m rieusement, mais dont l’issue est laissée au hasard et qu’on ne compte pas sérieusement mener à une lin certaine. On pense bien que le démon n’a rien à faire quand on joue a pile ou lace !

b) Mais le principe énonce plus haut est universel : pOUl les actes sérieux et complets, dont on escompte un résultat certain ou probable, pas de pèche grave t ; i 1 1 1 qu’O/1 n’a pas conscience d’une imprudence religieuse, en quoi consiste justement la eonnicnce avec

le démon. L’invocation tacite du démon est exclue

d’emblée quand on ne se sert d’aucune chose, d’aucune

formule en les taisant dépendre d’une cause secrète.

Mais ce serait le cas si l’on recourait à une pratique quelconque, comme capable de procurer l’effet attendu, alors qu’on verrait manifestement qu’elle n’a pour cela aucune efficacité, ni naturelle, ni divine ; alors, en efïet, il y aurait un consentement tacite à se faire aider par le démon, puisque ce serait à son secours à lui qu’on s’exposerait, en usant de cet objet, de cette formule vantée. » Cajétan. loc. cit. Quand on prétend que ce jugement est trop sévère, c’est qu’on ne réalise pas l’imprudence d’une pareille démarche. Si notre procédé, en effet, nous apparaît insuffisant par lui-même, et qu’on s’acharne à en espérer le succès assuré, c’est qu’on attend un supplément d’efficacité en dehors de lui. Si cette suppléance venait du ciel, des astres, de la terre, de notre savoir-faire ou de la prestidigitation ou enfin de la suggestion, nous en saurions quelque chose, et ce ne serait pas une cause secrète, du moins pour nous.

c) Pour compter vraiment sur une suppléance mystérieuse, il faut et il suffit que nos pratiques nous apparaissent comme inefficaces : si autern naturalitcr nom videantub posse taies efjectus causare, on est amené à y voir, non des causes, mais des signes. On les rattache ainsi à des pactes symboliques avec les démons. II a -II ffi, q. XCVI, a. 2. La simple apparence suffit. Appliquant ce principe général à telle démarche objeetivement superstitieuse, on voit qu’un effet absolument impossible aux forces naturelles pourra être attendu d’elles par bien des esprits simples : ils feront une démarche fausse, mais sans mauvaise intention ; ils n’y verront rien de mystérieux, ni de diabolique. Un esprit mal fait qui voit du préternaturel dans les résultats obtenus par les sourciers ferait un péché grave en les imitant. Bien que beaucoup d’autres l’emploient le plus naturellement du monde il recourt, lui, à une « cause secrète », qu’il ne connaît peut-être pas par son nom. mais qu’il croit bien n'être « ni naturelle, ni divine », et qu’il emploie quand même.

C’est là, dans ce hiatus, que peut s’exercer subrepticement l’action du démon ; c’est là aussi, dans ce hiatus aperçu entre une pratique qu’on juge inefficace et l’espoir que l’on y met, qu’on pactise avec le démon sans prière ni bruit de panées : Ibi et tacite inlervenit dœmonis invocatio, c’est « le consentement à se faire aider par le démon. » Reste à déterminer dans quelle mesure ce consentement est donné par la volonté. « Si l’intervention diabolique est admise comme certaine, comme généralement reconnue, ou seulement connue très possible, c’est un péché mortel. Mais, si on ne s’en doute pas, ou si, au cas où l’on croirait que telle pratique comporte un tel risque, on s’en abstiendrait absolument, si donc on renonce au pacte même implicite, ce n’est pas un péché mortel, parce que, à proprement parler, ou n’invoque pas le démon, même tacitement ; que s’il arrivait alors que le d imon intervînt quand même, ce serait purement per accidens, materialiter et involuntarie, et ce concours ne fait pas de l’homme un associé des démons, i Cajétan, loc. cit.

Ici seulement, dans le cas fort fréquent où l’on doute de la prudence de son acte, certains pourront trouver que les théologiens thomistes sont intransigeants ; mais ce n’est pas un cas isole et il tient à la divergence des systèmes de morale pour faire cesser le doute pratique. Cajétan. (pli d’ailleurs parle plus haut d’un doute pratique, exigerait sans doute du superstitieux qu’il se fasse une opinion plus probable de la valeur naturelle de son procédé. D’autres auteurs s’inspirent, du compensai ionnisme et du probabilisme : » Il est permis de se servir d’un moyen [spéculative iiient douteux] parce qu’il n’est pas évident que ce soit une chose mauvaise, et que, d’après les circonstances, il peut sembler plutôt honnête. Aussi, pour s’en servir sans péché, on doit se donner une explication au