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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/190

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THÉOLOGIE. LA RENAISSANCE DU Xlie SIÈCLE

sur ce qu’il pensait de diinnorum leclione librorum, lui qui n’avait étudié que in physicis (ou in philosophicis), et répondant qu’une telle étude pouvait bien être des plus salutaires, mais qu’il ne voyait pas comment il y avait besoin d’un commentaire et d’un enseignement pour comprendre les écrits ou les gloses des Pères. Et Abélard, mis en demeure d’expliquer les textes sacrés sans le secours des commentaires et des maîtres, commençant à I.aon, par les moyens de son propre ingenium, une explication qu’il devait continuer à Paris. Abélard, Historia calamilatum ou Epist., i, 3, P. L., t. clxxviii, col. 123-125. Telle fut la manière dont Abélard aborda la théologie. Bien qu’il n’eût fait, dès lors, que gloser l’Écriture, il l’entreprenait avec les ressources de son propre esprit. Quelque six ans plus tard, à Saint -Denys, il pousse plus loin l’innovation et l’emploi de la raison naturelle. « Il arriva alors, raconte-t-il, que je m’appliquai à disserter sur les fondements de notre foi à l’aide de comparaisons fournies par la raison humaine et que je composai, sur l’unité et la trinité divines un traité de théologie à l’usage de mes disciples. Ceux-ci, en effet, réclamaient des raisons humaines et philosophiques et il leur fallait des explications intelligibles plus que des affirmations. Ils disaient qu’il est inutile de parler si l’on ne donne pas l’intelligence de ses propos, qu’on ne peut croire ce que l’on n’a pas d’abord compris et qu’il est dérisoire d’enseigner aux autres ce dont ni soi ni ceux qu’on enseigne n’ont l’intelligence. » Hist. calant., 9, col. 140-1 13.

1. La théologie chez Abélard.

Ce n’est pas d’hier qu’on a commencé à mieux apprécier le « rationalisme » d’Abélard, mais on s’est fait une idée beaucoup plus exaite de sa position depuis qu’on a dans les mains, pour l’interpréter, les textes logiques récemment édités par B. Geyer, Peter Abælards philosophische Schriften, dans lUilrâge, t. xxi, Munster, 1919-1933. Abélard est plus dialecticien et logicien que philosophe. Aussi est-ce dans sa position de logicien que nous comprendrons sa position de théologien, et dans son < nominalisme » la vraie nature de son « rationalisme ».

Nous avons VU Abélard requis par ses étudiants de ne pas énoncer des paroles que n’accompagnerait pas une intelligenlia : l’œuvre théologique est précisément d’aboutir à cette intelligence. Mais de quoi s’agit-il ? De pénétrer et de démontrer les mystères par la seule raison, une raison antérieure à la foi et indépendante d’elle.’NuUement. À quelque état de son expression que l’on considère la pensée d’Abélard, on ne rencontre pas chez lui l’affirmation que le travail théologique se poursuivrait par les seules tories de la raison et sans prendre appui sur la Révélation. Voir tout le prologue de VIntroductto et Cottiaux, art. rites infra, p. 272 sq. Ce n’est pas pour se donner les objets de la foi que la raison Intervient dans le travail théologique, c’est pour constituer une explication critique de leurs énoncés. Abélard est moins un philosophe s’interessant au fond des choses et. par exemple, ; i la réalité’ou à l’irréalité des universaux, qu’un grammairien logicien s’interessant a une étude critique des propositions et de leurs rapports. Il dit lui même que la VOCUm pro prietat et recta imposilio est a considérer magii quam rrrum essentia. Dialectica, pars III. éd. Cousin, p. 349. Il faut Interprète ! sa théologie en fonction de sa logique. Dès lors, quand Abélard donne comme fonction a la théologie d’assigner les causes des noms di ins.. / rwi. di’unitale <-t de Irinitate divlna, éd. Stttlzle, 1891, p. I. Theologia, I. I, c. ii, P. /… t. clxxviii, Col. 1126, il faut bien VOU qu’il ne l’agil nullement d’apporter la raison objective des mystères, mais seulement de fournir une Justification logique des énom es de la foi, de montrer que les propositions dogmatiques sont conformes aux lois de la prédicabillté.

