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SYNOPTIQUES. SOLUTIONS DIVERSES


1. La dépendance de Luc par rapport à Marc est aujourd’hui admise par la plupart des critiques et exégètes. Le principal argument en faveur de cette dépendance, c’est que, dans une partie considérable du troisième évangile (ce que le P. Lagrange appelle les sections marciennes, Luc, iv, 31-vi, 19 ; viii, 14-ix, 50 ; xviii, 15xxi, 38), le contenu et l’ordre des péricopes sont les mômes que dans Marc, avec seulement un tout petit nombre d’omissions, additions ou transpositions ; la ressemblance de forme, bien que n’étant pas absolue, est également frappante dans ces sections et la conclusion à en tirer en faveur de l’influence de Marc sur Luc s’impose d’autant plus que, dans les parties propres à Luc, la présentation des faits est moins détaillée, moins vivante. Les différences de forme ne constitueraient une objection contre la dépendance littéraire de Luc, que si l’on supposait que l’auteur du troisième évangile était un simple rédacteur reproduisant servilement ses documents, tandis qu’il apparaît, dans l’ensemble de son œuvre, comme un véritable écrivain, ayant son but particulier, ses préoccupations propres, soit doctrinales, par quoi s’expliquent certaines omissions, soit littéraires (il émonde et corrige Marc, par souci de pureté du style). Cette métbode de Luc explique que, dans les sections de son évangile désignées par le P. Lagrange comme non-marciennes (les débuts du ministère public de Jésus d’une part, d’autre part les récits de la passion et de la résurrection), l’auteur du IIIe évangile paraisse plus indépendant de Marc (nombreuses additions, quelques omissions et transpositions ) ; mais, en ces sections mêmes, l’ordre des péricopes est sensiblement identique et l’on discerne assez nettement que Luc s’attache toujours à Marc comme guide, bien qu’il le suive moins strictement pour faire place à d’autres sources ou traditions dont il disposait. L’hypothèse d’un Proto-Marc plus court, qui n’aurait pas contenu les passages du second évangile actuel manquant dans le troisième, n’aurait aussi de raison d’être que si Luc avait eu pour règle de suivre à peu près littéralement ses sources. Mais, malgré l’intention marquée au début de son évangile de donner un récit de la vie de Jésus plus complet et plus ordonné que ses devanciers, il n’était pas obligé d’utiliser tous les matériaux qui étaient à sa disposition : les exigences de son plan, la qualité des destinataires de son ouvrage et aussi certains scrupules d’ordre doctrinal (par exemple pour les passages de Marc n’intéressant que les Juifs, comme la mort de Jean-Baptiste, vi, 17-29, les questions de pureté légale, vii, 1-23, celle de la répudiation, x, 2-12 ; ou les textes qui pouvaient paraître peu conciliables avec le caractère surhumain de Jésus, vu, 24-30, ou défavorables aux apôtres, x, 35-45) pouvaient l’engager à omettre certaines parties du texte de Marc, que dans l’ensemble il suivait. Il n’y a donc pas lieu de supposer une première forme hypothétique, moins complète, du second évangile : rien n’empêche que ce soit le Marc actuel, qui ait été utilisé par Luc.

2. On est beaucoup moins d’accord sur les relations entre Luc et Matthieu. Le problème se pose non seulement pour les parties de ces évangiles qu’ils ont en commun avec Marc, mais surtout pour d’autres parties considérables, qui ne figurent pas dans Marc, et où tous deux marchent parallèlement, avec de notables ressemblances non seulement de fond, mais de forme. Il se complique du fait que, en d’autres parties, les divergences sont telles entre les deux évangélistes qu’il paraît difficile qu’ils se soient connus mutuellement : si, par exemple, Luc avait eu sous les yeux les récits de l’enfance de Jésus et les récils de la résurrection, tels qu’ils sont dans notre I er évangile, il n’aurait pas rédigé, semble-t-il, les premiers et les derniers chapitres de son propre récit avec une si complète

