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SURNATUREL

voir Raison, t. xiii, col. 1648, d’une manière plus générale dans la réprobation, par Pie X, de l’immanentisme moderniste :

« Les modernistes, revenant à la doctrine de l’immanence, s’efforcent de persuader à l’homme (non-croyant) qu’en lui, dans les profondeurs mêmes de sa nature et de sa vie, se cachent l’exigence et le désir d’une religion, non point d’une religion quelconque, mais de cette religion spécifique qui est le catholicisme, absolument postulée, disent-ils, par le plein épanouissement de la vie. Ici, nous ne pouvons Nous empêcher de déplorer une fois encore et très vivement qu’il se rencontre des catholiques qui, répudiant l’immanence comme doctrine, l’emploient néanmoins comme méthode d’apologétique ; paraissant admettre dans la nature humaine, au regard de l’ordre surnaturel, non seulement une capacité et une convenance — choses que, de tout temps, les apologistes catholiques ont eu soin de mettre en relief — mais une vraie et rigoureuse exigence. » Denz.-Bannw. , n. 2103 ; tr. fr. Actes de Pie X, t. iii, p. 145.

Dans cette phrase de l’encyclique se trouve résumée la doctrine catholique des rapports de l’ordre naturel à l’ordre surnaturel. Nous n’avons pas l’intention de les exposer longuement, mais simplement de rappeler les principes généraux de la solution du problème.

1° En premier lieu, ces rapports ne sauraient être considérés in abstracto, comme si l’ordre naturel était un plan inférieur, l’ordre surnaturel un plan supérieur, sur lesquels l’activité humaine pourrait s’exercer séparément. Dans l’état présent de nature déchue et réparée, la raison humaine ne saurait être isolée de la révélation, la nature de la surnature. Le « péché philosophique », voir t. xii, col. 155 sq., est peut-être, en partie du moins, un produit de cette dissociation, col. 266, bien que le fait de l’appel de l’homme à une fin naturelle n’en soit pas l’unique raison, col. 272. La distinction théologiquement vraie de la fin naturelle et de la fin surnaturelle, voir S. Thomas, Ia, q. xxiii, a. 1 et De veritate, q. xiv, a. 2 et ici t. v, col. 2485, n’empêche pas qu’en fait la fin naturelle ne saurait plus être dissociée de la fin surnaturelle. Ibid., col. 2486. L’humanité déchue, mais réparée par et dans le Christ ne peut plus avoir d’autre fin que la vision intuitive et la possession béatifiante de Dieu lui-même. Les petits enfants eux-mêmes, morts sans baptême, n’atteignent pas une fin naturelle ; ils demeurent, par suite du péché originel, en dehors de la seule fin à laquelle ils étaient appelés. Dieu appelle tous les hommes à la fin surnaturelle : c’est sa volonté salvifique universelle dont personne n’est exclu. Voir Infidèles (Salut des), t. vii, col. 1727.

Psychologiquement d’ailleurs, une séparation de l’ordre naturel et de l’ordre surnaturel est inconcevable : la nature humaine ou angélique, avec l’âme ou l’esprit et les facultés intellectuelles qui émanent de cette nature, forment le sujet dans lequel s’insèrent les éléments de la vie surnaturelle : grâce, vertus infuses et dons, actes correspondants à ces principes surnaturels. Or, ces principes ne constituent pas, à eux seuls, un principe quod, c’est-à-dire un sujet surnaturel d’activité. Le principe complet de la vie surnaturel, c’est la nature elle-même, mais surélevée par les habitus surnaturels infus par Dieu en elle. Il n’y a pas en l’homme une âme appartenant à l’ordre de la nature et une âme appartenant à l’ordre de la surnature : c’est l’âme, par elle-même appartenant à l’ordre naturel, qui devient par l’infusion de la grâce et des vertus — principes quibus — le principe quod, le sujet agissant, dans l’ordre de la vie surnaturelle.

On ne devra jamais oublier ce principe en parlant, in concreto, des rapports du naturel et du surnaturel.