Abélard, à vrai dire, ne se contente pas de poursuivre un commentaire critico-logique des énoncés doctrinaux ; il apporte aussi des raisons en faveur des objets mêmes de la foi, du mystère trinitaire en particulier. Quelle était, à ses yeux, la valeur de ces raisons ? Celle d’une vraisemblance, aliquid verisimile alque humanæ rationi vicinum, nec sacrée fidei contrarium : soit qu’il vise un usage apologétique de la raison, adnersus eos qui humanis rationibus fidem se impuynare yloriantur ; soit qu’il applique la raison à une théologie construclive en s’efforçant de définir, par des raisons de vraisemblance et de convenance, ce qui peut faire question à l’esprit. Quelle qu’ait été la prétention d’Abélard à une démonstration de la Trinité, voilà où il arrête consciemment sa pensée sur le travail théologique.

2. Le SIC ET NON.

Dès l’époque carolingienne on avait éprouvé le besoin d’accorder des textes faisant autorité et qui, sur une même question, se présentaient comme discordants. L’élaboration des règles pour ce travail d’interprétation et d’accord a été, au cours du xie siècle, l’œuvre des canonistes. On n’a plus le traité où Hincmar de Reims a fixé ses critères d’interprétation, mais la substance semble bien en être passée chez Rernold de Constance († 1110), qui, dans ses écrits théologico-canoniques, P. L., t. cxlviii, donne des règles précises. Chez lui et chez les canonistes qui le suivent, Yves de Chartres en particulier, c’est toute une jurisprudence d’interprétation des « autorités. qui se formule. Abélard, dans son Sic et non. introduit le problème de l’accord des autorités au cœur de la méthode théologique et lui donne une forme technique d’une rigueur nouvelle. Le point de vue d’un développement historique reste, en somme, étranger aux règles d’interprétation qu’il propose, mais il a le sentiment du sens authentique d’un texte et ses critères, dans l’ensemble, restent orientés vers la détermination du sens génuine. Par quoi il prépare la méthode d’interprétation et de réduction des oppositions textuelles qui sera employée dans la scolastique.

Chez Abélard, non seulement le problème de l’accord des autorités opposées devient un problème proprement théologique, mais il devient une pièce t (clinique de la méthode ; le SIC et non est érigé en système, s’intégrant au procédé dialectique que nous allons voir dès lors prendre corps dans la quæstio et devenir l’armature du travail théologique de la scolastique.

Abélard occupe une place considérable dans le développement de la théologie et de sa méthode. II a. dans les trois livres de Y Inlroduclio. dans la Theologia iliristiana et dans [’Epi tome, donné l’exemple d’une élaboration théologique qui n’est plus le commentaire d’un texte, mais une construction systématiquement distribuée. Avec lui, on est passé de la Sacra pagina à la Theologia. La théologie s’achemine vers sa constl tution véritablement scientifique. De fait, un écrit comme le I. III de l’Inlroduclio. malheureusement peu développé, s’approche de la manière qui sera plus tard celle de saint Thomas : la méthode de [aquæstio, fondée dans les Analytiques d’Aristote. Celui-ci y est appelé dialeclicorum princeps, P. L. t. clxxviii, col. 1112 H. De fait, Abélard commence à Introduire dans ses commentaires textuels eux-mêmes, des quesstiones : c’est une initiative tout a fait notable, et qui fera souche. Avec son SU et non. Abélard est pies île faire de la difficulté suscitée par le heurt de raisons oppn secs un procédé systématique de recherche et de pm grès.

Il faut bien voir 1 c que fut alors l’iiilluenie d’Aristote et les limites dans lesquelles elle se tint, le propos abélardicn d’une théologie qui fournil liumunas et philoëOphlca » rallone » se produisait dans le temps même où se diffusait en Occident la seconde partie de l’Or