indépendance à l’égard de son devancier. Dans ces conditions, on serait assez porté à mettre sur le compte d’une tradition orale commune les ressemblances entre Matthieu et Luc. Et c’est la solution acceptée par plusieurs exégètes catholiques. Mais ces ressemblances sont cependant de telle nature que, sans pouvoir aboutir sur ce point à des conclusions certaines, on est porté à admettre, pour les expliquer, une dépendance littéraire des deux évangiles l’un par rapport à l’autre. En effet, à côté d’un certain nombre de passages où la ressemblance est moins étroite ou qui ont le caractère de sentences faciles à retenir de mémoire (cf. une liste de ces cas dans Lagrange, Évangile selon saint Luc, p. lxxiv), il en est d’autres où la tradition orale ne paraît pas suffisante (par exemple, Luc, x, 21-24 = Matth., xi, 25-27 ; Luc, xi, 33-36 = Matth., v, 15, vi, 22-23). Presque toujours il s’agit alors de paroles plutôt que de récits. Et ce qui donne à ces ressemblances verbales une portée plus grande, c’est qu’on a affaire à des groupements de sentences, qui se retrouvent identiques dans Matthieu et dans Luc, alors que la suite des idées n’imposait pas ces groupements : exemple caractéristique dans Luc, xii, 2-9 = Matth., x, 26-34. Pour expliquer ces faits, les critiques partisans de la théorie des deux sources supposent que les rédacteurs du premier et du troisième évangile ont utilisé une source commune, qui serait un recueil de discours et sentences du Seigneur, peut-être les Logia attribués à Matthieu par Papias, ou plutôt une traduction grecque de ces Logia. Cette hypothèse étant incompatible avec l’authenticité (littéraire) du Matthieu canonique, les exégètes, qui ne veulent pas s’écarter sur ce point du sentiment traditionnel et qui, par conséquent, maintiennent l’identité substantielle du Matthieu grec avec l’évangile araméen de saint Matthieu, doivent recourir à d’autres hypothèses, telles que celle proposée par le P. Lagrange : « Si l’on veut tenir compte de tous les aspects de la situation, le mieux est peut-être de supposer que Luc n’a pas eu sous les yeux notre Matthieu canonique, mais qu’il en a connu au moins des extraits en grec, comprenant les discours, dans leur ordre actuel et tels qu’ils sont, sauf quelques retouches, dans le texte de Matthieu. » Évangile selon saint Luc, p. LXXXV.

3. La comparaison entre Matthieu et Marc fait ressortir les trois faits suivants : la matière contenue dans Marc se retrouve presque complètement dans Matthieu (les principales omissions sont : Marc, i, 21-28 ; i, 35-38 ; iv, 26-29 ; vii, 31-37 ; viii, 22-26 ; ix, 38-40 ; xii, 41-44) ; l’ordre des péricopes est à peu près constamment le même dans les deux évangiles, à partir de Matth., xiv, l=Marc, VI, 14 ; il y a souvent identité verbale dans les passages parallèles.

Ces trois faits sont évidemment favorables à la dépendance littéraire d’un des évangiles par rapport à l’autre. Malgré le sentiment de saint Augustin et des anciens, malgré les raisons alléguées aujourd’hui encore par quelques partisans de la dépendance de Marc par rapport a Matthieu, cette hypothèse est peu vraisemblable, parce qu’elle se heurte à un fait frappant : le caractère des récits de Marc, beaucoup plus détaillés, concrets et vivants que les récits parallèles de Matthieu. On a bien pu tenter (par exemple M. Primo Vannutelli), à force d’ingéniosité, d’expliquer en tel ou tel cas particulier pourquoi et comment Marc aurait été amené à développer et concrétiser les narrations plus schématiques de Matthieu. Mais, si l’on regarde l’ensemble, on ne peut manquer de juger invraisemblable que Marc ait régulièrement ajouté la couleur et la vie au texte plus abstrait qui lui aurait servi de source. D’ailleuis l’ancienne tradition qui représente saint Marc comme l’interprète de saint Pierre dissuade d’admettre une dépendance littéraire étroite entre