païens, les consignes à leur égard « le rigoureux séparatisme. Nous trouvons, en outre, dans le Talmud, des condamnations particulièrement sévères portées contre les minim : beaucoup voient là une désignation des chrétiens ; des savants juifs assurent que ce vocable s’applique uniquement à des hérétiques juifs. Les adversaires du Talmud affirment également que les chrétiens sont désignés par les termes nokri (étranger, très voisin de nosri, nazaréen), akum, adorateurs des astres. Quoi qu’il en soit, on constate, même encore aujourd’hui, dans les juiveries fermées un sentiment héréditaire de haine, tout au moins de méfiance, envers tout ce qui est chrétien. B. Lazare, Antisémitisme, p. 350, 289 sq., voit là un legs du Talmud : « Le Juif est antichrétien partout où il vit à part, dans des ghettos, sous la direction de ses docteurs… Ce livre, le Talmud, contenait aussi les préceptes égoïstes, féroces et nationaux, dirigés contre les étrangers. Conservés dans ce livre dont l’autorité fut immense, dans ce Talmud qui fut pour les Juifs un code, expression de leur nationalité, un code qui fut leur âme, ces affirmations cruelles ou étroites acquirent une force sinon légale, du moins morale… Le goy des Machabées, le minéen des docteurs, devint le chrétien et au chrétien on appliqua toutes les paroles de haine, de colère, de désespoir furieux, qui se trouvaient dans le livre. »
Bien entendu les chrétiens ne laissèrent pas passer ces attaques sans réagir vigoureusement. Ce sont d’abord des mesures juridiques et judiciaires. En 548 Justinien, par la novclle 116, interdisait de lire dans les synagogues la Michna, dont plusieurs docteurs chrétiens dénonçaient l’esprit antichrétien. Par la suite bien des évêques dévoilèrent Lout ce que le Talmud contenait contre le Christ et contre l’Église ; l’opinion ne s’inquiétait pas, d’autant que les Juifs cachaient leur livre et se présentaient uniquement comme les tenants de l’Ancien Testament. L’affaire prit une autre tournure quand des Juifs convertis précisèrent ces accusations, entre autres Nicolas Donin, de La Rochelle, qui soumit à Grégoire IX (1238) trente-cinq articles, reproduisant la doctrine du Talmud : ordre fut donné aux évêques de se saisir du Talmud et d’ouvrir une enquête. A Paris, saint Louis, qui, d’ailleurs, gardait contre les Juifs une sainte animosité, fit brûler, en 1242, des exemplaires du Talmud, après une dispute entre Nicolas Donin et le rabbin Yehiel. Depuis, on signale nombre de confiscations du Talmud, livré ensuite au bûcher, parfois par charrettes entières. Cependant les papes, plus tard, permettaient l’impression du livre, mais à condition qu’il fut expurgé : d’où la nécessité pour les Juifs de se livrer eux-mêmes à une censure, souvent plus rigoureuse que celle qu’aurait pratiquée l’Église ; en conséquence dans la plupart des éditions manquent les passages qui auraient pu offusquer les chrétiens.
Ces autodafés étaient souvent précédés de disputes entre rabbins et docteurs chrétiens, portant non seulement sur le Talmud, mais sur tout le judaïsme. Ces polémiques donnèrent naissance à toute une littérature spéciale, attaques chrétiennes, apologies juives. En outre plusieurs chrétiens écrivaient contre les Juifs des pamphlets violents, les chargeant, surtout d’après le Talmud, des griefs les plus odieux : haine du nom chrétien, irrévérences envers Dieu, indécences, morale corrompue… production infinie. Il serait injuste de faire figurer dans cette catégorie le Pugio fidei de Raymond Martini (1260), qui garde le ton d’un apologiste modéré. Parmi les plus violents signalons : V Entdecktes Judenthum d’Eisenmenger, dont la première édition (1700) fut interdite par l’empereur, à la demande des Juifs, deux volumes massifs et venimeux, mais bourrés de textes de toute espèce ; le Talmudjude (le Juif du Talmud) d’Auguste Rohling, avec
ses traductions en diverses langues (Munster, 1877) demeure encore une des armes les plus meurtrières de l’arsenal antisémite. Divers chrétiens s’honorèrent en prenant la défense du judaïsme et de ses livres : citons, au xvie siècle un humaniste tel que Reuchlin, au xixe le savant estimé qu’était Franz Delitzsch. Voir Félix Vernet, Juifs (Controverses avec les), ici, t. viii, col. 1870-1914 ; du même, Juifs et Chrétiens, dans Diction, apol., t. ii, col. 1687-1694 ; Strack, op. cit., c. vii, § 1 ; Jewish Encyclopedia, t.xii, p. 22. Sur les attaques contre Jésus et l’Église : H. Laible, Jésus Christus im Thalmud, Leipzig, 1900 ; Strack, Jésus, die Hâretiker und die Christen nach den àltesten jùdischen Angaben, Leipzig, 1910 ; R. Travers Herford, Christianity in Talmud und Midrash, Londres, 1903. 2° Ressources pour la science des origines chrétiennes.