2° Le surnaturel étant ainsi conçu, et quant à la fin dernière, et quant au sujet qui tend vers cette fin, comme le complément du naturel, on comprendra immédiatement que, tout au moins chez les créatures intelligentes, appelées en fait par Dieu à vivre d’une vie relevant de l’ordre surnaturel, il y ait comme trois rapprochements à établir entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel.

1. Un rapprochement de capacité.

C’est le mot dont se sert Pie X et c’est ce que les théologiens ont appelé, dans la créature raisonnable, la puissance obédientielle par rapport à l’ordre surnaturel. Mais ici, puisque le surnaturel quoad modum peut s’appliquer même aux créatures sans raison — comme, par exemple, dans les miracles opérés sur ces créatures — la puissance obédientielle doit être prise dans sa plus large acception :

« Dans toute créature il y a une certaine puissance

obédientielle, en tant que la créature obéit à Dieu (aussi bien dans l’ordre de la nature que dans celui de la grâce) pour recevoir tout ce que Dieu voudra… C’est ainsi qu’en vertu de l’agent surnaturel peut être obtenu un effet auquel ne saurait atteindre la vertu d’un agent naturel. » S. Thomas, De virtutibus in communi, q. i, a. 10, ad 13um ; cf. Ia, q. cv, a. 6, ad 1um (pour la possibilité du miracle, voir ici ce mot, t. x, col. 1830, 1831) et IIIa, q. xi, a. 1 (pour l’existence d’une science infuse dans l’âme du Christ). Voir aussi De potentia, q. vi, a. 1, ad 18um.

Cette puissance obédientielle de l’ordre naturel à l’égard de l’ordre surnaturel n’est pas seulement une simple possibilité objective, c’est-à-dire la non-répugnance des deux ordres, mais c’est une réelle puissance subjective, relativement à l’action possible de Dieu dans la créature.

2. Un rapprochement de convenance.

Après avoir parlé de capacité, Pie X parle de convenance. Si le surnaturel doit perfectionner le naturel, il s’avère qu’un tel perfectionnement implique une réelle et positive convenance par rapport à l’ordre naturel. Avant la connaissance du surnaturel, il est difficile d’affirmer cette convenance ; mais, une fois le surnaturel dévoilé à notre intelligence par la révélation, l’homme qui réfléchit ne peut s’empêcher de constater la haute convenance de l’ordre surnaturel :

« Si elle considère la révélation dans son contenu, la raison est obligée de reconnaître qu’elle y trouve une solution apaisante des problèmes de la souffrance, de la mort, des rapports de l’homme avec Dieu. Si elle considère les énergies spirituelles du christianisme, elle doit avouer qu’elles sont capables de combattre et de faire reculer le règne du péché. Si elle considère les moyens de diffusion et de conservation des vérités nécessaires à la vie, elle doit reconnaître que l’Église catholique, et l’Église catholique seule, en possède de pratiques et d’efficaces, capables de donner une solution satisfaisante au problème du doute. » L. Sullerot, Le problème de la vie devant la raison et devant le catholicisme, Marseille, 1928, p. 152-153.

C’est ainsi qu’une fois connu par la révélation — mais on ne saurait trop insister sur la nécessité de cette connaissance préalable — l’ordre surnaturel apparaît à notre intelligence comme empreint d’une souveraine convenance par rapport à notre nature. Haute convenance du mystère de la Sainte Trinité qui nous montre la vie intime de Dieu dans le Verbe et l’Amour ; haute convenance du mystère de l’incarnation et de la rédemption, d’une part montrant l’infinie bonté et l’infinie justice de Dieu, d’autre part projetant sur les origines et les destinées humaines des aperçus que la raison était incapable de découvrir. Comme on le notait tout à l’heure, on y trouve la solution apaisante des problèmes de la souffrance, de la mort et des rapports de l’homme avec Dieu. Convenance de l’Église, des sacrements, de la résurrection future, de l’au-delà et surtout de la récompense éternelle des bons — vision et possession divines — si pleinement conformes aux aspirations de notre intelligence et de notre salut. Nous ne faisons qu’esquisser les grandes lignes : l’analyse détaillée des éléments de