— Nombreux furent aux xvie, xviie et xviiie siècles les savants chrétiens qui fouillèrent la littérature rabbinique afin d’y recueillir des données sur le milieu historique et intellectuel du christianisme naissant : Reuchlin, Bartolocci, Surenhusius, Morin, Ugolini et tant d’autres. Aussi bien, en ces temps, trouve-t-on dans les œuvres des théologiens et écrivains catholiques, Petau, Thomassin, Pascal… des citations rabbiniques ; Bossuet, dans son Discours sur l’Histoire universelle, part. II, c. xxi, déclare que, dans le Talmud, « parmi une infinité de fables impertinentes… on trouve de beaux restes des anciennes traditions du peuple juif », et, dans le chapitre suivant, il cite plusieurs fois les rabbins. Cet usage semblait s’être perdu quand Schùrer et divers savants chrétiens remirent en honneur le recours à la littérature rabbinique ; depuis on a vu quel profit ont tiré de ces écrits, chez nous, un P. Lagrange, un P. de Grandmaison, un P. Lebreton… Nous nous permettons de reproduire ce que nous avons écrit à ce sujet dans le Judaïsme palestinien, t. i, p. xiii sq. « Nombreux sont les auteurs chrétiens qui ont dénoncé, parfois avec une âpre ironie, les tares qui doivent disqualifier ces documents (la littérature rabbinique ) et détourner d’y recourir pour construire l’histoire : rédaction tardive, défaut d’éditions critiques, flottements dans la transmission des sentences, incertitude sur leurs auteurs, crédulité puérile qui accepte toutes les fables, se complaît dans un merveilleux fantastique et dans les exagérations les plus saugrenues, anachronismes criants et incohérences historiques ; par ailleurs ces écrits sont l’expression du pharisaïsme du second siècle et des milieux scolastiques. .. Ajoutons les nombreuses difficultés que cette littérature oppose à ses familiers et à plus forte raison à tous ceux qui, dès l’enfance, n’ont pas été initiés à ses arcanes dans une école rabbinique : ils craignent toujours quelques faux-pas en ce terrain semé d’embûches. Néanmoins les savants chrétiens qui se moquent des radotages rabbiniques reconnaissent de plus en plus que l’historien ne peut se dispenser d’interroger les livres rabbiniques ; quant aux écrivains soit juifs, soit favorables au judaïsme, ils les déclarent la source principale, sinon unique. » (Ainsi Moore, Judaism in the first centuries of the Christian era, Cambridge, 1930, t. i, p. 126, voit là les écrits normatifs, représentant le judaïsme authentique). Défait nous arrivons à rassembler des propos dont nous pouvons fixer la date, tout au moins le siècle ; il est ensuite facile de confronter entre eux ces matériaux, souvent disparates, de les comparer avec les données que nous fournissent le Nouveau Testament, les apocryphes et pseudépigraphes de l’Ancien Testament, Josèphe, Philon : faisceau de textes dont la convergence fournit une suffisante certitude. Cf. G. Kittel, Die Problème des palâstinischen Spâtjudentums und das Urchristentum, Stuttgart, 1926 ; le même a montré, avec l’aide d’une équipe de spécialistes, ce que vaut cette méthode dans son